Observations du Syndicat de la magistrature devant la mission Raimbourg en 2014

L’encellulement individuel, ce principe reconnu dans nos textes depuis 1875 (même s’il servait alors d’autres fins) et à l’application toujours reportée par des lois successives depuis 2000, méritait certainement mieux qu’une mission « express » de réflexion.
D’autant que la réflexion sur le sujet n’a pas manqué depuis 2009, date à laquelle le législateur avait consenti, de nouveau, à reporter l’entrée en vigueur de ce droit. Un rapport parlementaire a en effet traité de cette question et les organisations et associations n’ont eu de cesse de rappeler l’urgence de l’appliquer et les moyens pour le faire.

Mais ces appels n’ont pas porté. Pas plus que celui du contrôleur général des lieux de privation de liberté qui a très justement rappelé dans un avis du 24 mars 2014 que ce droit était destiné à « offrir, à chaque personne incarcérée, un espace où elle se trouve protégée d’autrui et où elle peut donc ainsi préserver son intimité et se soustraire, dans cette surface, aux violences et aux menaces des rapports sociaux en prison » et constituait une « garantie de la réinsertion ultérieure ».

La surpopulation carcérale est aujourd’hui bien plus dramatique qu’au 1er janvier 2000, lorsque ont été votées les premières dérogations en la matière. Le temps écoulé depuis cette date n’a contribué qu’à l’aggravation de la situation, notamment par l’adoption des lois sécuritaires qui ont rempli nos prisons. La construction de nouveaux établissements, qui a longtemps constitué l’alpha et l’oméga de la politique pénitentiaire, n’a fait qu’accompagner le mouvement de surpopulation, la prison appelant la prison [[Ce que relevait le Conseil de l’Europe en 1999 : « L’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème de surpeuplement »]]

Le droit à la dignité a ainsi été sacrifié, d’abord par l’effet des politiques sécuritaires, puis par le refus d’en faire une priorité de la nouvelle majorité. Car, pendant ces deux premières années de quinquennat, tant de choses auraient pu être faites (au-delà d’une circulaire de politique pénale) pour aboutir à une entrée en vigueur à la date prévue, le 25 novembre 2014. La loi adoptée le 15 août 2014, bien tardive, contient certes des dispositions de nature à faire baisser la pression carcérale, à terme. Mais le report de l’entrée en vigueur de nombreuses dispositions, le manque d’ambition de certains dispositifs et le manque de moyens pourraient en limiter les effets.
Pour le Syndicat de la magistrature, il faut, sans plus attendre appliquer le principe de l’encellulement individuel en maisons d’arrêt, ces prisons où on entasse littéralement des personnes détenues (dont beaucoup le sont pour des courtes durées), la promiscuité appelant l’oisiveté forcée et la violence.
La seule réponse aujourd’hui fréquemment mise en œuvre par l’administration pénitentiaire, le « désencombrement » (l’appellation est éloquente), n’est pas acceptable : elle procède par transfert, sans ménagement et dans l’urgence, des détenus sur des établissements éloignés, souvent mal desservis, au mépris de tous les projets d’individualisation entrepris, du droit à une forme de stabilité, voire du maintien des liens familiaux. Surtout, elles sont inefficaces tant à lutter contre la surpopulation qu’à assurer l’encellulement individuel.
Des moyens juridiques existent pourtant, à droit constant : ils impliquent simplement une action concertée et déterminée pour qu’en quelques mois, l’encellulement individuel devienne une réalité dans les maisons d’arrêt.
Il s’agit d’appliquer une forme de « numerus clausus » de fait, qui implique tous les acteurs concernés : les juridictions, les services du SPIP, le secteur associatif et les établissements pénitentiaires. Cela passe par un contrôle très strict sur les « entrées » et une politique très active sur les sorties.

1. Restreindre drastiquement les entrées

Assurer de manière efficace une réduction des « entrées » en détention implique d’abord de généraliser l’information régulière, de préférence hebdomadaire, à l’ensemble des magistrats du siège et du parquet de l’état des établissements pénitentiaires dans le ressort de la juridiction (voire un ressort plus élargi pour certains TGI). Ces chiffres devront clairement faire apparaître le nombre de détenus, mais aussi la situation des cellules (cellules doublées ou triplées en mettant en perspective avec lasuperficie de ces cellules) et la capacité d’hébergement de l’établissement au regard du principe de l’encellulement individuel.

Au-delà même de cette information hebdomadaire, il pourrait être envisagé de permettre aux juridictions d’accéder en direct à cette information par le biais d’une interconnexion (limitée) avec les logiciels de l’administration pénitentiaire.

Ainsi sensibilisés, les juges d’instruction, les juges des libertés et de la détention (JLD), les juges de l’application des peines et les tribunaux correctionnels, garants de l’application de la loi, toute la loi, seront – dans le respect de leur indépendance juridictionnelle - incités à limiter drastiquement le recours à l’incarcération. Un mot d’ordre qui aurait vocation à être le fil conducteur d’une nouvelle circulaire de politique pénale – qui approfondisse les premières orientations prises en ce sens dès 2012.
S’agissant des prévenus, le recours au placement sous ARSE (surveillance électronique) devra être encouragé lorsqu’il se substitue à l’emprisonnement – et non lorsqu’il « mord » sur le contrôle judiciaire ! Cela implique de continuer à informer les juges d’instruction et JLD sur leurs modalités de mise en œuvre, d’accroître les capacités d’enquête du SPIP ainsi que ses moyens pour l’installation et le contrôle du dispositif.

La réduction des comparutions immédiates est aussi une condition fondamentale de la limitation des entrées : ce mode de comparution, banalisé par les discours sécuritaires, est l’un des premiers pourvoyeurs d’incarcération. Dans de nombreuses juridictions où les délais de convocation se sont allongés, du fait de la pénurie, la comparution immédiate est en outre devenue une voie de « dérivation ». L’action doit donc être menée à plusieurs niveaux.

Les magistrats du parquet devront être incités à réduire les renvois en comparution immédiate au strict nécessaire, où l’urgence d’une incarcération - qui doit constituer le seul et unique moyen pour prévenir des risques réels et sérieux de commission d’infractions violentes – est caractérisée. Le recours à la CPPV (convocation par procès-verbal) devra être privilégié. Les magistrats du siège devront également exercer un contrôle et ne pas hésiter à renvoyer des dossiers en plaçant des personnes sous contrôle judiciaire pour accompagner ce mouvement.

S’agissant des condamnés, dans les réquisitions des procureurs comme dans les décisions des magistrats du siège, il s’agira de limiter les mandats de dépôt selon les mêmes modalités. Il importe notamment d’entendre que, de manière encore plus évidente dans la situation de surpopulation carcérale, les courts mandats de dépôt n’ont aucune efficacité pour prévenir la réitération de faits délictueux et créent les conditions d’une grave désocialisation : il est crucial dans ce contexte que les décisions cessent d’être prises pour favoriser un prétendu « électrochoc ». Le recours aux aménagements ab initio pourra être encouragé, selon les mêmes réserves que l’ARSE : il importe qu’il contribue à limiter les mandats de dépôt et non à « mordre » sur les sanctions qui seraient prononcées sans mise à exécution immédiate. Un travail partenarial impliquant juges correctionnels, JAP et SPIP devra être mis en place.
Il appartiendra en outre, même s’il n’est évidemment pas question d’interdire toute mise à exécution, aux magistrats chargés de la mise à exécution des peines de prendre d’établir des priorités prenant en considération l’état des établissements pénitentiaires du ressort (élargi).

D’abord, en différant dans le temps les mises à exécution des peines pour lesquelles un aménagement n’est pas recevable : aucun texte n’impose de délai à l’autorité judiciaire pour procéder à cette mise à exécution. Le différé permettra non seulement à la personne de s’organiser sur le plan personnel et professionnel – peut être même de préparer un projet d’aménagement de peine qui pourrait être rapidement examiné en détention – et de s’assurer, pour les magistrats, des conditions de détention.

Ensuite, pour les peines inférieures à un an (pour les récidivistes) ou deux ans ayant fait l’objet d’un « retour parquet », voire dans certains cas d’un jugement de rejet par le JAP (en raison de l’absence de l’intéressé par exemple), en saisissant de nouveau le juge de l’application des peines même lorsque les personnes sont sans emploi, voire sans logement stable.

Localement, des circuits pourraient être mis en place afin de s’assurer d’un examen plus rapide – par le biais d’une convocation remise à l’intéressé à une date déjà fixée à bref délai, voire pour les personnes sans domicile fixe, d’une présentation devant le JAP -, à condition que les moyens en greffe et en magistrats soient affectés à cet objectif. Ces circuits pourraient prendre en compte – pour organiser le traitement prioritaire de certains dossiers - l’ancienneté de la peine (pour éviter sa prescription), les caractéristiques du condamné (certaines situations imposant des interventions plus rapides) ainsi que le motif de la condamnation (les infractions aux personnes devant primer sur les infractions aux biens notamment). Pour les peines inférieures à six mois, les mesures de conversion devraient être privilégiées, y compris pour les personnes ayant des antécédents judiciaires.
Ces orientations, qui figurent déjà dans la circulaire de politique pénale, paraissent devoir être réitérées de manière plus forte et en faisant le lien avec l’objectif de respect de la loi sur l’encellulement individuel.
Enfin, le recours à l’article 723-16 du CPP (auquel le Syndicat de la magistrature est opposé) devrait être proscrit : la mise à exécution ne pourrait intervenir que si la personne déférée en comparution immédiate (sous les conditions précédemment rappelées) est définitivement condamnée avec un mandat de dépôt.

{{2. Favoriser activement les sorties
}}

Pour répondre à cet objectif, l’ensemble des acteurs de l’exécution des peines doivent être sensibilisés pour intervenir de manière concertée et déterminée pour favoriser activement les sorties sous la forme d’un aménagement de peine, qui poursuit l’objectif d’assurer la dignité et la réinsertion des condamnés.

Il est d’abord impératif d’instaurer des procédures d’identification des situations des détenus au sein du quartier arrivant : les JAP et les SPIP devront agir en collaboration sur ce sujet afin d’identifier toutes les peines inférieures à une année (et donc immédiatement susceptibles d’être aménagées sous écrou) quel que soit le « mode d’entrée » : sur mandat de dépôt ou sur mise à exécution. Il est souhaitable qu’un juge de l’application des peines de permanence puisse être saisi à très brève échéance pour statuer sur un aménagement de peine sous écrou pour ces personnes, prioritairement suivant la procédure de hors-débat (avec l’accord du procureur de la République) ou avec une priorité d’audiencement.

Ce dispositif ne devrait pas avoir vocation à se limiter aux personnes justifiant d’une insertion professionnelle et d’une stabilité personnelle, mais viser également les personnes exécutant des peines anciennes et des courtes peines (inférieures à six à huit mois) dont les études montrent qu’elles sont exécutées en totalité dans 97% des cas (en raison des délais inhérents à la construction d’un projet et à l’audiencement, aux conditions restrictives dans les faits d’octroi, ces phénomènes cumulés n’encourageant pas au dépôt d’une demande).

La mise en application de la libération sous contrainte (aux 2/3 de la peine) devrait se faire de manière quasi systématique, en interprétant de manière très large le texte voté en août 2014 : aucun projet d’aménagement de peine n’est ainsi requis, simplement une adresse ou à défaut une place en semi-liberté ou dans un centre de placement extérieur. Le contenu de la mesure pourra ensuite être pensé en lien avec les instances locales (mission locale, ANPE, MDS, CMP...). Cette libération sous contrainte devrait être quasi systématiquement ordonnée sans mesure sous écrou, conformément à sa philosophie et afin de prendre en considération les difficultés inhérentes à ces mesures sur le plan pratique (délai de mise à exécution notamment).

Enfin, entre ces deux stades, il est impératif d’initier pour l’ensemble des peines et notamment lorsque le reliquat est faible, une politique active d’aménagement de peine qui privilégie la réinsertion des personnes et la considération de l’état de surpopulation carcérale. Il importe de minorer (sans bien sûr les ignorer, notamment pour les faits graves) l’importance des éléments tenant au comportement en détention dans l’appréciation de l’opportunité des aménagements de peine. Il convient en outre d’avoir une appréciation large du projet de réinsertion, en n’exigeant pas systématiquement un emploi mais en utilisant les dispositions légales permettant d’accorder des mesures destinées à la recherche d’un emploi – voire aux démarches visant à régulariser le séjour. En effet, l’effet cumulé de la crise économique et de la surpopulation carcérale (qui réduit d’autant la qualité de la prise en charge en détention par le SPIP et les intervenants socio-économiques) rendent ces conditions habituelles inadaptées.

La procédure du hors-débat contradictoire devrait être privilégiée, en accord avec le ministère public, afin de donner une plus grande effectivité à cette politique dans un temps court. La possibilité de statuer dans un plus grand nombre de cas sans expertise psychiatrique et la recevabilité à la libération conditionnelle à mi-peine pour tous devraient créer les conditions d’une telle évolution. Encore une fois, les libérations conditionnelles paraissent devoir être prioritairement prononcées lorsque les personnes y sont recevables. Dans le cas contraire, le recours aux mesures sous écrou ne doit pas se limiter aux PSE et semi-liberté, mais bien inclure les placements extérieurs. Le cadre juridique de ces derniers étant particulièrement large, il importe de rappeler que l’hébergement par une structure n’en est pas une condition : il est ainsi possible, lorsque la situation le justifie, de prononcer un « placement extérieur à domicile » tant qu’une prise en charge (sociale, médicale, professionnelle) est incluse dans l’aménagement.

Ces choix impliquent évidemment que des moyens soient mis immédiatement dans les services du SPIP (en milieu fermé et en milieu ouvert pour suivre les mesures prononcées) mais aussi dans les services du JAP, en greffiers et magistrats, car le surcroît de charge de travail sera évident. Il faut le rappeler, c’est la condition de l’application de la loi !

Enfin, des moyens devront être affectés aux services de placement sous surveillance électronique et de placement extérieur et pour la création de places supplémentaires en centre de semi-liberté (CSL). Il faut repenser l’architecture des CSL. En effet, les centres existants conservent toutes les caractéristiques des établissements pénitentiaires et notamment les dispositifs visant à éviter les évasions (nocturnes, les semi-libres sortant chaque jour...), à contrôler les possessions des semi-libres (interdiction des téléphones portables dont la jouissance reprend dans la journée, interdiction d’entrer avec des paquets de cigarette ouverts...) et à éviter les temps collectifs. Ces dispositifs, contraires à l’objectif d’autonomisation et de retour à la vie sociale, sont coûteux et limitent l’extension du « parc » à la construction de bâtiments. Des lieux de vie existants pourraient à moyen terme être acquis pour augmenter le nombre de place de semi-liberté, sous une forme plus proche des « halfway houses » étrangères.

Enfin, même s’il s’agit là d’un pis-aller qui devrait demeurer marginal si les outils précédemment cités ont été utilisés, il importe que l’état de surpopulation carcérale entre en ligne de compte – aux côtés des autres critères légaux - dans l’appréciation des réductions de peine, au stade tant de l’octroi des réductions de peine supplémentaire que du retrait de crédits de réduction de peine.
C’est à ces conditions que l’incurie des pouvoirs publics – qui a choisi d’ignorer ce droit depuis une quinzaine d’années - pourra être contrebalancée.

La fin de la surpopulation carcérale et le respect de l’encellulement individuel ne se feront assurément pas en quelques jours, peut être pas même en quelques mois, mais il est urgent d’agir et cela est déjà possible à droit constant ! Magistrats, conseillers d’insertion et de probation, directeurs d’établissement pénitentiaire peuvent agir de manière concertée et déterminée pour ce faire.

Mais le développement de « bonnes pratiques » ne devra pas éclipser la nécessité de modifier le droit pénitentiaire à deux égard.

D’abord repenser le temps carcéral en maison d’arrêt en introduisant un régime de « portes ouvertes » dans ces établissements selon des modalités à définir, et en accroissant l’offre d’activités.

Ensuite, éviter pour l’avenir les dérives de la surpopulation en instaurant dans notre droit un « numerus clausus ». Il s’agira, peut-être de manière progressive, de fixer un seuil au-delà duquel toute entrée en détention devra être compensée, dans un très court délai, par une sortie par le biais d’un aménagement ou de réductions de peine à l’égard de personnes dont le reliquat de peine est réduit. Il faudra bien sûr pour ce faire concevoir, dans chaque établissement, une instance chargée du suivi des incarcérations dans laquelle interviendraient l’administration pénitentiaire, un représentant du ministère public et un juge d’application des peines.