A la stupéfaction d’une grande partie du monde judiciaire, Eric Dupond-Moretti a été reconduit dans ses fonctions de garde des Sceaux.

Stupéfaction devant une décision incompréhensible : la reconduction d’un garde des Sceaux mis en examen pour des suspicions de conflits d’intérêts consistant à utiliser ses pouvoirs disciplinaires de ministre contre des magistrats dont les pratiques lui ont déplu lorsqu’il était avocat ; la reconduction d’un garde des Sceaux qui n’a pas contesté avoir empêché la nomination du juge d’instruction appelé à prendre la tête du pôle économique et financier de Paris, qui n’était pas celui de son choix ; la reconduction d’un garde des Sceaux qui, vantant son bilan après 16 mois à la tête du ministère, a déclaré publiquement concernant les effectifs de greffe et de magistrats : « on n’est pas loin du bon chiffre », suscitant la colère du monde judiciaire, excédé par ce mensonge ; la reconduction d’un garde des Sceaux qui évite de trop rencontrer les magistrats, avec lequel les organisations syndicales de fonctionnaires de greffe et de magistrats ne dialoguent plus depuis des mois, et qui dirige ainsi l’action de son ministère en se dispensant de l’avis de nombreux professionnels de justice.

Si notre organisation a, à plusieurs reprises, critiqué le bilan du ministre reconduit ainsi que sa méthode – marquée par la défiance et le mépris à l’égard des membres de l’institution judiciaire et la précarisation de nos métiers – il n’est guère surprenant que ce bilan soit conforté par le président de la République qui lui avait donné sa feuille de route. En revanche, le Syndicat de la magistrature est stupéfait du peu de réactions suscitées par une telle reconduction, en son principe. Laisser à la tête du ministère un garde des Sceaux qui s’est distingué par des atteintes portées à l’indépendance de la justice démontre une absence de prise de conscience de la gravité de ces atteintes, considérées comme mineures. Elles font pourtant le lit, petit à petit, atteinte après atteinte, d’une soumission toujours plus grande de l’autorité judiciaire au pouvoir exécutif, dans un silence institutionnel assourdissant.

Abandonnées, les promesses d’une « République exemplaire » dans laquelle « la persistance de manquements à la probité parmi des responsables politiques » était identifiée comme le « principal danger pour la démocratie », et un ministre mis en examen se devait de démissionner ? Douché, l’espoir que le président de la République, garant constitutionnel de l’indépendance de l’autorité judiciaire, désigne un nouveau ministre pour mettre un terme à des ingérences intolérables, et ouvre une nouvelle page, celle du rétablissement de la confiance et d’une reprise du dialogue sur les nombreux chantiers qui s’annoncent déjà pour la justice ?

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