I. Sur le principe de la retenue pour vérification du droit au séjour

1. Le Syndicat de la magistrature déplore profondément que la première initiative du gouvernement en matière de droit des étrangers consiste à créer une nouvelle mesure de contrainte expressément destinée à faciliter la mise en œuvre des mesures d'éloignement. L'empressement dont la nouvelle majorité fait ainsi preuve, renforcé par l'adoption de la procédure accélérée, souligne le choix de perpétuer une politique de stigmatisation des étrangers qui a pourtant déjà gravement dégradé les valeurs universelles auxquelles la République se réfère.

Comment comprendre la volonté revendiquée de mobiliser un tel arsenal juridique et policier pour permettre l'appréhension, l'enfermement, puis l'expulsion au plus tôt des étrangers qui n'ont pas obtenu l'autorisation de séjourner en France si ce n'est qu'elle repose sur le présupposé indigne selon lequel leur seule présence devrait être regardée comme une menace ?

C'est la figure d'un étranger dangereux parce qu'il est étranger qui est ainsi perpétuée, celle d'un étranger dont la personne se réduit à sa seule situation administrative, dont l'histoire personnelle et les liens familiaux, professionnels, sociaux qu'il a pu tisser en France – qui font, ensemble, son identité – sont totalement occultés.

Seule semble prévaloir une urgente nécessité d'encourager la tentation du repli national.

Loin d'apaiser les tensions sociales qui justifieraient, selon le gouvernement, la politique de « fermeté » à l'égard de l'immigration irrégulière au nom de laquelle cette initiative est prise, elle aura au contraire pour effet de les attiser en continuant de dresser aveuglément des hommes contre d'autres.

2. Ces orientations délétères sont encore renforcées par le choix du gouvernement de créer une mesure de retenue spécifique aux étrangers et dérogatoire au droit commun des vérifications d'identité.

L'argument avancé est celui d'un vide juridique qui aurait été créé par les décisions de la Cour de cassation confirmant l'impossibilité de recourir à la garde à vue, laquelle se déduisait déjà des arrêts « El Dridi » et « Achughbabian » de la Cour de justice de l'Union européenne.

Mais il n'y a pas de vide juridique.

D'abord parce que le recours à la garde à vue, qui prévalait jusqu'à maintenant, ne constituait rien d'autre qu'un détournement d'une procédure judiciaire à des fins purement administratives, de sorte qu'il ne peut y avoir lieu de pallier la fin d'une pratique qui était intrinsèquement viciée.

Surtout, le Code de procédure pénale organise déjà une procédure de vérification de la situation administrative d'une personne, étant observé que la vérification du droit au séjour ne diffère en rien, quant à sa nature, de la vérification d'identité prévue à l'article 73.

Or, le principe en matière de vérification d'identité est que si l'identité de la personne contrôlée n'a pu être établie dans le délai de quatre heures, l'intéressé doit être remis en liberté. Pourquoi, dès lors, l'étranger dont le droit au séjour n'a pu être vérifié dans le délai de quatre heures ou à l'égard duquel l'administration n'a pas été en mesure de prendre « les décisions administratives applicables » devrait-il, lui, rester néanmoins retenu (pour une durée quatre fois supérieure), si ce n'est que sa situation irrégulière devrait être considérée comme présumée ou que son éloignement immédiat comme constituant une priorité absolue ?

Une fois encore, c'est donc la gravité supposée de la menace que sa seule présence ferait courir qui sous-tend et justifierait ce dispositif dérogatoire. De telles considérations ne sauraient fonder une mesure privative de liberté à ce point discriminante.

3. Enfin la nécessité, même du point de vue du gouvernement, de disposer d'un substitut à la garde à vue pour pouvoir mener à bien les procédures d'éloignement est en réalité démentie en pratique.

Les modalités des contrôles d'identité, pratiqués par des services de police disposant aussi bien d'un accès au fichier national des étrangers et au fichier des personnes recherchées que de moyens de communication avec les préfectures et ce, au moment et sur les lieux mêmes du contrôle, permettraient en effet, dans la majorité des cas, de produire dans le délai de quatre heures les décisions administratives – pré-imprimées – d'éloignement et de placement en rétention.

A telle enseigne qu'à notre connaissance la préfecture de police de Paris a pu maintenir globalement le niveau des reconduites à la frontière en réorganisant ses permanences. On remarquera incidemment que ces indications révèlent que, quoi qu'en dise le ministre de l'intérieur, la culture du chiffre reste bien le prisme au travers duquel cette politique d'éloignement continue d'être menée.



{{II. Sur la nature de la retenue pour vérification du droit au séjour et les recours qu'elle doit ouvrir
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Administrative au regard de sa finalité, la retenue est assortie d'un certain nombre de modalités qui la teintent d'une certaine coloration judiciaire, la plus emblématique étant l'instauration d'un « contrôle » – en pratique parfaitement illusoire – attribué à l'autorité judiciaire qu'est le procureur de la République, du moins dans la conception de cette autorité qui prévaut en droit interne.

S'il en résulte une incertitude sur la nature des recours qui seront ouverts contre cette mesure privative de liberté, la seule information, donnée au procureur de la République, de la mise en œuvre de la mesure à l'égard de telle ou telle personne ne saurait, en tout état de cause, être considérée comme assurant un contrôle effectif de la régularité de la retenue.

A tout le moins – et quelle que soit la qualification juridique qui lui sera donnée – le juge des libertés et de la détention qui sera saisi d'une demande de prolongation de la rétention précédée de cette retenue devra-t-il pouvoir en apprécier la régularité au titre des pouvoirs qu'il tient de l'article 66 de la Constitution.

Cette exigence ne garantira toutefois un contrôle effectif par une autorité judiciaire au sens de l'article 5 de la CEDH que si ce contrôle intervient dans un délai permettant de tirer les conséquences de vices susceptibles d'entacher la régularité de la retenue.

Il est donc impératif de revenir sur les dispositions de la loi du 16 juin 2011 qui, modifiant l'article L 552-1 du CESEDA a reporté de 48 heures à cinq jours le délai dans lequel le juge des libertés et de la détention doit être saisi aux fins de prolongation de la rétention.

Les informations fournies par la Cimade selon lesquelles cette disposition a fait passer de 8,4 à 25 le pourcentage de mesures d'éloignement mises en œuvre, en Métropole, hors de tout contrôle du juge judiciaire légitiment a fortiori cette exigence, qui découle tant de l'article 15 de la directive « retour » que des principes constitutionnels les plus assurés, la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 qui valide ce report apparaissant comme un véritable reniement de sa jurisprudence antérieure.

Enfin, il serait inconcevable que le point de départ du délai imparti à l'autorité administrative pour saisir le JLD aux fins de prolongation de la rétention ne soit pas fixé au début de la retenue qui l'aura précédée. Il doit évidemment en aller ainsi quel que soit ce délai mais a fortiori s'il était maintenu à cinq jours. Autant, en effet, il était à la rigueur concevable que les durées de la garde à vue – mesure de police judiciaire – et de la rétention – mesure administrative – s'additionnent sans se confondre pour la computation du délai d'intervention du juge judiciaire, autant il ne saurait en aller de même s'agissant de la durée de deux mesures administratives de retenue/rétention se succédant sans solution de continuité.



{{III. Sur les garanties dont doivent bénéficier les personnes retenues
}}

Les droits de la personne retenue doivent être définis et consacrés en tenant compte, tout à la fois, des finalités et des modalités de la retenue que la loi institue. Privation de liberté impliquant l'exercice d'une contrainte, elle est au surplus conçue pour être l'antichambre des mesures d'éloignement qui marqueront, pour les étrangers qui les subiront, un arrachement brutal à des liens professionnels, familiaux, sociaux, affectifs et le retour impréparé vers un pays où, souvent, ils ne trouveront aucun accueil. Autant dire que l'enjeu personnel et humain que concentrent les premières heures d'un tel basculement justifient largement l'ouverture de droits qui assurent aux intéressés la capacité d'y faire face dans les moins mauvaises conditions.

Dès lors, il est essentiel que l'avocat auquel les personnes retenues doivent avoir recours puisse non seulement les rencontrer mais également assister aux auditions au cours desquelles leur situation au regard du droit au séjour – en tant qu'elle détermine ou non la mise en œuvre d'une procédure d'éloignement – sera examinée.

De la même manière, les conséquences qui sont susceptibles de s'attacher à ces auditions justifient que les étrangers retenus soient mis en mesure d'invoquer le droit au silence.



IV. Sur les autres dispositions du projet de loi

1. Le II de l'article 1er du projet modifie l'article L 611-1 du CESEDA pour préciser que, dans ce qu'il est convenu d'appeler « la bande des 20 km », les contrôles de la régularité du séjour prévus audit article ne pourront être pratiqués, par référence à l'article 78-2 du CPP, que « pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne [pourront] consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans [cette] zone ».

Il s'agit de tenter de mettre les dispositions de l'article L 611-1 en conformité avec la jurisprudence de la CJUE (arrêts Melki et Abdeli du 22 juin 2010) selon laquelle les contrôles d'identité ne sauraient, par des modalités et des effets équivalents à ceux des contrôles aux frontières, aboutir à un rétablissement de ces contrôles, proscrits depuis l'ouverture de l'espace Schengen. Par un arrêt du 6 juin 2012 (n°10-25233) la Cour de cassation a en effet jugé que, par la généralité des contrôles du droit au séjour qu'il autorise, l'article L 611-1 aboutit au même résultat.

Or, la Cour de cassation a censuré l'application de cet article « en ce qu'il confère aux policiers la faculté, sur l'ensemble du territoire national, en dehors de tout contrôle d'identité, de requérir des personnes de nationalité étrangère... », de sorte que la précision apportée par le projet de loi ne saurait voir son application limitée à la seule bande des 20 km mais devrait au contraire être étendue à l'ensemble du territoire national.

2. L'article 6 du projet introduit un premier alinéa à l'article L 624-1 du CESEDA pour créer une sorte de délit de « résistance passive » à une mesure d'éloignement venant s'ajouter au délit préexistant de soustraction à mesure d'éloignement.

Outre que ce luxe d'incriminations en dit long sur l'acharnement répressif dont font l'objet les étrangers dont le seul tort est de ne pas être titulaires d'un document administratif, cette disposition apparaît en outre contraire au droit de l'Union européenne tel qu'interprété par l'arrêt « Achughbabian ».

Ce délit serait en effet constitué lorsqu'un étranger se maintient sur le territoire alors que les mesures coercitives propres à permettre l'exécution d'une mesure d'éloignement dont il a fait l'objet ont déjà été mises en œuvre. Or, selon l'arrêt précité, il résulte de la directive du 16 décembre 2008 que le séjour irrégulier (ce que constitue indubitablement le fait de se maintenir sur le territoire en dépit d'une mesure d'éloignement) ne peut être pénalement sanctionné qu'à l'égard d'un étranger qui « n'a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l'article 8 de cette directive et n'a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention ».

Ainsi la conformité de cette nouvelle incrimination au droit de l'Union ne pourrait-elle être acquise qu'à la condition qu'elle reproduise clairement la précision relative à la durée « maximale » de la rétention déjà subie par l'étranger poursuivi.



{{V. Sur la tentative de dépénalisation de l'aide désintéressée au séjour irrégulier
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L'article 8 du projet tente de dépénaliser ce qu'il est convenu d'appeler le « délit de solidarité », à savoir l'aide au séjour pratiquée dans un but désintéressé. La voie choisie apparaît néanmoins totalement inapte à assurer à tous ceux qui se font un honneur de donner concrètement corps aux impératifs d'humanité – auxquels le gouvernement prétend à l'envi, mais sans convaincre, vouloir sacrifier – l'immunité qu'ils méritent incontestablement.

Optant en effet pour dispositif d'impunité par dérogation, le projet laisse en effet à ces aidants solidaires la charge de la preuve du caractère désintéressé de l'aide qu'ils apportent. Ce faisant il les laisse totalement exposés tant aux investigations policières qu'à des poursuites devant la juridiction correctionnelle. Et devant celle-ci, le luxe de conditions plus ou moins redondantes mais néanmoins cumulées qu'ils devront justifier remplir pour prétendre bénéficier de cette immunité crée un véritable parcours d'obstacles qui ne fait qu'alourdir encore le poids de cette charge probatoire.

Comment apporter la preuve, au demeurant, que des prestations juridiques ou des soins médicaux puissent être « exclusivement destinés à assurer [aux étrangers] des conditions de vie dignes et décentes » ? De telles approximations soulignent l'impasse dans laquelle s'enferre le gouvernement en prétendant dépénaliser l'aide désintéressée sans vouloir rien abandonner, en réalité, de sa méfiance de principe à l'égard des associations humanitaires et des citoyens solidaires.

Ce choix est d'autant plus critiquable que la directive 2002/90/CE du 28 novembre 2002 définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irrégulier n'impose d'adopter des dispositions répressives qu'à l'égard de la personne qui « aide sciemment, dans un but lucratif, une personne non ressortissante d'un État membre à séjourner... ». Ainsi la seule redéfinition du délit d'aide au séjour irrégulier incluant la condition de but lucratif mettrait ipso facto les personnes désintéressées à l'abri de toutes poursuites.

Certes une telle disposition mettrait la preuve du but lucratif de l'aide à la charge du ministère public mais telle n'est-elle pas la conséquence logique du choix d'incriminer pénalement ce type de comportement ?