Le Syndicat de la magistrature a été consulté, dans le cadre de la commission permanente d'études, sur le projet de décret relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail.
Ce décret a pour objet :
- d'adapter la procédure prud’homale en premier ressort et en appel en conséquence, notamment, des dispositions de l'article 258 de la loi du 6 août 2015 dite « pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques » relatif à la justice prud'homale,
- de regrouper devant le tribunal d’instance l'ensemble du contentieux préélectoral de l’entreprise,
- de définir les modalités de traitement de la saisine de la Cour de cassation pour avis en matière d’interprétation de conventions et accords collectifs.
S'il ne contient pas les dispositions d'application auxquelles il est expressément renvoyé par la loi « Macron » mais relève au contraire de l'exercice par le gouvernement de son pouvoir réglementaire autonome en matière de procédure civile, nombre de ses dispositions s'inscrivent dans la logique et tirent les conséquences de la profonde réforme de l'institution prud'homale opérée par cette loi, trop symboliquement portée par le ministre de l'économie et elle même largement inspirée par le rapport « Lacabarats » qui en a été le prélude.
Sans revenir en détail sur l'ensemble des observations, pour beaucoup très critiques, que le Syndicat de la magistrature avait développées sur ce rapport et sur le projet de loi qui en est issu 1, il sera à nouveau relevé que prétendant moderniser la justice prud'homale et rationaliser le traitement du contentieux individuel du travail, cette réforme a d'abord consisté, en réalité, à atomiser les modalités de traitement de ce contentieux en multipliant à l'infini les formations de jugement compétentes et les modes alternatifs de règlement des litiges. Au point qu'il devient manifeste que le contentieux individuel du travail a aujourd'hui vocation à être traité soit hors du cadre judiciaire soit, dans ce cadre, par un juge professionnel et, en définitive, le moins souvent possible par la formation de droit commun du conseil de prud'hommes.
Ainsi ce projet de décret s'inscrit-il clairement dans la logique visant à vider progressivement et à bas bruit le paritarisme prud'homal de son contenu et ce, au motif avoué dans l'étude d'impact du projet de loi « Macron » que selon « le monde de l'entreprise », la structuration du marché du travail « trouverait son fondement dans le risque contentieux inhérent au contrat à durée indéterminée ».
Le Syndicat de la magistrature entend donc redire avec force que cette justification de l'annexion de la justice prud'homale à la cause de l'emploi vue au seul prisme des attentes des employeurs est inacceptable :
- d'abord parce qu'elle valide la thèse éculée et jamais démontrée selon laquelle la justice prud'homale constituerait un frein à l'embauche ;
- ensuite, parce qu'elle suggère que le recours aux conseils de prud'hommes des salariés licenciés serait nécessairement défavorable aux employeurs, postulant ainsi la partialité de la juridiction ;
- enfin parce qu'apparaît dans cette présentation l'idée que le risque de devoir justifier, devant un juge, du motif réel et sérieux d'un licenciement devrait être, sinon épargné aux employeurs, du moins relégué au rang d'exception ; autrement dit, que le droit fondamental des salariés licenciés de recourir au juge prud'homal devrait s'effacer au prétexte que son exercice desservirait l'emploi.
Le projet politique de mettre les employeurs à l'abri des aléas du risque contentieux a d'ailleurs éclaté au grand jour avec l'adoption, en fin de processus parlementaire et sans débat, de l'amendement du gouvernement instituant un plafonnement des dommages intérêts dus en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse, disposition heureusement annulée par le Conseil constitutionnel.
C'est donc dans la continuité de la dénonciation d’une justice prud’homale réadaptée aux attentes des seuls employeurs, dont les intérêts prennent curieusement les traits d’un objectif national, que le Syndicat de la magistrature analyse ce projet de décret....