Lettre ouverte à François Faletti, procureur général près la Cour d'appel de Paris

Monsieur le Procureur général,

Par une note datée du 18 mars 2011 vous avez communiqué aux Procureurs de la République du ressort de la Cour d’appel de Paris une dépêche de Monsieur le Garde des sceaux du 9 mars 2011 relative à l’application des articles L 222-6 et L 552-10 du CESEDA instituant un appel suspensif du parquet contre les ordonnances des JLD statuant en matière de maintien en rétention ou en zone d’attente.

L’attention du Garde des sceaux ayant été appelée – par le ministère de l’intérieur sans doute ? – sur la faible mise en œuvre de la possibilité donnée au Ministère public de recourir aux demandes d’appel suspensif, il constatait néanmoins qu’il ne pouvait être envisagé d’en faire un usage systématique. Il recommandait, en revanche, de mieux appréhender et de déterminer «en concertation avec l’autorité administrative compétente les situations dans lesquelles les demandes d’effet suspensif semblent particulièrement appropriées au regard des critères définis par le CESEDA ».

Si cette recommandation s’accompagnait de la réserve – incantatoire et formelle – du pouvoir d’appréciation revenant aux parquets « au cas par cas », elle consacre néanmoins la volonté marquée que leur politique d’appel s’inspire fortement des objectifs de l’administration en matière de refoulement ou d’éloignement d’étrangers.

À ce titre, ces instructions ne sont pas acceptables : en aucune manière le Ministère public ne peut en effet se mettre ainsi à la disposition d’une partie à une procédure, fut-ce l’administration.

Mais si nous vous faisons part de la réprobation qu’elle nous inspire, c’est aussi et surtout parce que les termes dans lesquels vous avez cru devoir les relayer auprès des parquets de votre ressort nous apparaissent bien plus inacceptables encore.

Votre zèle vous a en effet conduit à aller au-delà des préconisations du Ministre, en expliquant aux Procureurs de la République que leurs appels devraient être « systématiquement » assortis d’une requête aux fins de les faire déclarer suspensifs.

Non content de cette surenchère, vous leur avez au surplus expliqué que la définition « avec la préfecture » des critères généraux de recours à la procédure d’appel suspensif devait se doubler, « dans les cas où l’autorité administrative souhaiterait que le parquet interjette un appel suspensif », de la transmission au parquet concerné d’une fiche « récapitulant de façon précise les éléments de fait et de droit à l’appui de cette procédure ».

Il devient ainsi explicite que, non seulement l’administration est complaisamment mise en mesure de participer à la définition des orientations des parquets en cette matière, mais encore l’exercice des appels suspensifs est finalement à sa discrétion au cas par cas et ce, sous la seule réserve qu’elle rédige le rapport d’appel et la requête au Premier président aux lieu et place du magistrat du parquet.

Il est inconcevable que de telles instructions, déléguant aux préfets l’exercice des prérogatives du Ministère public, puissent être données à des magistrats et nous vous demandons solennellement de les rapporter.

Compte tenu de l’importance des enjeux qui s’attachent à cette question, nous faisons le choix de rendre cette demande publique.

Nous vous prions de croire, Monsieur le procureur général, à l’assurance de notre considération.

Pour le Syndicat de la magistrature

Clarisse TARON, Présidente