Le 17 décembre dernier – c’était il y a cinq jours – le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a entendu limiter la durée de la rétention dans les « dépôts de nuit » qui existent dans trois des plus grands tribunaux français.

Jusqu’à présent, lorsque le procureur de la République de Paris, de Bobigny ou de Créteil décidait de faire juger une personne en comparution immédiate, il mettait fin à sa garde à vue et demandait aux enquêteurs de l’amener au dépôt du tribunal. S’ouvrait alors un délai de 20 heures pendant lequel il était impératif que le procureur rencontre la personne pour lui notifier les charges et lui indiquer sa décision, faute de quoi elle était immédiatement remise en liberté. Mais l’audience de jugement pouvait se tenir de nombreuses heures après cet entretien, ce qui privait ce fameux délai de son intérêt.

C’est cette faille que le Conseil constitutionnel a voulu combler en affirmant que lorsque la garde à vue aura duré plus de 24 heures, après prolongation par le ministère public, et lorsque la personne aura été conduite au dépôt, c’est au juge du siège – et non plus au procureur – que la personne retenue devra être « effectivement présentée » avant l’expiration du délai de 20 heures.

La logique des « Sages » est parfaitement claire : personne ne doit patienter plus de 20 heures entre la fin de sa garde à vue et sa comparution devant le tribunal. Cette décision constitue donc un progrès notable pour les personnes retenues – d’autant plus notable que l’on connaît l’état affligeant des dépôts de nuit, maintes fois dénoncé notamment par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Il n’a pourtant pas fallu trois jours à la présidence du tribunal de Paris pour vider de tout son sens la décision rendue. Plutôt que de demander au parquet d’adapter le nombre et le rythme des déferrements à ce qu’il est possible à un tribunal de juger dans le délai de 20 heures, il a été décidé que des juges descendraient chaque matin quelques instants au dépôt pour rencontrer les personnes déférées, et ainsi interrompre le fameux délai...

Aussi de courageux magistrats se sont-ils rendus, dès lundi matin, au dépôt du tribunal de Paris, permettant ainsi à la justice de continuer à retenir des personnes bien au-delà du délai prévu par la loi, et balayant d’un souverain mépris la réserve posée par le Conseil constitutionnel.

Le Syndicat de la magistrature condamne sans ambiguïté un tel détournement de procédure ainsi que le dévoiement, par des juges abusant de procédés consternants, des missions qui leur sont conférées par la loi.

Il appelle tous les magistrats de bonne foi à refuser de se prêter à ce simulacre, dont aucun tribunal correctionnel ne pourra considérer, après la décision du 17 décembre, qu’il est susceptible de répondre à l’exigence de « présentation effective » posée par le Conseil.

Il se désole enfin du comportement d’une certaine hiérarchie judiciaire, aussi vaillante pour reprocher aux juges d’être « créateurs de droit » lorsqu’ils essaient de respecter les exigences de la Convention européenne des droits de l’Homme, que prompte à laisser divaguer son imagination fertile lorsqu’il s’agit, contre les décisions du Conseil constitutionnel et hors de tout cadre légal, d’inventer des procédures visant à faire obstacle aux droits de personnes privées de liberté.


{{Ci-joint: la décision du Conseil constitutionnel.
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