Nous avons été entendus lundi 19 avril par les membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale et le rapporteur du texte, Stéphane Mazars. 
Cette audition, prévue initialement sous la forme d’une table ronde de deux heures avec les autres organisations syndicales - histoire de cocher la case « on a consulté » - a finalement eu lieu sous la forme d’une intervention de notre organisation suivie de - quelques - questions des parlementaires. Initialement prévue pour une durée de 45 mn, elle a duré une heure. 

Nous aurons ainsi eu quelques jours après la présentation du projet de loi en conseil des ministres mercredi dernier pour prendre connaissance des modifications et ajouts du texte par rapport au projet qui nous avait été adressé il y a un mois, de l’avis du Conseil d’Etat et de l’étude d’impact de plus de 300 pages. Les parlementaires eux-mêmes ont seulement quelques jours avant l’examen du texte en séance. C’est dire que le processus d’élaboration de la loi a totalement déraillé. 

En dehors de notre analyse précise de chaque partie du texte, nous avons introduit notre propos en soulignant, comme nous l’avions fait devant la commission Mattei, la grande lassitude - voire le désespoir - des professionnels de justicedans un contexte marqué par des réformes incessantes, erratiques, dictées par l’actualité et des considérations politiciennes, si bien que le gouvernement est capable, sous la même mandature présidentielle et avec la même majorité, de faire puis défaire sans aucune cohérence, sans aucune colonne vertébrale, sans aucune vision et perspective pour la Justice.

Nous avons rappelé aux parlementaires qu’ils avaient, en mars 2019, voté plusieurs dispositions pour autoriser davantage d'actes coercitifs et intrusifs pendant l’enquête préliminaire, notamment celle permettant d’étendre les écoutes téléphoniques à tous les faits punis de trois ans d’emprisonnement pendant l’enquête préliminaire - disposition finalement censurée, comme de nombreuses autres, par le Conseil constitutionnel. Sans davantage de réflexion de fond sur les équilibres de la procédure pénale, et les moyens et réformes structurelles propres à redonner à l’autorité judiciaire son rôle de contrôle et de direction de l’enquête, ils s’apprêtent aujourd’hui à effectuer un virage à 180° par rapport à la visée du texte adopté il y a deux ans - sans pour autant créer réellement des droits pour les justiciables. 

Ce productivisme frénétique en matière de procédures pénale et civile est assumé : l’étude d’impact relève d’ailleurs en plusieurs occurrences que certaines dispositions ont pour objet de « corriger des erreurs et imprécisions » des lois précédentes. Les parlementaires ont voté en 2019 une expérimentation pour trois ans des cours criminelles? Cela ne les engage pas à exiger d’aller au bout de ce qu’ils ont eux-même décidé, et ils s’apprêtent à voter leur généralisation avant terme. Nous avons ainsi rappelé à Monsieur Mazars, qui avait présidé une mission flash sur les cours criminelles à l’automne dernier, que nous lui avions fait part, lorsqu’il nous avait entendu dans ce cadre, de notre crainte que ces évaluations avant terme ne soient faites pour accélérer la généralisation...

Nous avons enfin souligné que la chancellerie n'avait, elle-aussi, procédé qu'à une consultation de façade des organisations syndicales et professionnelles de la justice, en rappelant le boycott par l’ensemble des organisations des comités techniques sur le projet de loi. C’est uniquement à notre demande que nous avions été précédemment reçus par le directeur des affaires criminelles et des grâces et le directeur des services judiciaires, à qui nous avons fait part de nos très fortes critiques sur la qualité et le contenu du projet de loi, mais l’administration centrale n’a organisé aucune concertation digne de ce nom sur l’élaboration de ce texte. Dans l’étude d’impact, la chancellerie paraît estimer que les consultations menées elles-aussi au pas de course par la commission Mattei en ont tenu lieu, alors même que le projet de loi est bien plus large que l’objet de cette commission et que celle-ci n'a d'ailleurs pas consulté les organisations syndicales de fonctionnaires.

L’étude d’impact est souvent indigente, quand elle ne flirte pas avec l’exercice de communication politique : elle comporte de longs développements rappelant l’historique législatif sur les sujets du projet de loi, mais devient quasi inexistante - voire mensongère - dès lors qu’il s’agit d’évoquer le nombre de magistrats et greffiers nécessaires pour remplir les nouvelles attributions qui seront prévues par la loi. Pour en donner un exemple, la chancellerie évalue que pour la prolongation potentielle de 28 000 enquêtes préliminaires par année, en application des nouvelles dispositions relatives aux délais butoirs, 4,2 ETP supplémentaires de magistrats seront nécessaires, en se référant faussement à une évaluation du rapport Michel qui ne concerne absolument pas ce type de mesure. Quant au travail supplémentaire concernant le suivi de la durée des enquêtes par le parquet pour vérifier si elles ont atteint le délai butoir, il n’est tout simplement pas évalué. 

Nous poursuivrons notre travail de critique point par point de ce texte auprès des parlementaires, malgré la dégradation continue du processus législatif et des termes du débat public sur la justice, dégradation à laquelle contribue activement le gouvernement.