[Communiqué de presse] Systématiser la visioconférence dans les JIRS, c'est détruire la justice de demain
Publié le 19 mars 2025
Comment les magistrats pourraient-ils comprendre le fonctionnement des réseaux criminels, sans avoir un accès direct – et non uniquement pseudo-verbal, par écrans interposés – à ceux qui les animent, les dirigent, les coordonnent ? Certes, les acteurs du « haut du spectre » ne s’expriment souvent que peu, voire pas. Cela risque de devenir systématique si la visioconférence est effectivement généralisée.
Si le recours à la visioconférence s’est massivement accru ces dernières années dans tous les contentieux, le Parlement pourrait imposer, de facto, ce mode de comparution à tout juge d’instruction, dès lors que les personnes concernées seront détenues dans un quartier de haute sécurité, voire, dès lors qu’elles seront mises en cause pour des faits « en lien » avec la criminalité organisée.
Le renversement du principe actuel, proposé par amendement gouvernemental, aurait des conséquences catastrophiques et ce, même si le législateur laisse la possibilité au juge d’exiger la comparution de la personne en présentiel. En effet, l’extraction, même expressément demandée, aura toutes les chances de ne pas avoir lieu faute de moyens et d’effectifs suffisants pour l’administration pénitentiaire. C’est déjà le cas aujourd’hui et cela entrave le bon déroulement des instructions en matière de criminalité organisée.
Priver le juge du face-à-face avec ces personnes, c’est le priver de marge de manœuvre dans son office, d’autant plus lorsqu’il est question de faits graves, complexes et en lien avec des réseaux criminels. Celui-ci ne pourra ainsi remplir pleinement sa mission s’il ne peut plus interroger, observer, écouter, réagir, répondre, confronter une personne mise en examen, dans le cadre du face-à-face judiciaire où beaucoup se joue : l’interrogatoire.
Ce face-à-face est une interaction clé, essentielle à la qualité de la justice rendue. Elle est aussi la condition première de la crédibilité et de l’efficacité du procès pénal comme du travail juridictionnel : le respect du contradictoire et des droits de la défense préserve – et encore, a minima – un espace de compréhension de la procédure et de la décision judiciaire.
L’incapacité de l’exécutif à assurer des conditions de sécurité suffisantes aux agent·es de l’administration pénitentiaire pour les extractions, faute de volonté politique, de budget, d’effectifs et de moyens matériels, sert aujourd’hui d’argument pour déshumaniser la justice dans le cadre de la criminalité organisée. Elle servira, demain, de prétexte pour priver d’autres catégories de personnes, dans d’autres contentieux, de franchir même sous escorte, les portes des palais de justice.
La valeur de ces principes élémentaires apparaîtra de façon flagrante lorsqu’ils auront été abandonnés et que les justiciables auront été définitivement coupés de leurs juges.