Le bureau du Syndicat de la magistrature a assisté le 20 octobre à une réunion de présentation des modalités de participation des organisations syndicales aux états généraux, animée par la conseillère dialogue social du cabinet du ministre et le chargé de mission ayant coordonné la première phase de lancement des états généraux, en présence du DAP, du DAP adjoint, de la SG, et d’un représentant de la DSJ. 

Avant d’indiquer quelles informations nous avons obtenues de la chancellerie, une courte (la plus possible…) description du dispositif s’impose. La configuration des travaux qui ressort du site « Parlons justice » est la suivante : des contributions individuelles selon des questionnaires totalement orientés (trois types de questionnaires selon qu’on est « citoyen », « magistrat ou agent public » ou « partenaire ») et dont certaines questions confinent à l’absurdité pourront être adressées en ligne à la plateforme. Des contributions collectives, par exemple pour des associations, ou les syndicats professionnels, ou encore résultant de l’organisation, par les « professionnels de justice », d’ateliers locaux avec les citoyens, peuvent être également adressées à la plateforme : la lecture des modèles de contributions à remplir montre que, dans la forme, elles ne seront pas très différentes des réponses aux questionnaires individuels puisqu’il s’agit d’envoyer un tableau avec deux colonnes (une problématique, une idée pour y répondre), c’est-à-dire une liste à la Prévert d’idées « disruptives », et non de procéder à une analyse sérieuse du fonctionnement de la justice pris dans son ensemble. 

Toutes ces contributions « alimenteront » la réflexion d’ateliers nationaux, les uns « thématiques », composés de professionnels, et les autres « délibératifs », composés de citoyens. Des membres de ces différents ateliers devront ensuite travailler ensemble au sein d’ateliers « de convergence », qui rendront in fine leurs propositions au « comité indépendant ». Ce sont quelques demi-journées de travail qui sont annoncées dans le planning en ligne pour les réunions de ces différents ateliers. 

De plus, des fiches thématiques indigentes et orientées (procédure pénale, civile, organisation de la justice…) figurent sur la plateforme et sont censées être la base de travail des ateliers « thématiques » et « délibératifs » ainsi que des « ateliers locaux » : elles ressemblent en tout point, dans les questions qu’elles soumettent à la réflexion collective, à celles qui ressortent des questionnaires individuels.   

Nous avons bien compris, à la lecture des questionnaires ainsi que des éléments attendus dans les contributions collectives à adresser en ligne, et en prenant connaissance du séquençage des travaux, que le but évident de cette opération est de permettre au gouvernement, s’il est réélu, d’appliquer son projet pour la justice (affaiblissement de l’institution et des garanties pour les justiciables par la réduction du périmètre d’intervention de la justice, la fragilisation du statut… en un mot tout ce qui permet de mettre en sourdine le rôle de la justice dans les équilibres démocratiques et de réaliser de substantielles économies) en y apposant le cachet « les citoyens ont approuvé ». 

Nous ne nous sommes ainsi pas rendus à cette réunion avec l’espoir qu’on nous explique comment la voix des professionnels de justice serait entendue (puisque le but de toute l’opération est qu’elle ne le soit pas) mais avec des questions précises pour obtenir de la transparence sur les rouages du processus mis en place, afin de pouvoir mieux mesurer le sérieux ou l’absence de sérieux de ce qui en ressortira. Le fait de vouloir donner la parole aux citoyens sur le fonctionnement de la justice eut pu être une bonne idée, si cette parole n’était pas en réalité immédiatement confisquée par les modalités totalement orientées, préfigurées voire biaisées de la consultation. Il s’agit ainsi, pour nous, de déterminer précisément dans quelle mesure ce « grand travail démocratique », comme l’a indiqué Eric Dupond-Morettisur France Inter hier matin, n’en est en réalité pas un. 

Il a été avancé par le ministère, en introduction de la réunion, que le caractère fermé de certaines questions en ligne s’expliquait par le fait que l’élaboration des questionnaires faisait suite à une synthèse des idées les plus répandues dans la population résultant des différents sondages sur la justice et recherches réalisés ces dernières années… La commande présidentielle étant essentiellement, par cet exercice, de répondre à la défiance qui s’exprime contre la justice, l’idée est, nous dit-on, de partir des critiques et constats des citoyens et de les amener à faire des propositions sur ces points, tout en évitant que les citoyens fassent des propositions fantaisistes. 


Cette explication ne résiste cependant pas à l’analyse du questionnaire, qui en reprenant certains constats induit aussi les réponses à y apporter. 

Concernant le panel de 50 citoyens devant composer l’atelier « délibératif », il nous a été précisé qu’ « on va les informer, les aviser » avant de leur demander de se réunir pour préparer des propositions.

Concernant les contributions des organisations syndicales, elles pourront avoir lieu pendant la phase de consultation (jusqu’au 3 décembre) par le biais de l'envoi d’une contribution par la plateforme (les tableaux), ou en participant localement aux ateliers, ou enfin en adressant une contribution écrite aux ateliers thématiques. Chaque atelier étant « indépendant » dans sa manière de conduire les travaux, la chancellerie n’a pas pu nous indiquer si des auditions des syndicats seraient organisées par leurs soins. 

Renonçant à faire entendre à la chancellerie les éternelles complaintes qui s’expriment dans le cadre de ces réunions de « dialogue social », le Syndicat de la magistrature a posé les questions suivantes, afin d'éclairer chacun sur la méthodologie retenue : 

- Vous engagez-vous à adresser aux organisations syndicales la composition des ateliers thématiques et les lettres de mission qui ont été adressées par le garde des Sceaux aux chefs de file de ces ateliers ? 
Après quelques hésitations, il nous a été répondu que oui. Il est vrai qu’il aurait été difficile de proposer des contributions à ces ateliers, comme la chancellerie nous a invités à le faire, sans en connaitre la composition… La chancellerie a finalement tiré les conséquences de cette légère contradiction. 

Qui a choisi les membres de ces ateliers thématiques : le « comité indépendant » ou la chancellerie et comment ?
La réponse n’a pas été claire, mais le « on a choisi » lorsqu’il était question du choix des membres du comité permet de penser qu’il s’agit de la chancellerie. 

- Quelle est la composition des ateliers délibératifs avec panel de citoyens (comment sont choisis les citoyens) puis des ateliers de convergence ?
La chancellerie nous a précisé qu’une case à cocher à la fin du questionnaire en ligne « citoyens » permet de se porter volontaire pour en faire partie, et que 160 demandes sont déjà formulées. La chancellerie compose ensuite un panel de citoyens en respectant les différents éléments de diversité. Il convient cependant de relever que la chancellerie saura, en choisissant tel ou tel citoyen pour composer le panel, quel sont ses réponses sur les questions formulées en ligne….

- Qui anime l’information préalable des citoyens de ces panels sur le fonctionnement de la justice et pendant combien de temps ? La chancellerie ?
Pas de réponse.

- Par qui sont traitées et agrégées les contributions individuelles et collectives reçues en ligne ? Les membres des ateliers thématiques et délibératifs directement ? Plus vraisemblablement des intermédiaires, et de qui s’agit-il ?
Le prestataire avec lequel la chancellerie a contracté pour ces états généraux est « BlueNove ». Il nous a été indiqué qu’ils disposaient d’une expérience permettant d’agréger y compris les contributions comportant des « verbatims », et non seulement les questionnaires et contributions sous forme de tableau.

- Vous engagez-vous à nous faire parvenir les contrats du ou des marchés avec le ou les prestataires ayant conçu la plateforme en ligne de consultation « Parlons justice », chargés de son suivi technique, de la conception de son contenu (les questionnaires), de l’exploitation dudit questionnaire, de la communication (réseaux sociaux, internet, media…) sur la consultation en ligne et sur les états généraux eux-même, et de l’organisation de l’événement à Poitiers ? Etant précisé que pour un exercice qu’on veut démocratique, ce dont nous doutons fortement, la transparence est de mise sur ces éléments. 
Pas de réponse de la secrétaire générale à ce stade.

- Qui a élaboré les questionnaires et les fiches thématiques ?
Pas de réponse précise, on comprend qu’il s’agit de la chancellerie avec « BlueNove », en tout cas ce n’est pas le "comité indépendant". 

- Qui décide de référencer les ateliers locaux, puisqu’il est demandé aux professionnels souhaitant en organiser de les faire référencer en adressant une demande (à qui ?) via la plateforme ?
Le référencement est automatique dès lors que l’atelier est proposé par un professionnel. 

- De qui est attendue précisément l’organisation de ces ateliers locaux ? Les chefs de cour et de juridiction sont-ils invités par la chancellerie à le faire ou à le faire faire ?
La DSJ répond que les chefs de cour ont été incités à organiser des AG ou des conseils de juridiction voire des ateliers avec une approche plus large comportant des citoyens (avant le 3 décembre, donc…). 

- Comment pensez-vous qu’il est possible pour les syndicats d’adresser une contribution quand on voit le format attendu ?
Les contributions seront prises en compte même si elle ne respectent pas le format « tableau à la Prévert » et le canevas fixé dans les fiches thématiques (grâce à la grande expérience de « BlueNove »). 

Les rênes sont ainsi confiées à un prestataire privé qui agrégera des milliers de contributions de formats différents pour les remettre aux membres des ateliers, selon une méthode qui n’est pas connue... Par ailleurs, nous avons pu constater qu’il est possible d'envoyer autant de fois que souhaité des contributions, à partir du même ordinateur…