Indépendance et service public de la justice

Madame la procureure,


La décision, prise unilatéralement par vous, au mépris de toute idée de concertation, à quelques jours du début des vacations, d’ordonner à vos substituts de ne pas honorer de leur présence trois commissions d’application des peines (CAP) pendant l’été, rejaillit très négativement sur l’image de la justice et appelle de notre part plusieurs observations.


Elle pose tout d’abord une question de méthode. En effet, alors que votre parquet disposait depuis le mois de mai dernier du calendrier prévisionnel des audiences d’été, vous n’avez réagi que la semaine dernière, mettant ainsi non seulement le service de l’application des peines mais aussi l’administration pénitentiaire et la population pénale dans une situation délicate.


Alors que le nombre des personnes incarcérées à Fresnes a considérablement augmenté, les juges de l’application des peines avaient décidé de maintenir le même nombre d’audiences que les années précédentes : vous ne pouvez donc affirmer que ces audiences ne sont pas strictement indispensables. Pendant ce temps, il n’apparaît pas que l’effectif de votre parquet soit moindre que naguère – même s’il n’est certes pas suffisant.


Si cette décision appelle notre attention particulière, c’est parce qu’elle est révélatrice de l’ordre des priorités qui règne dans l’esprit de certains procureurs de la République, y compris, malheureusement, après la tragique affaire dite « de Pornic ». En effet, vous êtes, comme beaucoup d’autres, toujours prompte à exiger des juges la création d’audiences correctionnelles supplémentaires, a fortiori s’il s’agit de comparutions immédiates, y compris pendant les vacances judiciaires : votre entreprise visant à sacrifier des audiences afférentes à l’exécution des peines ne peut alors se comprendre autrement que comme l’expression d’une certaine déconsidération de l’exécution des peines. Il nous semble au contraire que les audiences de détenus revêtent un caractère prioritaire et de particulière sensibilité.


A rebours de cela, votre proposition de faire prendre des réquisitions écrites à vos substituts pour ces audiences s’appuie sur une appréhension triplement contestable des choses. Tout d’abord, l’expédient que vous avez imaginé n’est conforme ni à l’esprit ni à la lettre des textes. L’article D.49-28 du Code de procédure pénale dispose en effet qu’une CAP ne saurait être valablement réunie en l’absence d’un de ses membres de droit, au nombre desquels figure évidemment le parquet. Il serait de surcroît infiniment plus chronophage pour les membres du ministère public de prendre des réquisitions écrites que d’assister aux audiences – sachant qu’une seule peut représenter l’examen d’une petite centaine de dossiers. Mais surtout, comment justifier que, quelques mois après les mises en cause répétées de décisions de juges de l’application des peines, votre parquet décide de ne pas assister à des audiences devant notamment statuer sur des permissions de sortir pour des personnes détenues parfois depuis de longues années ? Comment imaginer de faire prendre à vos collègues du parquet la responsabilité de pratiques illégales alors qu’ils savent que tout incident qui surviendrait à l’occasion d’une telle permission de sortir en ferait des cibles de choix pour l’inspection générale des services judiciaires ?


Après l’affaire de Pornic, chacun s’est accordé à estimer que l’exécution des peines devait devenir une priorité : votre décision, dans cette perspective, apparaît comme particulièrement anachronique.


Plus généralement, vous n’ignorez pas que la maison d’arrêt de Fresnes est, par son nombre de détenus, la deuxième de France. Vous savez que l’été y est une période particulièrement sensible, d’autant plus lorsqu’elle accuse un tel état de surpopulation. Comment prendre le risque d’envoyer à la détention un signal aussi délétère que le refus d’examiner au bas mot deux cents situations, dont certaines très urgentes, d’ici au mois de septembre ?


Le Syndicat de la magistrature n’entend pas, Madame la procureure, contester que l’organisation d’un service est parfois malaisée pendant les vacances d’été, surtout d’ailleurs dans les petites juridictions : c’est alors tout votre rôle que d’évaluer l’ordre des priorités – mais cette évaluation doit être pertinente.


Dans le même ordre d’idée, il vous faut éviter d’instrumentaliser, comme vous l’avez fait dans un mail à l’ensemble des magistrats de la juridiction, la question de la souffrance au travail, qui est un problème très difficile et sur lequel il convient de rester humble.


A cet égard, nous avons été saisis à plusieurs reprises ces derniers temps de certains de vos emportements, qui ont à l’évidence contribué à augmenter la souffrance au travail beaucoup plus sûrement que les audiences d’été : insinuations selon lesquelles le greffe travaillerait trop peu, qui ont eu pour conséquence de pousser les fonctionnaires à déserter une assemblée générale ; propos injurieux envers les juges d’instruction, qualifiés « d’activistes judiciaires » en pleine audience solennelle pour des pratiques qui ont depuis été intégralement validées par la Cour de cassation ; jugements de valeur pour le moins désobligeants écrits sur certains de vos collègues et diffusés, certes par erreur, à l’ensemble de la juridiction et même au-delà ; et encore, la semaine dernière, propos outranciers tenus devant un représentant d’Eurojust et visant une nouvelle fois des juges d’instruction… Plus encore, dans la réponse écrite que vous avez faite aux juges de l’application des peines, était-il vraiment nécessaire de vous gausser de leurs « craintes fondamentales » ? Il nous semble quant à nous que l’efficacité d’un travail collectif suppose le respect par la hiérarchie des personnes qui travaillent à ses côtés, souvent dans des conditions difficiles.


Nous vous demandons donc solennellement de rapporter la décision malheureuse que vous avez prise et d’en revenir, dans l’intérêt de tous, à des relations plus cordiales avec les fonctionnaires et les magistrats.


Nous vous prions d’agréer, Madame la procureure, l’expression de notre parfaite considération.

Pour le Syndicat de la magistrature

Clarisse TARON, présidente


Ci-joint : un article paru dans Le Parisien du 4 juillet 2011 sur ce sujet.