Il a bien failli passer inaperçu, mais le récent projet de loi de programmation militaire pour les années 2009-2014 contient un très sulfureux chapitre VI qui a fini par attirer l’attention de la commission des lois et qui mérite que chacun s’y intéresse.

Ce texte vise en effet à la fois à étendre le champ du secret-défense et à limiter drastiquement les pouvoirs d’enquête des juges d’instruction.

Il a été conçu à la suite d’investigations qui ont semé l’émoi dans les milieux politiques et militaires : l’instruction de l’affaire des frégates de Taïwan, la perquisition entreprise à l’Elysée dans l’affaire Borrel et surtout celle effectuée dans l’affaire Clearstream au siège de la DGSE.

Alors qu’en l’état du droit, seuls des documents peuvent être classifiés, le projet de loi prévoit de protéger des lieux entiers.

Il s’agit d’abord de protéger des endroits « déclarés » comme étant « susceptibles d’abriter des éléments couverts par le secret de la défense nationale ». La formule est extrêmement vague et le texte ne dit ni qui pourrait faire cette déclaration, ni comment elle devrait être effectuée, ni quelle publicité lui serait donnée, ni encore à quel contrôle elle serait soumise…

S’agissant des zones concernées, tout aussi indéfinies, l’exposé des motifs précise qu’il pourrait s’agir notamment de « locaux d’entreprises privées intervenant dans le domaine de la recherche ou de la défense ». Ainsi, de grands groupes industriels (MONSANTO, THALES, AREVA…) pourraient bénéficier d’une protection globale au motif qu’ils détiendraient peut-être des documents classifiés…

Avant de perquisitionner dans ces lieux « déclarés », le juge d’instruction devra prendre rendez-vous avec le président de la Commission Consultative du Secret de la Défense Nationale (CCSDN) pour qu’il l’accompagne lors de ses opérations. Surtout, il aura l’obligation d’indiquer par écrit les motifs de la perquisition et les documents recherchés !

Pire, le projet de loi prévoit la possibilité de classifier purement et simplement des lieux, en raison des « installations » ou des « activités » qu’ils abritent, sans plus de précision. Pour effectuer une perquisition dans ces zones, le juge d’instruction devra non seulement être accompagné du président de la CCSDN, mais aussi obtenir une décision de déclassification préalable. Or, cette décision sera prise… par le pouvoir exécutif lui-même. Autant diffuser un communiqué de presse annonçant la perquisition !

Enfin, même dans les lieux non protégés (mais en restera-t-il ?), le juge d’instruction qui tombera par hasard sur un document classifié devra interrompre sur le champ sa perquisition, le temps que le président de la CCSDN se déplace pour le surveiller. Il va devenir vraiment très difficile de perquisitionner dans certains locaux, par exemple à Papeete…

Officiellement, il est question de protéger les « intérêts fondamentaux de la Nation ». Pourtant, l’article 413-11 du Code pénal réprime déjà le fait de prendre connaissance d’un document classifié et aucun magistrat n’a été mis en cause pour ce délit à ce jour.

En réalité, le gouvernement sort l’artillerie lourde pour entraver, voire neutraliser, le travail des quelques magistrats qui sont encore en mesure d’enquêter sur des dossiers gênants.

Ce projet s’inscrit d’ailleurs dans la droite ligne de la volonté du chef de l’Etat de dépénaliser le droit des affaires et de supprimer le juge d’instruction pour confier toutes les enquêtes pénales à un parquet de plus en plus dépendant de l’exécutif.

Le Syndicat de la magistrature combat cette nouvelle atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire et refuse cette conception d’une justice pénale à deux vitesses avec, d’un côté, des citadelles d’impunité pour les puissants et, de l’autre, une politique ultra-répressive pour les plus faibles.