La dérive autoritaire turque s’accélère. La mise au pas de toute contestation cible notamment la magistrature. L'association de magistrats Yarsav, dont plusieurs membres font déjà l'objet de poursuites, lance un cri d’alarme tandis que le Haut Conseil des juges et procureurs turcs s'apprête à suspendre 680 magistrats au prétexte qu'ils seraient membres d'une « organisation parallèle ».
Après avoir concentré les pouvoirs exécutif et législatif entre ses mains, mis sous tutelle la presse d’opposition, le pouvoir turc mené par le président Recep Tayip Erdogan, poursuit sa purge dans la magistrature.
Depuis la révélation en décembre 2013 d’affaires de corruption impliquant l’Etat turc, plus de 40 OOO policiers, fonctionnaires, juges et parquetiers ont été mis à pied ou révoqués. Après la mise en œuvre de nombreuses mesures d’intimidation : suspensions, mutations d’office, rétrogradations, poursuites disciplinaires, six magistrats ont été arrêtés au printemps 2015. Accusés d’acte de terrorisme ou d’atteinte à la sécurité de l’Etat, ils ne doivent cette criminalisation qu’à leur courage : leur application juste et déterminée de la loi contre les intérêts du président Erdogan. Ils sont encore à ce jour en détention provisoire.
Le pouvoir turc façonne une magistrature à sa solde. Premier levier de cette mise au pas, le Haut Conseil des juges et procureurs turcs, équivalent de notre Conseil supérieur de la magistrature, est depuis octobre 2014 composé à majorité de membres soutenus par le gouvernement. Il a depuis prononcé de nombreuses mutations de magistrats, y compris en cours de procès. Par ailleurs des centaines d’avocats qui travaillaient pour le parti au pouvoir ont été nommés juges.
En mars 2015, au nom de la lutte contre le terrorisme, l’adoption d’une loi
renforçant les pouvoirs de police a notamment transféré une partie des pouvoirs des procureurs vers les gouverneurs, facilité l’usage des armes à feu pour les policiers et restreint le droit de manifester, le tout en réduisant le champ du contrôle judiciaire.
Aujourd’hui, l’association de juges et de procureurs turcs Yarsav, refusant de se laisser réduire au silence par la poursuite de plusieurs de leurs membres, lance le « dernier SOS des juges turcs libres ».
Derrière la suspension de 680 magistrats au motif de leur appartenance à une « organisation parallèle », se niche une véritable épuration menée par un gouvernement qui agite cette prétendue « organisation » contre tous les opposants au régime et ses dérives autoritaires, au rang desquels figurent notamment les journalistes, les manifestants, les universitaires, les syndicalistes. On sait déjà que cette scandaleuse manœuvre ne s’arrêtera pas là : le Haut conseil des juges et procureurs turcs a « identifié » 5000 juges et procureurs comme membres de structures parallèles.
Cette dérive autoritaire est menée au moment même où l’Union européenne négocie honteusement avec la Turquie pour lui déléguer le reflux de centaines de milliers de migrants. En prétendant, contre l’évidence, faire de la Turquie un pays tiers considéré comme « sûr », l’Union européenne trahit la cause des réfugiés et sombre dans une cécité coupable, en fermant les yeux sur les atteintes massives aux droits fondamentaux.
En marge des négociations, François HOLLANDE a déclaré : « la coopération avec la Turquie ne veut pas dire qu'on accepte tout de ce pays ». Où se trouve alors la limite de l’inacceptable ? Dans le cadre du démantèlement de l’Etat de droit et des libertés publiques en Turquie, un pallier est de nouveau franchi dans la purge de la magistrature. Quel prix aura le silence de l’Union européenne?