Garde à vue et séjour irrégulier : lettre ouverte au procureur de Paris

Publié le 13 juin 2012

Monsieur le procureur de la République,
Il y a quelques mois encore, vous dirigiez le cabinet du précédent garde des Sceaux. Ce même garde des Sceaux qui, par une circulaire du 12 mai 2011, invitait l’ensemble des magistrats de France à ignorer pour l’essentiel les conclusions de l’arrêt « El Dridi » rendu le 28 avril 2011 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) – dont il résultait pourtant clairement que les étrangers en situation irrégulière ne pouvaient plus être placés en garde à vue ni emprisonnés pour ce seul motif.
A l’époque, nous avions dénoncé la mauvaise foi criante du ministère : « Chacun comprend ce qui pousse la Chancellerie à s’arc-bouter sur une lecture partielle de l’avis de la CJUE : il s’agit à l’évidence de mettre « à l’abri » la pratique de la garde à vue comme antichambre des centres de rétention. Les magistrats sauront, en toute indépendance, porter une appréciation objective sur cette analyse biaisée et la regarder pour ce qu’elle est : la tentative désespérée d’un ministre de préserver la politique du chiffre en matière migratoire » (lettre ouverte à Michel Mercier du 16 mai 2011).
On connaît la suite : le 5 juin dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un avis remarqué, confirmant de fait notre analyse et invalidant celle du ministre d’alors (réitérée dans une circulaire tout aussi fallacieuse du 13 décembre 2011 après l’arrêt « Achughbabian »).
Etant désormais procureur de Paris, la logique aurait dû vous conduire à donner pour instruction aux officiers de police judiciaire de votre ressort de ne plus placer en garde à vue des étrangers sur le seul soupçon qu’ils seraient en séjour irrégulier ou, à tout le moins, à inviter les magistrats de votre parquet à lever toute garde à vue ainsi décidée.
Las, il n’en fut rien. Vous avez préféré – au cours d’une réunion organisée en fin de semaine dernière avec les chefs des sections du parquet de Paris – indiquer aux magistrats placés sous votre autorité qu’il était urgent de ne rien changer, c’est-à-dire de ne pas mettre fin à de telles gardes à vue, pourtant contraires au droit...
Cette position partisane en dit long sur la conception que vous nourrissez de votre rôle à la tête du plus important parquet de France : vous avez manifestement choisi de perpétuer sur le terrain judiciaire les errements auxquels vous avez été associé sur le terrain politique.
Vous nous rétorquerez sans doute qu’aucune circulaire n’a été diffusée à ce jour par la Chancellerie sur ce sujet ; permettez-nous de vous rappeler que la sauvegarde des libertés individuelles, qui constitue le coeur de votre mission de magistrat, n’a pas besoin de circulaires...
Dans les jours qui viennent, selon toute vraisemblance, des étrangers seront expulsés après avoir fait l’objet de gardes à vue nulles « grâce » à vos instructions ; d’autres, qui n’auront pas pu être expulsés avant d’avoir rencontré un juge, verront sans doute leurs procédures annulées. Chacun pourra alors mesurer la portée de l’appréciation formulée à votre égard par Michel Mercier pour justifier votre nomination à ce poste : vous êtes, décidément, un « bon professionnel ».
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le procureur, l’expression de nos salutations distinguées.
Pour le Syndicat de la magistrature,
Matthieu Bonduelle, président
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