Le 8 avril dernier, le Canard enchaîné révélait que Philippe Courroye, procureur de la République à Nanterre, avait invité à dîner à son domicile trois personnes directement concernées par des dossiers judiciaires parisiens qui intéressent le groupe de distribution CASINO : Jean-Charles Naouri, PDG dudit groupe (et accessoirement employeur de l’épouse de M. Courroye), Me Paul Lombard, avocat de CASINO, et Patrick Hefner, sous-directeur des affaires économiques et financières à la préfecture de police de Paris.

Selon l’hebdomadaire, qui n’a pas été démenti et dont les informations ont été développées par plusieurs organes de presse, le but de cette réunion était d’obtenir de M. Hefner l’accélération du traitement par la Brigade financière des plaintes déposées par le groupe CASINO à Paris.

En clair : un procureur intervient en faveur d’une partie, en l’occurrence un plaignant qui emploie son épouse, pour faire pression sur un policier censé travailler sous l’autorité d’autres magistrats…

A la suite de ces révélations, deux juges d’instruction du pôle financier de Paris, en charge d’une partie de ces dossiers, ont décidé de dessaisir la Brigade financière, pratique très rare qui en dit long sur le soupçon de partialité qui pèse désormais sur les enquêteurs. Quant au procureur de Paris, qui s’occupe des autres dossiers, il hésiterait encore…

Au-delà de ces péripéties procédurales, le comportement attribué à Philippe Courroye pose de sérieuses questions, notamment sur le plan déontologique. Un magistrat peut-il intervenir dans un dossier dont il n’est pas saisi en usant de l’influence que lui confèrent ses fonctions au soutien d’une partie dont les intérêts sont intimement liés aux siens ?

A cet égard, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que les trois principes fondamentaux qui gouvernent la déontologie judiciaire sont l’indépendance, l’impartialité et l’intégrité. Selon le Conseil supérieur de la magistrature, « ces trois valeurs tendent à assurer la confiance du public dans la justice ».

Il va sans dire que de telles exigences, opposables à tous les magistrats, concernent davantage encore les chefs de cour et de juridiction, dont les attributions et les fonctions de représentation de l’institution judiciaire sont particulièrement importantes.

Nul n’ignore cependant que ces faits, s’ils sont exacts, s’inscrivent dans un contexte politique tout à fait particulier, propice à la confusion des genres et au sentiment d’impunité. Comment oublier, en effet, que M. Courroye, présenté par la presse comme étant proche du chef de l’Etat, a été nommé procureur à Nanterre contre l’avis du CSM et serait pressenti pour remplacer Jean-Claude Marin à la tête du parquet de Paris ? Difficile de ne pas y penser quand on sait que le président de la République lui a remis, ce 24 avril, les insignes d’Officier de l’Ordre National du Mérite…

On notera enfin que Me Paul Lombard et Patrick Hefner sont tous deux membres du fameux comité Léger, composé sur mesure par Nicolas Sarkozy pour justifier sa volonté de supprimer les juges d’instruction sans modifier le statut des procureurs. Il est vrai que les juges d’instruction sont parfois soucieux de leur indépendance, ce qui ne facilite pas les choses…

Moralité : « Ensemble, tout devient possible » !