Invité hier de l’émission politique « Dimanche + », Henri Guaino – qui occupe depuis mai 2007 le poste ésotérique de « conseiller spécial du président de la République » – a livré quelques unes de ses profondes pensées sur la justice.

A propos du grave accident qui a coûté la vie à trois personnes et en a blessé trois autres samedi soir à Chelles (Seine-et-Marne), il a ainsi déclaré – avec cette tranquille assurance des gens de pouvoir qui pensent pouvoir dire n’importe quoi en toutes circonstances, surtout les plus douloureuses – que, s’il était avéré que le chauffard était ivre, du chef de l’Etat.

Il y a tout dans ce

« Jamais ! » : le vol de la souffrance et de la parole des victimes, immédiatement dépossédées de leur histoire par les professionnels du storytelling répressif et réduites au rang de prétextes ; le vieux fantasme de l’élimination des « irrécupérables », ces hommes qu’il ne faudrait plus regarder comme des hommes, qui s’excluraient d’eux-mêmes de la communauté humaine, au point qu’il n’y aurait plus qu’à les « neutraliser », définitivement, car on sait ce qu’ils sont

; la comparution politique immédiate, qui veut que l’on soit jugé avant d’avoir été poursuivi et défendu, par le tribunal spontané des officiels indignés/indignés officiels ; le mensonge – devenu banal – qui consiste à faire croire aux victimes et à tous ceux qui s’identifient aux victimes, c’est-à-dire à tout le monde, que cette exclusion est possible, que le droit et la justice sont là pour ça, pour les venger, qu’ils sont les instruments de leur colère…

Avant que Monsieur Guaino ne s’étonne – si, par impossible, il s’intéresse encore à cette affaire – de ne pas voir l’intéressé condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, rappelons que l’article 221-6-1 du Code pénal punit un tel homicide involontaire d’une peine de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (le double en cas de récidive légale). Mais le message est passé : honte et gare aux juges qui – pour des raisons obscures aux yeux d’un conseiller de l’Elysée – ne prononceraient pas ce maximum !

Une poignée de secondes plus tard, interrogé sur la décision rendue vendredi par la Cour de cassation concernant la garde à vue, Henri Guaino l’a qualifiée de .

Ainsi, pour ce juge de gouvernement, les juges sont là pour pallier les carences du gouvernement. On l’avait vu venir : si la garde à vue est aujourd’hui organisée par une simple circulaire, ce n’est pas, surtout pas, parce que le gouvernement a attendu des années avant d’entreprendre de la réformer pour qu’elle respecte enfin la Convention européenne des droits de l’Homme, c’est parce que la Cour de cassation refuse de tordre le droit pour lui donner quelques mois de répit supplémentaires !

Monsieur Guaino n’en est pas à son coup d’essai : en novembre 2008, il avait qualifié de « parfaitement incongrue, scandaleuse, moralement inacceptable » la décision du tribunal de Paris déboutant Nicolas Sarkozy qui demandait l’arrêt de la commercialisation d’une poupée vaudou à son effigie…

Décidément, la France et le monde doivent beaucoup à Henri Guaino. Grâce à lui, Léon Blum, Jean Jaurès et Guy Môquet sont devenus des clins d’œil droit. Grâce à lui, la

« liquidation de Mai 68 » a été érigée en programme politique. Grâce à lui, « l’homme africain » sait qu’il n’est pas « assez entré dans l’Histoire »

. Grâce à lui, il est acquis qu’un conseiller du Prince peut piétiner la justice en toute sérénité.

Henri Guaino restera certainement dans l’Histoire…


Ce texte a également été publié sur le site d'information et de débat Rue89 sous la forme d'une tribune signée par Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature :

http://www.rue89.com/2011/04/18/henri-guaino-conseiller-tres-special-qui-pietine-la-justice-en-toute-serenite-200440

Interview de Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature, sur Europe 1 :


"C'est pas la victime qui juge" par Europe1fr