Monsieur le ministre de l’Intérieur,

Alors que la loi du 16 juillet 1912 vient de passer le siècle, n’est-il pas temps d’en finir avec un régime discriminatoire qui déshonore la République ?

Inspirée de considérations raciales et traduisant une volonté de surveillance policière, cette loi avait imposé le carnet anthropométrique d'identité pour les « nomades », lesquels ont été victimes des crimes contre l'Humanité commis pendant la seconde guerre mondiale.

La loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, dites « gens du voyage », assouplissait ce régime, mais maintenait un dispositif dérogatoire au droit commun, notamment en substituant aux carnets anthropométriques des titres de circulation.

Le 5 octobre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré certaines des dispositions relatives à ces titres et la nécessité de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu à la même commune pour l'inscription sur la liste électorale. Sont ainsi abrogés les carnets de circulation, que devaient posséder les personnes circulant plus de six mois dans l'année sans domicile fixe et sans revenus réguliers. Ces personnes n'ont plus à faire viser un carnet tous les trois mois et ne sont plus passibles d'une peine d'emprisonnement en cas de manquement. Elles ne peuvent bien sûr plus être placées en garde à vue pour ce motif. Elles demeurent toutefois assujetties à un livret de circulation et elles ont l'obligation d'être rattachées à une commune. Concernant les droits civiques, le délai nécessaire à l'inscription sur les listes électorales est ramené de trois ans à six mois, comme pour les autres citoyens, mais les gens du voyage restent une catégorie d'électeurs à part puisque leur nombre est limité par la loi à 3% de la population de la commune de rattachement.

Cette décision du Conseil constitutionnel est positive en ce qu'elle sanctionne les violations les plus criantes des droits et libertés des gens du voyage.

Mais les dispositions de la loi de 1969 qui subsistent ont pour effet d'éloigner les gens du voyage des dispositifs et services auxquels chacun doit pouvoir accéder et imposent des contraintes inutiles. Elles sont les dernières traces honteuses d'une époque où cette partie de la population était assimilée à des « étrangers et asociaux indésirables ». Aucun argument raisonnable, et certainement pas la volonté d'exercer une étroite surveillance, ne peut justifier la persistance de telles inégalités. Les gens du voyage ne peuvent pas demeurer, pour la République, des citoyens de seconde zone.

Il appartient maintenant au pouvoir politique de rendre la dignité à tous les citoyens en appliquant le droit commun aux gens du voyage.

Il est temps de se conformer aux décisions des instances internationales, du Comité Européen des Droits Sociaux, de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité... Il est plus que temps de tourner le dos au discours ignoble de Grenoble, de cesser de stigmatiser les gens du voyage et de concrétiser la promesse d'égalité républicaine pour tous dont la gauche a toujours été porteuse.

À cet égard, nous nous souvenons que le chef du gouvernement auquel vous appartenez avait signé le 15 décembre 2010, alors qu'il était dans l'opposition parlementaire, une proposition de loi portant abrogation totale de la loi de 1969.

Le Syndicat de la magistrature vous demande, par la présente lettre rendue publique compte tenu des enjeux, de ne pas attendre davantage pour mettre fin à cet indigne régime d'exception.

Nous vous prions de croire, Monsieur le ministre de l'Intérieur, en l'expression de notre parfaite considération.


Pour le Syndicat de la magistrature,

Matthieu Bonduelle, président