Justice pénale

La loi d'orientation et de programmation pour le ministère de l'Intérieur dite "LOPMI" a été adoptée le 14 décembre 2022 à l'issue d'une procédure accélérée. Le 19 décembre 2022, le Conseil constitutionnel a été saisi de cette loi sur le fondement de l'article 61 de la Constitution par plus de soixante députés  (Saisine n°2022-846 DC).

Depuis le début du processus législatif, nous sommes activement impliqués, aux côtés d'autres organisations (voir ici notre communiqué de presse avec le SAF, ou ici le programme de notre journée d'étude sur l'amende forfaitaire délictuelle) pour le décryptage et la dénonciation de ce texte qui, sous le titre trompeur de loi d'orientation et de programmation, modifie des pans entiers de la procédure pénale voire même, plus marginalement, du droit pénal. Il consacre également, par un budget historique et un doublement des effectifs police en sécurité publique, une vision purement sécuritaire et répressive des missions de police, y compris de la « filière investigation ».

Nous avons pu développer nos observations devant certains groupes parlementaires et devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, en alertant les parlementaires sur les risques d'une telle évolution pour les droits et libertés garantis par l'autorité judiciaire (voir ci-dessous). Comme nous le craignions, ce projet de loi a ensuite fait l'objet de multiples amendements, poussant encore plus loin certaines modifications de la procédure pénale ou du droit pénal (à l'image de la modification des éléments constitutifs du délit de menace de mort).

Nous contestons notamment le choix d’avoir eu recours à la procédure accélérée, pour un texte excédant largement la question budgétaire ou les orientations propres au ministère de l’Intérieur, ce qui porte nécessairement atteinte à l’essence du travail législatif au vu des incidences de ce projet de texte sur les équilibres démocratiques et le fonctionnement de la justice dont l’exemple de l’extension de l’AFD est le plus criant tout comme celui – périphérique mais ayant largement mobilisé cette année – de la police judiciaire ou encore l’évolution globale de la mission d’enquêteur, l’extension des autorisations générales de réquisitions.

Au fond, cette loi symbolise la quintessence du continuum sécuritaire aux mains du ministère de l'Intérieur, et non pas de sécurité ni même d'efficacité comme la présentent ses concepteurs. Nous avons d'ailleurs développé, dans un communiqué commun avec l'Observatoire des libertés et du numérique (ici), comment cette loi acte le passage dans un Etat de police, sur fond de « safe city », d’accoutumance technologique et d’impératif de vigilance.

C'est logiquement que nous avons donc rédigé en commun avec le SAF, le CNB et la LDH, une contribution extérieure (dite "porte étroite") que nous avons déposée le 30 décembre 2022 devant Conseil constitutionnel (voir ci-dessous).

Communiqué de presse LOPMI (95.33 KB) Voir la fiche du document

Observations LOPMI (201.86 KB) Voir la fiche du document

Porte étroite LOPMI (278.23 KB) Voir la fiche du document

Deux ans après la condamnation de la France par la CEDH pour le caractère indigne et dégradant des conditions de détention dans ses établissements pénitentiaires, dont celui de Fresnes, et alors que les rats et punaises de lit y courent toujours, nos organisations s’indignent de ce que le garde des Sceaux s’émeuve d’une action de réinsertion.

Alors qu’il y a peu, dans son discours d’investiture, Eric Dupond-Moretti affirmait penser « aux prisonniers et à leurs conditions de vie inhumaines et dégradantes », le ministre de la justice assume désormais une communication démagogique et sécuritaire, choisissant d’agiter le mythe populiste de la prison « club med », trop confortable ou récréative, plutôt que de rappeler la réalité carcérale que vivent au quotidien les 72 000 personnes détenues ainsi que les personnels pénitentiaires dans les prisons françaises.

Il nous faut donc - encore une fois - rappeler que la surpopulation pénale en France a été qualifiée de « phénomène structurel » par la Cour européenne des droits de l’homme et qu’il en résulte, outre un quotidien relevant de traitements inhumains et dégradants pour les justiciables détenus, un accès aux soins, à la scolarité, à la formation ou au travail plus que limité dans ce contexte.

Pire encore, le garde des Sceaux, dont nous aurions attendu un rappel apaisé du sens de la peine et du travail carcéral, fait fi des objectifs de la peine affirmés dans l’article 707 du code de procédure pénale : la prévention de la récidive et la protection de la société, qui ne peuvent se départir de la réinsertion du condamné. Ces objectifs, en détention, passent par l’accès donné aux détenus à des dispositifs et activités variés, mis en œuvre par l’administration pénitentiaire et ses partenaires, leur permettant d’accroître leurs qualifications et compétences professionnelles, d’engager des réflexions sur leurs parcours personnels et leurs passages à l’acte, de remettre en question leurs schémas de pensée, de développer leur motivation au changement et ainsi, de s’amender. L’événement organisé à la maison d’arrêt de Fresnes s’inscrit clairement dans cette logique et nous déplorons cette polémique qui vise à le réduire à une farce au bénéfice de détenus injustement gâtés. Nos organisations continueront à soutenir ces actions collectives participant pleinement à donner son sens à la peine.

Feignant de méconnaître l’investissement des acteurs de la réinsertion, tant dans la construction du projet sujet à financement, autorisation et vérification par la chancellerie, que dans sa réalisation et son aboutissement, le Ministre anéantit d’un tweet le travail réalisé par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, surveillants, associations autour de la personne détenue pour lui permettre de retrouver du sens dans le lien social.

Alors même que le rapport Sauvé confirme le cri d'alarme autour de la nécessité d'un mécanisme de régulation carcérale que nous appelons depuis bien trop longtemps de nos voeux, nous demandons au ministre et à ses équipes de concentrer leurs efforts sur ce chantier prioritaire pour mettre fin durablement à la surpopulation carcérale.