Madame la Directrice,

Nous souhaitons vous interpeller sur plusieurs sujets d'une actualité urgente et pour lesquels la direction des services judiciaires semble oeuvrer dans une totale opacité et sans souci de dialogue social.

1- La réforme de la carte judiciaire et la gestion des effectifs:

La dernière transparence démontre que les juridictions bientôt supprimées voient leurs effectifs diminuer au gré des départs, sans pour autant que les juridictions de rattachement se voient affecter des emplois de magistrat ou de greffe supplémentaires, et sans que l'on se préoccupe des modalités de fonctionnement des juridictions supprimées jusqu'à leur fermeture. Sur le terrain, ce sont les justiciables qui vont pâtir de cette situation en raison des retards dans le traitement judiciaire des affaires immanquablement générés par cette situation de pénurie. En outre, ces retards se répercuteront sur les juridictions de rattachement au moment de l'entrée en vigueur de la réforme.

De la même façon, dans de nombreuses juridictions, des postes d'instruction sont laissés vacants sans explication ni directive générale permettant d'expliquer une telle situation, y compris dans les juridictions désignées comme pôle de l'instruction et pour lesquelles la collégialité doit pourtant être effective au 1er janvier prochain.

Pire, alors que l'article 31 du statut prévoit une priorité statutaire pour nos collègues des juridictions supprimées, la chancellerie semble appliquer cette disposition légale de manière variable sans égard pour les collègues concernés. C'est ainsi, par exemple, qu'un juge d'instance d'une juridiction supprimée qui demandait sa mutation dans un Tribunal de grande instance limitrophe, s'est vu préférer d'autres collègues qui ne bénéficiaient pas de la priorité statutaire.

2- Une politique de suppression d'emplois non assumée:

Là encore, la dernière transparence est révélatrice de la mise en oeuvre d'une politique de rigueur qui ne dit pas son nom au sein des services judiciaires. De nombreux postes restent vacants sans que les juridictions ne comprennent ces non remplacements. Dans certaines juridictions, cette situation prend une dimension scandaleuse. C'est le cas par exemple du Tribunal de Lyon où l'effectif, après le mouvement annoncé, sera de – 7 magistrats.

A cet égard, nous souhaiterions connaître les prévisions 2009/2010 de départ en retraite car les arrêtés d'ouverture de concours ont prévu pour 2009-2010 une réduction drastique de l'effectif (80 au concours étudiant et des promotions de 140 en intégrant les deuxième, troisième concours et articles 18)

3- La réforme des tutelles et les visites en région de la direction des services judiciaires:

Nous apprenons par nos collègues de juridiction que vous avez entamé des visites en région sur la difficile réforme des tutelles. En effet, cette mise en oeuvre qui suppose une révision de toutes les mesures d'ici trois ans sous peine de caducité, entraîne une surcharge de travail conséquente pour les magistrats et les greffes concernés. Or, aucun moyen nouveau n'a été prévu pour y faire face. Pire, la réforme de la carte judiciaire, effective pour les tribunaux d'instance au 1er janvier 2010, s'effectue sans que les effectifs des tribunaux supprimés soient toujours ré-affectés dans les tribunaux de rattachement, ce qui aggrave encore les conséquences de la réforme des tutelles.

Il semble qu'au cours de vos visites, vous n'hésitiez pas à affirmer que ces moyens nouveaux en personnels ne sont pas forcément nécessaires en raison de futurs transferts de contentieux censés décharger l'instance.

Il serait ainsi indiqué que les injonctions de payer seront bientôt confiées aux huissiers et que le contentieux du crédit supérieur à 10.000 euros sera transféré au Tribunal de grande instance.

Ces annonces de transfert de contentieux nous apparaissent plus que choquantes, d'abord parce qu'elles sont en contradiction avec les propositions de la commission Guinchard, ensuite parce que si de tels projets sont à l'étude, les organisations professionnelles n'ont aucunement été consultées ni averties.

4- Le déploiement de Cassiopée:

Nous sommes particulièrement inquiets d'apprendre qu'une décision de généralisation de l'implantation de ce logiciel aurait été prise le 20 février 2009 alors que les déploiements déjà effectués ont démontré les imperfections de Cassiopée et sa nécessaire amélioration. En effet, ce logiciel comprend tout d'abord des défauts graves de conception. Par exemple en matière de CRPC, le renvoi pour expertise de la victime n'est pas prévu; à l'instruction l'ouverture d'un dossier contre X et personnes dénommées n'est pas non plus possible; le tableau de suivi de la détention provisoire, cabinet par cabinet n'a pas été prévu, etc...

Or, il semble que les évolutions de ce logiciel, pour réparer ce type d'erreurs de conception, nécessitent à chaque fois des discussions financières avec le maître d'oeuvre, la société ATOS. Ce fonctionnement est évidemment peu propice à une amélioration rapide et certaine.

De même, l'impréparation des juridictions à l'implantation de Cassiopée est patente. Aucune information préalable sur la nécessaire réorganisation fonctionnelle du greffe, ni aucun moyen en personnel ne sont fournis pour permettre une implantation dans des conditions optimales.

En outre, l'architecture de Cassiopée s'inscrit dans une vision verticalisée du fonctionnement du parquet alors que la Chancellerie, au travers notamment des missions d'inspection des juridictions, prône une organisation horizontale du greffe avec notamment un seul bureau d'ordre.

Surtout, le fonctionnement de Cassiopée, notamment en ce qui concerne l'instruction, semble ne pas respecter le principe du secret de l'instruction et les actes effectués par les juges seraient consultables facilement.

Enfin, les évolutions ultérieures de Cassiopée qui prévoient des connections avec les logiciels utilisés par les services de police et de gendarmerie supposent que des garanties claires soient données quant au respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Toutes ces inquiétudes nous conduisent à solliciter un moratoire quant à l'implantation de Cassiopée et la mise en place d'une véritable concertation afin que les juridictions n'aient pas à subir des suites ininterrompues de dysfonctionnements lors de l'installation de ce logiciel.

A minima, il nous apparaît que l'implantation de Cassiopée dans les juridictions de grandes tailles doit être suspendue dans l'attente de ces améliorations indispensables. L'exemple du tribunal de grande instance de Bordeaux est à cet égard révélateur des difficultés que posent Cassiopée dans les juridictions importantes. Contrairement à ce qui a pu être suggéré, ce n'est pas « la résistance au changement » de la part des personnels qui a pu déclencher de vives protestations dans cette juridiction, mais bien l'inadaptation de Cassiopée aux réalités de fonctionnement de la chaîne pénale.

Au total, nous constatons que les conditions de travail des magistrats comme des fonctionnaires de greffe se dégradent. L'opacité des décisions prises, sans considération pour ceux qui les subissent, participe de ce malaise général.

C'est pourquoi, nous espérons obtenir des réponses rapides et précises à toutes nos interrogations et sollicitons en urgence une réunion avec vos services pour qu'enfin un dialogue social s'instaure.

Nous rappelons à ce titre que, malgré vos engagements, aucune concertation n'a eu lieu s'agissant de la mise en place des plate-formes inter-régionales, alors que le groupe de travail des services judiciaires a rendu son rapport depuis plusieurs semaines.

Nous adressons copie de ce courrier à monsieur le directeur de cabinet de Madame la garde des Sceaux et à monsieur Azibert, secrétaire général.

Nous vous prions de bien vouloir agréer, Madame la directrice des services judiciaires, l'expression de notre haute considération.


Pour le Syndicat de la magistrature/
Emmanuelle PERREUX, présidente


copie à
- Monsieur le directeur de cabinet de madame le Garde des Sceaux
- Monsieur le secrétaire général