La justice au défi de la démagogie
Quand l'autorité politique n'a plus la volonté ou la capacité de répondre à l'insécurité sociale, aux crises sanitaires ou environnementales, aux conséquences de la mondialisation, elle a encore un exutoire : la dénonciation de l'insuffisance du droit et des juges.Le moindre fait divers crée un effet d'aubaine : c'est un prétexte pour « prendre des mesures ». Pourtant, sans réelle évaluation de ce qui existe et sans moyens adéquats, ce n'est qu'une gesticulation morbide.
Ainsi, le nouveau garde des Sceaux a mis au défi les parlementaires d'accepter des lois rétroactives, alors que les dernières lois pénales plus sévères avec effet rétroactif remontent à la création des « sections spéciales ». Le Syndicat de la magistrature a interpellé le président de la République en tant que gardien de la Constitution - dans un courrier demeuré jusqu'ici sans réponse. Il a dénoncé l'indignité républicaine de ce discours. Il a participé à la mise en place d'une coordination de quatorze organisations professionnelles et syndicales du monde judiciaire pour opposer la plus forte résistance morale à cette surenchère démagogique.
Dans un climat de mépris de la justice et du droit, les magistrats font l'objet d'attaques de plus en plus violentes. Alors qu'il exerçait les fonctions de président de l'Union européenne, Silvio Berlusconi déclarait : « Les juges sont mentalement dérangés, pour faire un travail de juge, il faut avoir des troubles psychiques, et si les juges font ce travail, c'est parce qu'ils sont anthropologiquement différents du reste de la race humaine. » Désignant les magistrats comme fauteurs d'insécurité, il faisait voter le 26 septembre dernier un projet de loi pour durcir les peines applicables notamment aux récidivistes - le même texte prévoyait aussi de faciliter la prescription de délits financiers. Alors que s'annonçait ce dévoiement de la vie publique, le procureur de Milan appelait, dans une audience de rentrée demeurée fameuse, à « Résister, résister, résister ».