Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature en réaction aux annonces de la garde des Sceaux avant la présentation du Plan prison le 12 septembre 2018

La deuxième saison de la série « révolution carcérale » reprend aujourd'hui avec le dit « plan prison » présenté en exclusivité par la garde des Sceaux. Ses réalisateurs oscillent entre surréalisme et fantastique, dessinant l'image d'une société qui marginaliserait la prison quand tout – ou presque – dans la politique menée conduira en fait à augmenter la population carcérale.


8 000 personnes en moins en prison escomptées grâce au projet de loi de programmation de la justice, voilà le cœur des annonces de la garde des Sceaux, ou plutôt de son service de communication. De beaux discours et un ton assuré ne doivent pas cacher que le projet de loi soumis au Sénat produira l’exact inverse.

Les dispositions du texte qui devraient favoriser le prononcé d’alternatives à l’emprisonnement ne sont en réalité que la resucée d'affirmations déjà contenues dans la loi, mais hélas largement improductives : la prison est la dernière solution, les juridictions doivent d'abord envisager une alternative, mais aussi privilégier l'aménagement immédiat des peines. Tout cela figure déjà dans notre droit, le projet de loi n’y ajoute rien.

La ministre affirme que son but est de donner aux magistrats les outils permettant de prononcer ces alternatives à la prison. On les cherche en vain. Car tant que les tribunaux n’auront pas plus d’éléments sur la situation personnelle des prévenus – faute de moyens donnés aux services pour les rassembler -, tant que la quasi totalité des délits restera définie par référence à l’emprisonnement – faute de volonté réelle de le marginaliser -, la prison demeurera centrale.

L'extension du travail d'intérêt général et des stages ou l'impossibilité de prononcer un mois d'emprisonnement sont des mesures gadgets, des leurres dont certaines pourraient même avoir des effets pervers (le prononcé de deux mois d'emprisonnement au lieu d'un mois, l'incarcération des personnes contre qui un travail d'intérêt général aurait été prononcé en leur absence...)

A l'inverse, le projet de loi contient de vraies nouveautés, qui, elles, conduiront davantage de personnes en prison.

Désormais, sans aucune condition – de seuil, de gravité… - une juridiction qui prononcera un ajournement aux fins d'investigation sur la personnalité pourra placer la personne en détention provisoire. Dans un pays malade de son taux de détention provisoire, faut-il vraiment ouvrir une voie supplémentaire ?

La ministre voudrait nous faire croire que l’aménagement des peines d’emprisonnement sera une priorité, voire que le projet de loi ouvre une voie qui n’existerait pas aujourd’hui. C’est tout le contraire : le principe actuel selon lequel les peines jusqu’à deux ans d’emprisonnement ont vocation à être aménagées est remis en cause.

Désormais, toute personne condamnée à plus d'une année d'emprisonnement et sortie libre du tribunal ira en prison, sans qu'un juge de l'application des peines ne puisse envisager un aménagement sous bracelet électronique, dans un centre de semi-liberté ou dans un lieu de placement extérieur pour permettre un accompagnement social vers l’insertion ou la réinsertion. Contre deux ans aujourd'hui.

Désormais, le tribunal correctionnel qui prononce une peine de six mois à un an d'emprisonnement pourra exclure formellement tout aménagement en ordonnant un « mandat de dépôt différé ». Une nouvelle voie qui facilitera l'emprisonnement : non seulement les seuils habituels du mandat de dépôt dans les audiences correctionnelles classiques sautent, mais tout se fera sans bruit. Le tribunal n'aura plus à assumer la violence de l’emprisonnement immédiat - l'émotion des proches, l’interpellation à la barre par les policiers – mais l’incarcération sera inéluctable. Cachez cet emprisonnement que je ne saurais voir !

Le projet de loi facilitant la construction d’établissements pénitentiaires et le plan actant 15 000 nouvelles places, dont 7 000 construites au cours du quinquennat, démontrent bien que la rupture avec la logique carcérale n'est qu'un mauvais teaser. La ministre n’a rien retenu : ni les constats partagés par les organisations syndicales et professionnelles – plus on construit, plus on remplit -, ni les propositions que nous avons soutenues, aux fins d’une véritable rupture – césure du procès, dépénalisations, moyens donnés aux SPIP pour assurer un véritable suivi et accompagnement des prévenus et des condamnés, restriction des cas de recours à la détention provisoire.

Le scenario de la saison 2 est celui d’une mauvaise fiction : aucune rupture avec une politique pénale qui continue à mettre en son centre la prison, en surfant sur une présentation populiste de ce que devrait être « l'effectivité de la peine ».