La Cour de cassation a rendu hier un arrêt dont les implications sur les décisions quotidiennement rendues par les juridictions sont majeures : tirant les conséquences de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 30 janvier dernier pour la violation de l’article 3 de la convention, elle pose le principe selon lequel des conditions indignes de détention sont susceptibles de constituer un obstacle à la poursuite de cette détention.

La loi française ne prévoit pas le recours effectif devant le juge judiciaire pour faire constater des conditions de détentions contraires à la dignité humaine et y mettre fin. La Cour de cassation estime que, en l’absence de dispositions en ce sens, le juge judiciaire doit appliquer directement le principe résultant de la Convention européenne des droits de l’homme et faire entrer, dans les critères d’appréciation du bien fondé d’un maintien en détention, celui des conditions de détention indignes, apprécié in concreto au regard de la situation du détenu. Si la juridiction constate une violation du principe de dignité, elle doit en tirer les conséquences en ordonnant la mise en liberté de la personne.

La Cour de cassation a par ailleurs transmis la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise au Conseil constitutionnel, afin d’apprécier si les critères définis par la loi pour la détention provisoire, sont conformes à la Constitution alors qu’ils ne prévoient pas « que le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention puisse, de manière effective, redresser la situation dont sont victimes les détenus dont les conditions d’incarcération constituent un traitement inhumain et dégradant afin d’empêcher la continuation de la violation alléguée devant lui ».

Au regard des conditions actuelles de détention, dont le caractère indigne est documenté dans de nombreuses maisons d’arrêts, cette nouvelle jurisprudence va maintenant obliger l’administration à une obligation de résultat : des remises en liberté sont susceptibles d’être prononcées lorsque des conditions inhumaines ou dégradantes seront constatées.

Dans cette situation inédite, la mise en place d’un système de régulation carcérale contraignant doit être sérieusement et urgemment envisagée, la surpopulation carcérale favorisant grandement l’indignité des conditions d’enfermement. Nous avions saisi la précédente garde des Sceaux de cette proposition, et longuement plaidé pour la voir adoptée lors de notre dernier entretien avec elle – en vain. Notre nouveau ministre, qui a affirmé vouloir remettre les droits et libertés au cœur du fonctionnement de la justice, et qui a choisi de réserver sa première visite à l’établissement pénitentiaire de Fresnes, mettra-t-il ses paroles en actes à la suite de cette décision historique ?