Observations du Syndicat de la magistrature devant la Commission nationale consultative des droits de l'homme saisie d'un avis sur l'incarcération des mineurs (audition 25 janvier 2018)

Au 1er août 2017, le nombre d’adolescents emprisonnés atteignait le record de 885 dont 647 sous le régime de la détention provisoire. Au 1er janvier 2018, 772 adolescents étaient toujours incarcérés, représentant ainsi 1,1% de l'ensemble des personnes incarcérées en France, répartis dans 44 quartiers mineurs d'établissements pénitentiaires pour majeurs et 6 établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) .
Si le recours important à l’incarcération des mineurs reste peu visible, dans une situation d’augmentation massive de l’emprisonnement et de surpopulation carcérale pour les majeurs, un certain nombre de quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt et d'EPM sont saturés.
La situation est d'autant plus préoccupante, qu’au nombre de mineurs incarcérés dans ces établissements, il faut ajouter le chiffre « gris » des jeunes majeurs incarcérés pour des faits commis pendant leur minorité. Sur ce point, l'absence de donnée statistique masque une réalité inquiétante : celle de l'incarcération de grands adolescents, dans des conditions de détention que l'on connaît pour les majeurs.
Cette inflation réelle est encore amplifiée dès lors qu’on y adjoint, dans une notion non strictement carcérale de l'enfermement, le nombre de placements dans les 52 centres éducatifs fermés et l’augmentation des mesures de probation, qui selon d'autres modalités, produisent également des situations d'enfermement.
La situation est inquiétante à plusieurs titres. Si les effets de la prison et des situations d’enfermement sur le développement et l’épanouissement des individus sont depuis longtemps documentés, notamment en termes d’atteintes quotidiennes au droits à la santé, à la formation, à la vie privée, et que sont désormais reconnus les effets délétères d’une socialisation dans un milieu criminogène, les effets en sont encore majorés chez les enfants et les adolescents. En effet, comme toutes personnes particulièrement vulnérables, ils présentent des besoins supplémentaires. Or ces derniers ne sont pas satisfaits en prison, situation de nature à entraver durablement leur développement physique et psychosocial. Les obstacles aux soins, à une nourriture adaptée et en quantité suffisante, à la scolarisation, aux relations familiales, à l’éducation sont autant d’entraves à leur bon développement. Il serait faux de penser que la création des établissements pénitentiaires pour mineurs en 2002 a amélioré la réponse à ces besoins essentiels et a modifié la nature de cette mesure privative de liberté.
Cependant l’enjeu du débat dépasse les murs, les barreaux et les miradors de la prison et se situe également à l’extérieur des établissements pénitentiaires.
Les définitions du Larousse donnent déjà à réfléchir. Enfermer : « mettre quelqu'un dans un lieu dont il ne peut sortir à son gré » mais aussi « placer, maintenir quelqu'un ou quelque chose dans d'étroites limites, en l'empêchant de se développer ou de se manifester, de s'exprimer librement ; le maintenir dans une situation contraignante ».
Il serait trompeur de limiter l'analyse de l'enfermement au stricte cadre carcéral. En effet, la remise en question des conditions de détention, sans approfondissement suffisant du débat, passe trop souvent par un déplacement vers des modes de prises en charge certes déconnectées administrativement de l’administration pénitentiaire, mais fortement marqués par une inspiration carcérale et disciplinaire, malgré l'utilisation trompeuse du terme « éducatif ».
Si la prison pour les mineurs n’a jamais véritablement été remise en question en France et présente une force symbolique importante, les évolutions législatives de ces dernières décennies ont accru la pénalisation de nombreux comportements sans pour autant en distinguer les conséquences sur les mineurs.
Les conditions peu exigeantes permettant de prononcer des mesures de sûreté comme le contrôle judiciaire ou la détention provisoire à l’égard des mineurs sont également en grande partie responsables de l'inflation des situations d'enfermement des mineurs. La création de procédures rapides de jugement et l’absence de spécialisation du juge des libertés et de la détention, qui prononce l’essentiel des mandats de dépôt, n’y sont probablement pas étrangères. Enfin, la porosité des pratiques judiciaires à l’ambiance sécuritaire, les dynamiques sociales et politiques amenant à stigmatiser une partie de la jeunesse, la saturation et les dysfonctionnements du milieu ouvert et des lieux de placement éducatifs créent un contexte propice à l'enfermement des mineurs.
Pour réduire celui-ci, il est donc nécessaire d'analyser ce qui produit de l'enfermement, en dégageant des perspectives susceptibles de le marginaliser pour répondre à l’enjeu d’éducation de la jeunesse et promouvoir des outils éducativement efficaces.
Le gouvernement a débuté des consultations sur une réforme à la marge de l’ordonnance du 2 février 1945, renonçant une fois de plus à une réforme ambitieuse de la justice des enfants et des adolescents qui redonnerait véritablement sa primauté à l’éducatif et à une procédure de consultation digne de ce nom. Ce contexte pourrait néanmoins créer un espace pour des recommandations concrètes destinées à réduire l’enfermement des mineurs.