Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature en réaction aux annonces de la Garde des Sceaux le 10 septembre 2014 sur "la justice du 21e siècle"

Dans un document mis en ligne sur le site du ministère de la justice, la garde des Sceaux annonce la prochaine mise en œuvre d’une série de mesures destinées à « améliorer la justice au quotidien » en la rendant plus proche, plus efficace et plus protectrice. Belle ambition, qui ne peut qu'être partagée par tous, en cette période où les droits des plus fragiles sont régulièrement remis en cause ou sacrifiés par ce gouvernement sur l’autel de « l’efficacité économique ».

Les choses avaient pourtant plutôt mal été engagées car ce n'est assurément pas la création d'une juridiction de première instance - hyper-structure qui aurait entraîné la perte d’autonomie du tribunal d’instance, juridiction du quotidien clairement identifiée et facilement accessible, et la mutualisation des magistrats et fonctionnaires pour gérer la pénurie au détriment de la qualité de la justice – initialement envisagée par la garde des Sceaux et présentée comme le choix du Président de la République, qui était de nature à répondre à cette ambition … Le Syndicat de la magistrature, qui s'est fortement mobilisé, au plan national et en juridictions, avec les organisations syndicales de fonctionnaires, contre ce projet, est donc satisfait que les personnels de justice aient été entendus et que cette « fausse bonne idée » ne figurant pas au nombre des propositions déclinées par la garde des Sceaux, soit ainsi définitivement abandonnée !

Ouvrir la justice aux citoyens, rendre dans les faits plus aisé l'accès au droit et au juge, développer les modes alternatifs de règlement des conflits, faciliter les démarches et donner les moyens à la justice d'être plus à l'écoute, telles sont pour le Syndicat de la magistrature les principes qui doivent prévaloir pour rendre la justice « plus proche et plus efficace ».

Ainsi, la création de points d’accès uniques à la justice que sont les « guichets uniques de greffe », que le Syndicat de la magistrature appelle de ses vœux depuis de très longues années, ou d’un portail internet, permettant aux justiciable d'obtenir des informations ou d'effectuer des démarches de manière plus simple, voire sans se déplacer, vont dans le bon sens même si la pénurie budgétaire est encore invoquée pour ne lancer pour l'heure que des « expérimentations »…

De même que la création de « conseils de juridiction », lieux d’échanges entre les représentants de la justice et la société civile. Car rendre la justice accessible, c’est aussi la rendre plus compréhensible et plus lisible pour les citoyens, l’ouvrir sur une société confrontée à la précarité et à une demande forte de justice. Plus que jamais l’institution judiciaire a tout à gagner à ce rapprochement, qui n’est pas destiné à la déposséder de ses attributions, mais à permettre à tous les personnels de justice, et aux représentants de la société civile, de définir, ensemble, dans le respect de l’indépendance juridictionnelle les besoins de justice locaux plutôt que de subir, comme lors de la réforme de la carte judiciaire, les décisions gestionnaires prises d’en haut.

Le Syndicat de la magistrature, qui réclame cette avancée avec insistance depuis très longtemps, ne peut par ailleurs que se féliciter de l’annonce par ce gouvernement - qui jusqu’alors n’a pas brillé par la mise en œuvre de réformes destinées à renforcer les droits et les libertés dans ce pays, comme en témoigne le dernier projet de loi en matière de terrorisme … - de sa volonté d’accorder des garanties statutaires à l’un de ses acteurs essentiels, le juge des libertés et de la détention.

Mais ces évolutions ne doivent pas être les arbres qui cachent – mal – les lacunes du projet et les difficultés croissantes de l’institution à remplir ses missions.

Impossible en effet de parler d’accessibilité de la justice sans mener une politique volontariste en matière d’aide juridictionnelle, condition et fondement d’un accès à la justice égal et effectif pour tous. Au premier chef pour les plus démunis qui, plus que d’autres confrontés à la justice dans tous les aspects de leur vie quotidienne, doivent se voir garantir un droit effectif à l’assistance par un avocat. Il est regrettable que le projet présenté en conseil des ministres fasse l’impasse sur ce sujet essentiel pour lequel se sont pourtant mobilisés avocats et magistrats ces derniers mois.

Tout aussi impossible de continuer à dissimuler la misère de l’institution judiciaire qui ne parvient à remplir ses missions qu’en sacrifiant les droits des justiciables au travers de procédures expéditives et en laissant se dégrader les conditions de travail des fonctionnaires et des magistrats. Des choix doivent être faits, en terme de déjudiciarisation et de dépénalisation, et non de « répression plus rapide et efficace » de certains délits grâce à un « dispositif d’amendes lourdes et systématiques », peu respectueux des droits des justiciables. C’est à ce prix que le service public retrouve sa capacité d’écoute du justiciable, et que les missions essentielles du juge – garantir les libertés individuelles, protéger les plus faibles, tout autant que dire le droit - soient préservées.

Impossible enfin de développer la médiation sans améliorer le financement des associations, pour certaines à l'agonie, et en diminuer le coût pour l'usager, comme d'améliorer l'accès au droit sans généraliser la présence des greffiers dans les maisons de justice.

Le Syndicat de la magistrature regrette qu'une fois de plus les mesures annoncées ne soient pas à la hauteur des ambitions affichées et que les questions essentielles, que sont la place de la justice dans la société, les missions qui lui sont confiées, les moyens qui lui permettront de les remplir, soient éludées, l’heure des choix étant remise à plus tard.