Notre lettre ouverte à la ministre et la note détaillée en annexe

Madame la ministre,

La crise sanitaire que nous traversons a conduit les juges de l'application des peines et les magistrats du parquet à engager, dans les conditions que l’on connaît, un énorme travail afin de réduire la surpopulation carcérale, pour éviter que l’épidémie n’explose en détention.

Cette mobilisation aura permis de réduire la surpopulation carcérale de 70.651 détenus dont 21075 prévenus au 1er janvier 2020 (72.400 au 1er mars) à 61100 détenus au 23 avril, c’est-à-dire un taux d’occupation à 100%, selon les chiffres que vous avez communiqués, ce dernier taux ne tenant pas compte de la différence de situation entre les maisons d’arrêts, plus surpeuplées, et les autres établissements pénitentiaires. Avec un tel nombre de personnes détenues, on se situe encore loin de la possibilité d’un encellulement individuel, dont le principe a été adopté et jamais mis en œuvre, qui serait pourtant seul de nature à répondre véritablement au risque sanitaire dans le contexte actuel.

Une partie de cette baisse s’explique par la réduction de l’activité juridictionnelle, qui de fait a réduit les entrées en détention. Il n’en reste pas moins qu’en quelques semaines, les juges de l’application des peines ont aménagé de nombreuses peines d’emprisonnement, ce qui a eu un effet immédiat en termes d’engorgement des établissements pénitentiaires.

Cette rapidité a été facilitée par l’accord des magistrats du parquet pour procéder hors débat contradictoire, tandis que ces derniers mettaient en œuvre la nouvelle mesure d’assignation à résidence prévue par l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de covid-19.

Cette situation vient valider un mécanisme dont la mise en œuvre est demandée depuis plusieurs années par notre organisation et d’autres, dans un contexte où aucune réforme n’a eu d’effet sur le problème de la surpopulation carcérale, qui n’a cessé au contraire d’augmenter : un numerus clausus, fondé non pas sur le principe d’une interdiction d’entrée en détention mais sur celui d’un mécanisme de sortie lorsque le nombre de détenus dépasse le nombre de places ouvertes pour assurer un encellulement individuel.

Vous avez indiqué dans un entretien au journal Le Monde que vous tablez sur la mise en œuvre du volet peine de la loi du 23 mars 2019 pour éviter que la surpopulation ne reparte à la hausse. Nous vous interpellons aujourd’hui solennellement sur le fait que cette stratégie est vouée à l’échec. Nous avons souligné, tout comme d’autres, telle la Contrôleure générale des lieux de privations de liberté, que les dispositions de cette réforme ne sont pas de nature à réduire l’incarcération. Nous ne comprenons pas davantage votre analyse selon laquelle l’objectif de l’encellulement individuel doit être tempéré : nul autre garde des Sceaux avant vous n’a bénéficié des conditions qui existent aujourd’hui pour résoudre enfin la question de la surpopulation carcérale, qui a valu à la France une condamnation de principe par la CEDH en janvier dernier, celle-ci demandant à la France d’adopter des mesures générales pour résorber de manière définitive la surpopulation carcérale. Ne pas se saisir de cette opportunité historique serait une grave erreur. Le Syndicat National des Directeurs Pénitentiaires vient, dans une lettre ouverte au Président de la République, de demander lui aussi que soit institué un numérus clausus.

Nous vous transmettons ainsi en pièce annexe une note argumentée posant les premiers principes d’un système de numerus clausus qui devrait être mis en œuvre sans plus attendre.

Nous vous prions d’agréer, Madame la garde des Sceaux, l’expression de notre haute considération.

Katia Dubreuil
Présidente du Syndicat de la magistrature
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