Les déclarations d’Eliane Houlette, ancienne cheffe du parquet national financier (PNF), devant la commission d’enquête parlementaire sur les obstacles à l’indépendance de la justice ouvrent, sans surprise, une nouvelle phase de glapissements de responsables politiques criant au complot et au cabinet noir – les mêmes qui, en responsabilité, n’ont jamais songé à modifier la loi pour que les pratiques décrites dans cette audition soient interdites.
Car ce qui est raconté par cette ancienne procureure, aujourd’hui à la retraite, et qui n’a plus à craindre pour la suite de sa carrière, est tout simplement la mise en œuvre des textes :
- l’article 36 du code de procédure pénale, qui dispose que « Le procureur général peut enjoindre aux procureurs de la République, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le procureur général juge opportune »,
- l’article 39-1 du même code qu’« Outre les rapports particuliers qu'il établit soit d'initiative, soit sur demande du procureur général, le procureur de la République adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale»,
- l’article 35 prévoit enfin que « outre les rapports particuliers qu'il établit soit d'initiative, soit sur demande du ministre de la justice, le procureur général adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale ». La circulaire du 12 septembre 2012 insiste d’ailleurs sur le fait que « les parquets généraux doivent informer de manière régulière, complète et en temps utile l'administration centrale du ministère de la justice des procédures les plus significatives » et qu’« il conviendra de suivre plus particulièrement les procédures présentant les caractéristiques suivantes : […] qualité des mis en cause ou des victimes, […] médiatisation effective ou probable ».
Ce rappel exhaustif des textes peut paraître fastidieux : il a pour objet de démontrer point par point que le récit d’Eliane Houlette, qui provoque un tel tollé, est celui de pratiques parfaitement habituelles et conformes à la loi. Elle affirme par ailleurs avoir ressenti une pression de sa hiérarchie, en raison du caractère incessant des demandes d’information - leur périodicité n’étant d’ailleurs pas prévue par les textes - et avoir pris l’ensemble des décisions de l’enquête de son propre chef.
Cette illustration des dispositions légales dans une affaire particulière met en lumière - comme le brandissement par Christiane Taubira des fiches d’action publique dans l’affaire « Bismuth » et la condamnation de Jean-Jacques Urvoas par la Cour de justice de la République, pour avoir transmis des éléments d’une enquête à une personne visée par celle-ci alors qu’il était garde des Sceaux l’avaient déjà démontré - le caractère éminemment problématique de ces remontées d’informations prévues par la loi. Couplées avec la nomination des procureurs de la République par le garde des Sceaux, elles constituent des obstacles majeurs à une véritable indépendance de la justice.
D’une part, il ne peut y avoir de confiance des citoyens dans les décisions de justice quand chacun sait que le pouvoir en place a entre les mains les éléments précis et circonstanciés des enquêtes en cours, ce qui le met en mesure d’intervenir - les instructions individuelles du ministre de la justice étant désormais prohibées - et ne peut que faire naitre le soupçon. D’autre part, la pression décrite par l’ancienne procureure nationale, découlant de demandes incessantes de sa hiérarchie qui procède par ailleurs à son évaluation, ne met pas, au bas mot, les procureurs dans la position de prendre sereinement leurs décisions dès lors qu’ils savent que le ministre de la justice piochera, dans une liste de plusieurs candidats aux profils équivalents, celui qui obtiendra le poste de procureur dans la prochaine juridiction convoitée.
Les remontées d’information ne sont le plus souvent justifiées par rien d’autre que le désir malsain du pouvoir politique de connaître les avancées de l’enquête, quitte à en faire parfois un très mauvais usage. Il est grand temps de passer aux actes et de les interdire.
Une saisine pour avis sur ce point du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), qui assiste le Président de la République dans sa mission de garant de l’indépendance de la justice, s’impose afin de faire taire le soupçon et de sortir de ces pratiques d’un autre âge.
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