Au cours du quinquennat qui vient de s’écouler, les dysfonctionnements de la protection de l’enfance, bien connus des magistrats pour enfants, ont été largement mis en lumière auprès du grand public, au travers notamment de plusieurs reportages.

Un secrétaire d’État dédié à ce sujet a rapidement été nommé, et une loi relative à la protection des enfants a presque clôturé les travaux parlementaires. Notre syndicat s’est efforcé, à de multiples reprises, de formuler des propositions pour alimenter le débat public (voir nos observations relatives à la loi de protection des enfants) et de favoriser la médiatisation de cette question cruciale pour l’avenir de notre société (voir notamment nos différentes tribunes par exemple ici ou , et le numéro dédié de la revue Délibérée, Justes enfances).

Pour autant, la situation apparaît loin d’être satisfaisante, essentiellement du fait d’une insuffisance des moyens dédiés à cette politique publique et d’un État qui se désengage, à rebours des ambitions affichées, laissant perdurer une organisation dans laquelle les départements, chefs de file de la protection de l’enfance, ne sont tenus à aucun standard en la matière. Ce quinquennat a par ailleurs été marqué par un entérinement de la dichotomie entre assistance éducative et pénal, au travers de la création d’un « code de la justice pénale des mineurs », quand tous les professionnels réclamaient un code de l’enfance. 

Face à ces constats, il nous est apparu essentiel que le sujet de la protection des enfants demeure présent dans la campagne électorale, tant présidentielle que législative, ce qui est loin d’être le cas pour le moment. Nous avons donc co-rédigé une tribune collective afin d’interpeller les candidats, que vous retrouverez ci-dessous et sur le site de france.info. Cette tribune a été signée par plus de 250 personnalités, et reste ouverte à la signature de celles et ceux qui le souhaitent sur ce lien.

La société ne peut être le témoin impuissant de la dégradation de la justice des enfants et de la protection de l'enfance

Nous professionnels de la justice des enfants, de l’éducation spécialisée, de la protection de l’enfance, de la prévention et de la médiation, appelons les candidats et candidates à l’élection présidentielle à se préoccuper de la question tant des moyens et des missions de la protection de l’enfance que de la justice pénale des mineur.e.s.

La situation des enfants, des adolescents et adolescentes est alarmante dans notre pays et la crise que connaissent certains tribunaux pour enfants, comme notamment ceux de Bobigny ou de Marseille oblige à ce que les moyens nécessaires soient dégagés en urgence afin d’y mettre fin. 

Le code de la justice pénale des mineurs entré en vigueur le 30 septembre 2021 apparaît guidé par des logiques gestionnaires et comptables, il conduit à l’accélération des procédures judiciaires au détriment du temps éducatif pourtant indispensable dans l’aide à la construction des enfants et des adolescents. Ce faisant, il contribue à rapprocher la justice pénale des enfants de celle des adultes, au détriment de principes constitutionnels tels que la primauté de l’éducatif sur le répressif.

La protection de l’enfance est défaillante.

Loin d’être un dispositif de soutien et d’aide aux enfants et aux familles, cohérent et efficient sur l’ensemble des territoires, elle est sujette à de multiples paradoxes et dysfonctionnements qui ont parfois des conséquences tragiques sur le devenir des enfants et des adolescents.

Les lois récentes relatives à de la protection de l’enfance, consacrent le retrait de l’Etat dans les prises en charge civiles et dans l’exercice de ses missions de prévention, alors que certains des départements sont incapables d’y faire face.

Les conseils départementaux opèrent alors des choix en fonctions des budgets alloués souvent en faisant jouer la concurrence entre les associations habilitées et des entreprises du secteur de l’économie dite « sociale et solidaire ».

La protection de l’enfance est donc diverse selon le département concerné, et les enfants ne sont pas égaux face à leur prise en charge.

Plus grave, la loi de protection de l’enfance de 2007 et la mise en œuvre de la révision des politiques publiques en 2009 séparent les publics relevant de la protection de l’enfance de ceux de la justice pénale des mineurs.

Décision lourde de conséquence, car si la spécialisation de l’intervention de la Protection Judiciaire de la Jeunesse en assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) auprès des adolescents a été complètement abandonnée dans les faits, les départements se sont trouvés dans l’incapacité d’assurer un vrai relai.

A ce jour, la Protection Judiciaire de la Jeunesse, qui dépend de l’Etat, ne peut toujours pas intervenir au civil dans le cadre de ses missions de prévention et de protection de l’enfance, ce malgré la quasi stabilité de l’activité au pénal.

Ainsi faute d’intervention adaptée en temps utile, les mises en danger perdurent, des situations se dégradent. Dans ce contexte, certains jeunes se retrouvent ainsi confrontés à la justice sous le volet pénal, faute d’avoir pu éviter les passages à l’acte délinquants par des mesures de prévention.

Ces mêmes jeunes, sont morcelés dans des suivis éducatifs dédoublés (civil et pénal) sans prise en compte de leur situation et de la nécessité de garantir le maintien de la continuité éducative.

Face à ces constats, il est plus qu’urgent de rompre avec des politiques sociales et éducatives marquées d’une approche sécuritaire.

La société ne peut être le témoin impuissant de la dégradation du service public de la justice des enfants et de la protection de l’enfance, qui conduit à une situation où près de 40% des jeunes SDF sont d’anciens jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance.

Par ailleurs, la dernière loi du 7 février 2022 récemment adoptée ne va pas répondre au manque criant de moyens, notamment en hébergement pour les mineurs-es isolés-es étrangers-ères.

Parce qu’il y a urgence à protéger les enfants et les adolescent.e.s de ce pays, nous revendiquons la remise en place d’un cadre commun pour qu’elles ou ils soient avant tout considéré.e.s comme des êtres en devenir ayant droit à la meilleure des protections . Cela passe par :

  • un dispositif législatif efficient, mais également et surtout par des moyens humains suffisants avec une reconnaissance et une valorisation des métiers du social ;

  • le redéploiement des budgets des structures d’enfermement au profit des structures éducatives ;

  • la fin des politiques de mise en concurrences entre les associations du secteur associatif habilité en matière civile comme pénale et l’abandon des Contrats à Impact Social qui installent une logique de rentabilité dans le champ du social ;

  • le fait de redonner – effectivement – un champ de compétence civil à la PJJ afin qu’elle puisse agir de nouveau au titre de l’action éducative et de la prévention, pour aider ou accompagner les départements dans le suivi des jeunes les plus en difficultés et pour lesquels la plus-value de l’approche de la PJJ est incontestable ;

  • plus généralement, par la mise en œuvre d’un code de l’enfance, incluant le civil et le pénal, protecteur, éducatif .

Depuis trop longtemps, les politiques libérales ont déconstruit l’état social au profit de politiques sécuritaires renforçant les mesures pénales et leur mise en œuvre, au détriment d’un travail de fond, en amont.

C’est pour cela que nous vous demandons de vous positionner sur l’ensemble de ces mesures, les questions relatives à l’enfance devant faire partie intégrante des sujets sur lesquels les citoyens auront à se prononcer au travers de l’élection du président de la République.

Aujourd’hui, il faut faire le choix de la prévention, de la protection de l’enfance et de l’éducation pour l’avenir des enfants de ce pays. Nous pensons qu’ensemble nous devons faire le choix du pari de l’éducation !