Le Sénat vient d’achever à son tour l’examen de la réforme pénale, examen contrasté, marqué par des grandes avancées et des reculs aussi désolants qu’incohérents.
La balle est maintenant dans le camp de la commission mixte paritaire (CMP), et son travail sera fondamental.
Si elle ne pourra malheureusement pas revenir sur les dispositions pourtant essentielles concernant la suppression de la rétention de sûreté, écartées par les parlementaires sous le prétexte ubuesque que ce projet ne concernerait que les délits – ce qui ne les a pourtant pas empêché et heureusement d’abroger les peines planchers concernant les crimes... -, devra absolument garder le meilleur de chaque texte. Ce n’est qu’ainsi que cette loi sera l’outil tant attendu de la rupture avec la logique sécuritaire de ces dernières années, et celui de la prééminence de l’individualisation et de l’aménagement des peines, dans l’intérêt de l’individu et de la société.
La CMP devra en premier lieu absolument préserver les progrès essentiels du texte voté par les sénateurs.
Et parmi eux la tant espérée suppression du tribunal correctionnel pour mineurs, symbole d’une justice des mineurs si maltraitée depuis des années. Après de multiples promesses et reports, il n’est en effet plus possible d’attendre une trop hypothétique réforme de l’ordonnance de 1945, il faut commencer dès maintenant à redonner à cette justice sa spécificité.
Il faudra aussi conserver les dispositions rompant enfin avec la fausse évidence que constitue la peine de prison. Les sénateurs ont effet décidé que certains délits – considérés comme de « petits délits » - ne soient punissables que d’une amende, d’un TIG ou d’une contrainte pénale, posant ainsi une première pierre bien venue vers une réflexion plus vaste sur la contraventionnalisation et la dépénalisation. Réflexion indispensable tant nous savons que dans beaucoup de cas, la prison est inefficace et désocialisante.
Et il ne pourra de même être question de revenir au seuil de six mois pour l’aménagement ab initio des peines de prison, ou de remettre au goût du jour les régressions adoptées par l’Assemblée qui a trop vouloir chercher « un équilibre » est tombée dans le piège tendu par les adversaires de la réforme. L’extension démesurée et dangereuse des mécanismes de surveillance et de contrôle, au mépris des droits individuels et du bon déroulement de peines exécutées en milieu ouvert doit en effet impérativement être écartée. C’est notamment le cas de l’extension du mécanisme de la surveillance judiciaire à tous les délits ou de la possibilité donnée à des instances locales – hors de tout cadre judiciaire - de contrôler l’exécution d’une peine.
Mais le travail de la CMP ne s’arrêtera pas là car si le Sénat a fait preuve d’audace, il a aussi dégradé le texte voté par l’Assemblée sur des aspects essentiels. Il faudra naturellement que la commission restaure ces dispositions sous peine de voir le projet défiguré, malgré les avancées présentes.
L’un des acquis importants entérinés par l’Assemblée était la suppression quasi totale des obstacles légaux à l’octroi d’aménagements de peine pour les personnes condamnées en état de récidive. Ce sont en effet elles qui ont le plus besoin d’un accompagnement et d’un suivi dans le cadre de l’exécution de leur peine pour, justement, éviter de réitérer leur acte. Le Sénat les a malheureusement rétablis. Et pourtant, maintenir ces obstacles, c’est manquer l’objectif de la loi.
Il faudra, pour aller au bout de cette logique de primauté du suivi et de l’exécution d’une partie de la peine en milieu ouvert, redonner toute sa force et tout son sens à la libération sous contrainte. En imposant une condition supplémentaire de l’obtention de l’accord exprès préalable du condamné à une libération sous contrainte, le Sénat a restreint démesurément le champ d’application de cette procédure. On attendait au contraire du Sénat qu’il s’engage clairement pour le principe de l’exécution de la peine de prison pour partie « dedans » et pour partie « dehors », seul moyen efficace de favoriser la réinsertion et donc de garantir la protection de la société. La commission devra donc au moins revenir sur les restrictions imposées par le Sénat.
Et enfin, il faut « sauver » la contrainte pénale des abîmes dans lesquelles la navette parlementaire l’a fait sombrer en, peu à peu, réinventant le sursis avec mise l’épreuve – version bas de gamme - près de 50 ans après sa création...
Cette peine devait être le moyen d’en terminer avec un système dans lequel l’emprisonnement est l’alpha et l’oméga – inefficace - de la pénalité en introduisant une nouvelle peine fondée sur le suivi et l’accompagnement adapté à chaque individu et qui ne se limite pas à un simple contrôle.
L’objectif est devenu de plus en plus éloigné au fil des lectures puisque le Sénat vient d’écarter son application à tous les délits pour le limiter aux infractions les moins graves, aujourd’hui comme en 2017, et de permettre au tribunal correctionnel de définir l’intégralité du contenu de cette mesure de probation, mettant ainsi à néant l’innovation que représentait la phase d’évaluation et de construction d’un programme de réinsertion.
Alors qu’il est évident que cette phase cruciale de l’évaluation ainsi que la mise en œuvre de la mesure doit être confiée exclusivement au service pénitentiaire d’insertion et de probation, acteur clé du service public de la justice, professionnel traditionnel et légitime de la probation, le Sénat a fait le choix d’une mise en concurrence ouvrant la voie à une privatisation de l’exécution des peines, et confondant partenariat avec les associations et prise en charge des mesures.
Il est dès lors impératif que la commission se saisisse de ce thème pour redonner tout son sens à la contrainte pénale, en revenant sur ces égarements.
Ce n’est qu’à ce prix que ce projet de réforme pénale, même s’il fait malheureusement l’impasse sur des sujets essentiels, constituera une avancée significative et non un compromis tiède qui transformerait ce texte, longtemps promis, en un énième toilettage superficiel de notre droit pénal.