Hasard du calendrier, l’exercice d’autosatisfecit du ministre de la Justice du 17 février - dont on ne sait s’il est un exercice de communication en vue de l’élection présidentielle ou s’il a pour objet de permettre le maintien d’Eric Dupond-Moretti à ses fonctions actuelles en cas de réelection -, est tombé quelques jours seulement après la publication de notre enquête sur la stratégie RH du ministère de la Justice. Pour faire sa com’, le ministère égraine, comme souvent, des chiffres qu’il est le seul à avoir en sa possession. Difficile de vérifier si ceux-ci sont avérés. Il est néanmoins certain que la communication du ministère se heurte au ressenti en juridiction, largement documenté dans notre enquête : si les stocks ont diminué – ce qui demeure à démontrer -, il ne s’agit pas tant d’une prouesse du ministre en place que des efforts fournis dans les juridictions. Les juristes assistants recrutés dans le cadre des deux campagnes de recrutement ont mis un certain temps pour prendre leurs marques – on ne peut leur en vouloir, ils n’ont pas été formés et les juridictions ont dû leur inventer des fiches de poste en toute urgence -, et pour l’heure, les efforts financiers engagés par le ministère ont été pour l’essentiel improductif.

L’exemple du civil – comme toujours, relégué en fin de communiqué de presse -, symbolise si besoin était la tambouille statistique à laquelle nous a habitué le ministère. Afin de démontrer l’efficacité de son action, il expose que, « sur 149 tribunaux judiciaires, des baisses moyennes de stock ont été constatées entre le 31 décembre 2020 et le 31 décembre 2021 dans les contentieux ciblés : -23,35 % de stock aux affaires familiales, -15,39 % du stock du contentieux de la proximité, -23,71 % du stock des pôles sociaux ». On notera d’une part, l’efficacité absolue du ministre : dès son arrivée, et sans rien faire pendant plus de 9 mois (date d’arrivée des juristes assistants en matière civile), il a réussi à lui seul à résorber les stocks. Quel talent. 

 

On émettra cependant quelques doutes sur ces statistiques : ces matières ont toutes été impactées par des réformes et par le contexte sanitaire et la diminution des stocks ne garantit aucunement que le sort des justiciables se soit amélioré. La loi de programmation pour la justice a entrainé, concernant l’ex-tribunal d’instance, un transfert de certains contentieux vers le tribunal judiciaire. Concernant les affaires familiales, la réforme du divorce est entrée en vigueur : la phase de conciliation – qui impliquait l’existence de deux stocks distincts, un stock de requête en conciliation et un stock de dossiers de divorce -  a été supprimée à compter du premier janvier 2021 (il n’existe donc plus qu’un seul stock). S’agissant du pôle social, le bénéfice de certaines prestations a été automatiquement prorogé en lien avec le contexte sanitaire et l’URSSAF a suspendu les recouvrements pendant une certaine période, ce qui a eu de facto un impact sur le nombre de nouvelles saisines.

Le communiqué du ministère reconnaît que ces résultats statistiques ne peuvent être imputés au recrutement de juristes assistants, mais se félicite néanmoins de son action. Il s’appuie, pour cela, sur des résultats d’un sondage, selon lequel, pour la moitié des juridictions, le recrutement de juristes assistants a permis d’augmenter le nombre de dossiers fixé à l’audience, aux magistrats de davantage se concentrer sur les dossiers complexes et que, pour 60 % des juridictions, les recrutements permettent une justice d’une plus grande qualité. Notons d’une part que ces résultats peuvent être lus en creux : pour la moitié des juridictions, les recrutements de juristes assistants n’ont pas eu d’effets sur l’activité – peut être qu’en définitive, la chancellerie partage notre avis et estime que le recrutement de juristes assistants dans ces conditions s’apparente à « une grande gabegie ». Nous nous interrogeons d’autre part sur l’origine de ces résultats. Les magistrats en juridiction n’ont jamais reçu de questionnaire de la part de la chancellerie. S’agit-il des données recueillies par la chancellerie auprès des chefs de juridiction, qui tentent, tant bien que mal, de recruter ceux qui peuvent être recrutés et sont dans un état de dépendance budgétaire absolu face à la chancellerie ? Qu’importe, les résultats médiocre d’un sondage réalisé auprès d’un public captif n’empêchent pas le ministère de communiquer.

Le clou du communiqué est sans aucun doute sa chute. Il annonce la « pérennisation » des emplois de justice de proximité, alors que les juristes assistants ont été attirés vers ces fonctions en leur promettant une entrée dans la magistrature qui apparaît de plus en plus illusoire. Il promet par ailleurs la mise en œuvre de la formation des agents recrutés par l’ENM et par l’ENG pour le agents de greffe. Il était temps, près de deux ans après leur arrivée en poste.

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