Compte rendu des comités techniques ministériels dédiés aux décrets relatifs au renseignement pénitentiaire en mars 2017

Un récent comité technique ministériel a été consacré à la question du renseignement pénitentiaire, autour de deux projets de décrets auxquels le Syndicat de la magistrature a opposé une vive critique.
Retour sur ces décrets à paraître bientôt :
Le premier projet de décret porte sur les mesures d’application de l’article L 855-1 du code de la sécurité intérieure (CSI) introduit par la loi du 28 février 2017 (relative à la sécurité publique).
Nous avons rappelé notre opposition à l’introduction d'une nouvelle finalité du renseignement : "prévenir les évasions et assurer la sécurité et le bon ordre au sein des établissements pénitentiaires". Cet objet tranche singulièrement par sa nature avec les autres finalités prévues par la loi renseignement, telles que la prévention du terrorisme ou de la criminalité organisée, la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, la défense de l’intégrité du territoire…
Autoriser le recours par les services de renseignement pénitentiaires à des techniques telles que des écoutes, des IMSI catcher, des balises, de la géolocalisation sur cette base est d’autant plus disproportionné que ces finalités « correspondent aux missions de base exercées quotidiennement par les personnels de l’administration pénitentiaire », comme le relevait la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans son avis du 23 février 2017, ajoutant : « tout dans le fonctionnement ordinaire de la prison y correspond déjà ».
A cette interpellation, l’administration a prétendu, contre l’évidence, que cela visait un objet unique : la prévention des évasions, dont le bon ordre et la sécurité ne seraient que des sous-catégories, dès lors que, pour l’administration « la dégradation du bon ordre a des conséquences sur la sécurité et, par ce biais, sur le risque d’évasion ». Cette vision extensive du texte ne peut qu’inquiéter. L’administration a défendu le régime, pourtant insuffisant, de contrôle par la CNCTR (Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement) et mis en avant une auto-limitation de l’administration (par exemple sur le rayonnement des IMSI catcher). Une nouvelle fois, l’avis de la CNCDH rappelle à raison que « l’organisation et le fonctionnement de la prison sont dominés par l’angoisse de l’évasion » de sorte « qu’il est vain d’escompter une forme d’auto-limitation ».
L’administration s’est refusée à introduire dans le texte du décret le rappel de l’exclusion de l’entourage du champ des interceptions de sécurité et à prévoir explicitement la nécessité d’une autorisation spécifique pour s’introduire dans les cellules et unités de vie familiale, malgré l’avis en ce sens rendu par la CNCTR le 8 décembre 2016. Quant aux modalités de centralisation des données récoltées, elle s’est refusée à créer les conditions d’un contrôle permanent et direct par la CNCTR.
Le second projet de décret porte sur les mesures d’application de l'article 727-1 du code de procédure pénale, dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 28 février 2017 (loi relative à la sécurité publique).
Cet article organise les pouvoirs du ministre de la Justice pour l’interception des correspondances téléphoniques légales en détention (téléphonie publique SAGI) et l’accès aux données stockées dans les matériels informatiques autorisés en détention, le tout sur des durées d’une année, renouvelables sans limitation. Il ajoute à ces surveillances existantes la possibilité pour le ministre d’ordonner l’accès aux données stockées dans un téléphone ou autre équipement informatique détenu illicitement, après sa saisie par l’administration pénitentiaire. Le procureur de la République est au préalable avisé de la saisie et indique s’il entend saisir le téléphone dans le cadre d’une procédure pénale, à défaut, l’administration peut l'exploiter. La décision d’accès aux données est prise par le ministre tandis que la mise en oeuvre est placée sous le contrôle « complet, direct et permanent » du procureur, selon les termes de la loi.
Au delà du principe, nous avons contesté le mécanisme d’accès aux données contenues dans les téléphones illicites et notamment le faux-semblant de contrôle octroyé au procureur de la République. En fait, pour avoir cet accès « complet, direct et permanent » aux données extraites, le procureur devra se déplacer dans les établissements pénitentiaires, ce qu’il ne sera évidemment pas en mesure de faire. Nous avons également réclamé en vain une restriction des personnels pouvant mettre en oeuvre ces techniques, afin d’assurer la protection du droit au respect de la vie privée.
Enfin, le comité technique ministériel a porté sur la création de l’agence nationale des techniques d’enquête numériques judiciaires (ANTEN). Nous avons demandé à ce que son comité d’orientation, majoritairement composé de responsables relevant du ministère de l’Intérieur, soit remodelé pour compter en son sein un représentant de la CNIL et des magistrats. En effet, cette autorité aura pour mission la recherche et le développement des techniques d’enquête numériques et la définition et la conception d’outils et de procédés. Destinées à préserver un équilibre entre efficacité des enquêtes et protection du droit à la vie privée, ces évolutions ont pourtant été rejetées par l’administration, qui a prétendu voir dans cette ANTEN un « fort ancrage au ministère de la Justice »…


Le contrôle du procureur de la République n'y est pas plus garanti que dans les projets soumis à concertation.