Les modifications apportées au projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines par l’Assemblée Nationale à la suite du dépôt de nombreux amendements appellent les observations suivantes :





Sur la notion de "secret partagé"



Une fois de plus, le gouvernement utilise une affaire dramatique, en l’espèce le meurtre de la jeune Agnès au Chambon-sur-Lignon - crime dramatique mais rappelons-le, rarissime - pour introduire par un amendement dans la loi de programmation sur l'exécution des peines une disposition sans aucun rapport avec l'objet du texte soumis au Parlement. Il s'agit d'un amendement portant gravement atteinte à la présomption d’innocence et compromettant l’insertion scolaire et l’avenir des jeunes impliqués dans une procédure pénale.



En effet, le projet de loi crée un nouvel article 138-2 du code de procédure pénale aux termes duquel « en cas de poursuites pour un crime ou une infraction mentionnée à l’article 706-47 , le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention peut d’office ou sur réquisitions du procureur décider de transmettre l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire à la personne chez qui le mis en examen établit sa résidence si cette transmission apparaît nécessaire pour prévenir le renouvellement de l’infraction ".



Il est inadmissible que tous les principes fondamentaux soient ainsi bafoués au nom de la prévention de la récidive qui devient l'unique obsession de notre justice pénale. Le Syndicat de la magistrature dénonce cette dérive grave inspirée des sociétés anglo-saxonnes dans lesquelles des dispositifs prévoient l'information des voisins d'une personne mise en cause ou condamnée pour tel ou tel infraction.

Cette ordonnance de placement sous contrôle judiciaire peut contenir une qualification des faits plus ou moins détaillée ainsi que des éléments de motivation susceptibles de rapporter en partie le contenu de l’affaire, de sorte que des éléments couverts par le secret de l’instruction pourraient être divulgués à des tiers non astreints à une obligation de secret professionnel.



Les magistrats instructeurs devraient être très réservés par rapport à l’emploi d’une telle disposition attentatoire à la présomption d’innocence et telle sera notre position : mais il est tout à fait prévisible qu’en cas de nouvelle infraction, on reprochera au magistrat instructeur de n’avoir pas informé le foyer de jeunes travailleurs, l’organisme HLM ou tout autre structure d'accueil et qu'en conséquence, face à une telle menace, la plupart des magistrats finiront par procéder à cette transmission, ce d'autant plus que le parquet pourra le demander dans ses réquisitions.



Bien plus grave encore, ce même article prévoit une transmission systématique de l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire à l’autorité académique et le cas échéant au directeur d’établissement, lorsqu’une personne est mise en examen pour un crime ou une des infractions visées à l’article 706-47 du Code de procédure pénale comprenant notamment les agressions ou atteintes sexuelles sur des mineurs et qu’elle est scolarisée ou a vocation à poursuivre sa scolarité.



Cette disposition viole également le principe de la présomption d’innocence dont doivent bénéficier tous les mis en examen, alors même qu’elle prévoit la possibilité pour le chef d’établissement de transmettre l’information notamment « aux personnels qui sont responsables de la sécurité et de l’ordre dans l’établissement », définition particulièrement imprécise et large. Quelles que soient les pénalités prévues pour la violation du secret professionnel à l’encontre de ceux qui divulgueraient ces informations, il est facilement prévisible qu’il s’agira rapidement d’un « secret de Polichinelle » dans l’établissement scolaire.



Au vu des difficultés que rencontrent déjà les professionnels de la justice des mineurs à re-scolariser un jeune au parcours chaotique, il deviendra quasiment impossible de trouver un établissement acceptant l’inscription d’une personne mise en examen dans une procédure d’agression sexuelle après la réception d’une ordonnance de placement sous contrôle judiciaire. Notre société a pourtant tout à perdre dans la désinsertion scolaire et professionnelle de ces jeunes.



Il ne s’agit évidemment pas de contester la nécessaire concertation et le partage d’informations effectué avec discernement entre professionnels pour améliorer la prise en charge de jeunes en difficulté : mais cet échange doit s’effectuer, comme c’est le cas très généralement aujourd’hui par le contact humain entre les professionnels concernés et non par la transmission systématique et sèche d’une décision ne pouvant qu'apparaître comme très alarmante et stigmatisante au premier abord.



Le Syndicat de la magistrature dénonce cette disposition s'inscrivant dans une dérive sécuritaire qui s'est traduite par une accumulation depuis des années de dizaines de lois aussi liberticides qu’inefficaces, puisqu’elles systématisent contrôle et fichage au lieu de rechercher de réelles prises en charge individualisées permettant à des jeunes de sortir de leur parcours déstructuré.



{{Sur la transmission de la décision de condamnation ou d’aménagement de peine par le juge de l'application des peines
}}



Le projet de loi prévoit également la transmission par le juge de l’application des peines de la décision de condamnation ou d’aménagement de peine concernant un condamné pour un crime ou pour une infraction mentionnée à l’article 706-47 "à la personne chez qui le condamné établit sa résidence si cette transmission apparaît nécessaire pour prévenir la récidive".



Là encore, on ne saurait accepter une telle disposition fondée uniquement sur le souci de prévention de la récidive au détriment de l'objectif de réinsertion des condamnés qu'elle risque de compromettre définitivement.



Le projet prévoit également la transmission systématique de cette décision à l’autorité académique et au chef d’établissement concerné pour le condamné aux mêmes infractions lorsqu’il est scolarisé. Le juge de l’application des peines est également tenu d’informer ces mêmes autorités de toute modification des obligations.



Nous ne pouvons que reprendre à ce sujet les observations développées supra sur la difficulté que cela entraînera pour rescolariser un jeune et la stigmatisation prévisible qui pèsera sur ce dernier. Une telle disposition ne peut être qu’une nouvelle entrave au processus déjà complexe d’insertion ou de réinsertion sociale d’une personne condamnée et à la prévention de la récidive.



Par ailleurs, il appartient au juge de l’application des peines d’apprécier selon les hypothèses, dans quelles situations il convient de procéder à un partage d’informations et sous quelle forme. Comme indiqué plus haut, une rencontre ou un contact entre les professionnels concernés est toujours bien préférable à une transmission « sèche » de décision.









{{Sur les modifications apportées sur le secret médical (article 5 du projet de loi)
}}



Le projet de loi modifié par rapport à sa version initiale a supprimé la transmission systématique par le médecin traitant au JAP des attestations de suivi et prévoit désormais la remise au condamné directement de ces attestations.



Si cette formulation ne viole plus le principe du secret médical, le fait de conditionner les réductions de peine et l'octroi d'une éventuelle libération conditionnelle à la remise de ces attestations pose toujours de graves problèmes de principe tout autant que d’efficacité. Le Syndicat de la magistrature regrette que le législateur renonce à l'interface que constituait le médecin coordonnateur en matière de soins ordonnés par l'autorité judiciaire.



Le Syndicat de la magistrature maintient donc son opposition à cette disposition, qui par ailleurs apparaît surréaliste au regard de l’incapacité des équipes psychologiques et psychiatriques à répondre aujourd’hui aux demandes des détenus, compte tenu de la faiblesse de leurs effectifs.





Sur la réhabilitation



L’article 9 de la loi modifie l’article L133-16 du code pénal en portant le délai de réhabilitation de plein droit d’une personne condamnée à une peine unique à quarante ans - au lieu de dix ans au maximum dans certaines conditions aujourd’hui -« lorsqu’a été prononcée comme peine complémentaire une interdiction, incapacité ou déchéance à titre définitif ».



A l'évidence, le législateur a pensé aux personnes condamnées à des interdictions d’exercer dans des activités concernant les mineurs, mais ce texte, dans sa généralité, concernera des hypothèses de nature très diverses comme l’interdiction de gérer une affaire commerciale par exemple.



Le Syndicat de la magistrature s’oppose à cette disposition instituant un délai démesuré au regard des délais actuels de prescription des peines par exemple. Ce délai rendra de fait la réhabilitation impossible.





Sur les dispositions relatives à l’exécution des peines de confiscation



Il semble que le titre soit restrictif par rapport au contenu des articles car certains, notamment ceux modifiant les articles 706-141-1 et 706-48 du Code de procédure pénale, sont susceptibles de s’appliquer dès l’instruction.



Sur l’article 9 bis



La modification de l’article 131-21 du Code pénal, relatif notamment à la peine complémentaire de confiscation, rend possible dans tous les cas l’exécution sous la forme d’une saisie en valeur, alors qu’en l’état actuel la saisie en nature reste le mode d’exécution prédominant et la saisie en valeur n’est possible que « si la chose confisquée n’a pas été saisie ou ne peut être représentée ».



Si cette modification est certainement de nature à faciliter l’exécution de la peine de confiscation, elle nous paraît critiquable, dans la mesure où la saisie en valeur rend possible la mise en œuvre de la contrainte judiciaire en cas de non paiement. Cette modification emporte donc l’élargissement du domaine d’une mesure de privative de liberté sans que cela ne soit justifié par des circonstances particulières (impossibilité de saisir autrement qu’en valeur).



Il est de même proposé d’ajouter, dans la partie du Code de procédure pénale relative aux saisies spéciales (immobilières, sur les biens et droits incorporels), un article 706-141-1 indiquant que dans ces domaines la saisie pouvait aussi être faite en valeur.



Il convient de relever que ces saisies ne concernent pas uniquement l’exécution de la peine complémentaire de confiscation mais aussi les saisies réalisées pendant l’instruction. Cette proposition étend considérablement le domaine de la saisie, de son assiette, à un moment de la procédure où la culpabilité n’est pas établie et où par conséquent toutes les précautions devraient être prises.



Sur l’article 9 ter



L’alinéa 5 de l’article 131-21 du Code pénal, relatif à la peine complémentaire de confiscation, prévoit qu’une telle peine peut s’appliquer, pour certaines infractions (condition de quantum et de nature de l’infraction), et si l’infraction a généré un profit direct ou indirect, sur les biens (meubles et immeubles, divis, indivis) dont le condamné est propriétaire et dont il ne peut justifier l’origine.



L’alinéa 6 prévoit le même système pour les infractions où la peine de confiscation est spécialement prévue (sans condition de quantum).



Il est proposé que cela soit étendu aux biens dont le condamné a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi et qui ne peut non plus justifier de son origine.



Il est aussi proposé une modification de l’article 706-148 du CPP, relatif à la saisie conservatoire des biens mentionnés aux 5e et 6e alinéas de l’article 131-21 du Code pénal pendant l’enquête et l’instruction, pour y inclure la même extension.



Ces modifications rendant possible la confiscation ou la saisie conservatoire de biens immobiliers appartenant à un tiers, l’atteinte au droit de propriété paraît majeure et susceptible d’être contraire à la Constitution.



Sur l’article 9 quater



Cet article concerne des modifications de l’article 707-1 du Code de procédure pénale relatif à l’exécution des peines.



La modification 1° concerne les modalités de recouvrement.



La modification 1° bis (avant dernier alinéa article 707-1 Code de procédure pénale) précise la nature des actes susceptibles d’interrompre la prescription de la peine, quelle que soit sa nature.



Dans sa rédaction actuelle, cet alinéa ne concerne que les actes interruptifs de prescription pour l’amende.



Cette modification ne semble pas illogique dans la mesure où ce texte a une portée générale, et qu’il présente l’intérêt d’apporter plus de précision dans un domaine où pour l’instant la jurisprudence est prédominante.



Il semble, de prime abord, élargir quelque peu la liste des actes pouvant être interruptifs, tout en restant assez proche de la définition de ces actes donnée par la jurisprudence, à savoir « tout acte légal d’exécution, d’arrestation ou de commandement ».



Cette légère extension rendra encore plus difficile la prescription de la peine.