Rapport moral du Syndicat de la magistrature pour l'année 2017

Au delà des apparences, l’année 2017 n’a pas grand-chose d’inédit. Chacune de ses composantes traduit la permanence d’un rapport dévoyé au droit et à la justice, tantôt ignorés ou relégués, tantôt dénoncés pour mieux les désosser. Des primaires aux premières actions gouvernementales, ces temps qu’on dit modernes ne sont que la continuation de la guerre aux droits par d’autres moyens.
Tout a commencé sous la forme familière d’un cabinet noir imaginé par deux cols blancs en campagne, unis dans une curieuse entente établie en vue d’échapper à la justice. Triste entrée en matière que ces débats sans fin, certains aux accents populistes assumés, d’autres recouverts d’un vernis de juridisme, inventant une immunité électorale pour se fabriquer une impunité. Comme dans les épisodes précédents toutefois, dans la classe politique, les plus scandalisés reviennent bien vite à la raison (d’État) et tous oublient de soutenir une réforme du statut de l’autorité judiciaire qui assure son indépendance pleine et entière.
Une fois le complot exploité sous tous les angles, il restait peu de temps de parole aux questions de justice, mais suffisamment pour la prison et la police. Là encore, le marketing politique ne produit rien de neuf, à part des emballages clinquants pour la doxa sécuritaire et les projets gestionnaires, version 2.0.
La justice qu’ils disent moderne se réfugie dans des palais ultrasécurisés ou derrière des plateformes numériques et se place entre les mains de contremaîtres qui cherchent à disposer d’une main d’œuvre flexible et itinérante pour traiter des stocks et des flux, accélérer, simplifier, numériser. La mécanisation promise à la justice, dont on pourrait et devrait prédire le cours, n’est qu’un moyen parmi d’autres d’en prendre le contrôle.
D’autres méthodes sont à l’œuvre : des chaînes de production parallèle ont été instituées pour créer un droit low cost. Dans l’entreprise, la protection de la loi cède la place à une source de plus en plus prolifique d’un droit dégradé, l’accord d’entreprise, au prétexte de libérer les énergies productives. Au sommet de l’Exécutif et dans ses succursales préfectorales, la prétention à lever les doutes et à appliquer aux libertés un principe de précaution qui leur est étranger se réalise dans un droit administratif de la suspicion, de l’état d’urgence à la dernière loi antiterroriste.
La justice n’a pas sa place dans ce pouvoir qu’ils disent moderne : imprévisible et encombrante, elle doit être renvoyée au fond de la start-up nation, quand elle n’est pas délocalisée au plus près des frontières pour servir les intérêts bien compris de l’Intérieur.
La nouvelle manufacture du pouvoir est d’abord hypnotisante par le spectacle qu’elle donne de sa propre production, mais il y a plus. Dans sa mécanique verticale, ses discours RH et ses méthodes d’organisation du travail, elle trahit une aversion pour la critique, un refus des corps intermédiaires et au fond, une allergie à la justice et au droit.
C’est ainsi que des matières premières de la dérive droitière aux produits finis de la modernité alibi, une fois la fusion – acquisition du pouvoir opérée, l’État se manage à l’abri des irritants, le droit à l’abri de la justice.
Organiser les luttes contre les régressions en chantier impose d’examiner d’abord les rouages de ce pouvoir : décrypter la chaîne de production pour mieux enrayer le plan social sur les droits.
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