Introduction

- sur la méthode

Le Syndicat de la magistrature conteste fermement le recours à la procédure parlementaire accélérée pour l'examen de ce texte : l'urgence n'est nullement justifiée compte tenu de l'arsenal juridique existant qui ne cesse de se développer depuis 1986. En outre, lorsqu'il s'agit d'adopter des mesures par définition attentatoires aux libertés individuelles et très souvent dérogatoires au droit commun, le temps du débat démocratique ne devrait pas pouvoir être ainsi écourté.

Le Syndicat de la magistrature a suffisamment combattu la méthode de gouvernement de la précédente majorité consistant à faire adopter des lois sécuritaires dans l'urgence, sans réelle concertation et dans le mépris du débat démocratique, pour regretter vivement que la nouvelle majorité de gauche utilise les mêmes procédés au parlement.

- sur le fond

La genèse de ce projet de loi soulève également des interrogations sur le choix politique du gouvernement de reprendre à son compte des dispositions préparées par l'ancienne majorité à des fins politiciennes. En effet, certaines de ces mesures trouvent leur inspiration dans les annonces faites en pleine campagne présidentielle par Nicolas Sarkozy, le jour même de l'assaut lancé par les forces de l'ordre contre Mohammed Merah, dans le cadre d'une indigne stratégie de récupération d'un candidat qui avait déjà habitué l'opinion publique à l'exploitation politique éhontée du moindre fait divers tragique depuis cinq ans.

Alors que toutes les leçons de "l'affaire Merah" n'ont pas encore été tirées, puisque le ministre de l'Intérieur doit recevoir prochainement le rapport qu'il a sollicité sur les éventuels dysfonctionnements des services de renseignement français, il est pour le moins surprenant que le gouvernement, dans l'urgence, propose un projet de loi contenant des dispositions hétéroclites dans un esprit d'affichage politique.

Nul ne conteste la nécessité absolue de lutter contre les méthodes et les actes terroristes qui, comme le rappelle la Résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies du 8 septembre 2006, visent "l'anéantissement des droits de l'homme, des libertés fondamentales et de la démocratie".

Au nom du principe fondamental d’égalité des droits entre les citoyens, cette lutte ne devrait pas passer par l’instauration et le développement d’une procédure d’exception comme l’est la législation anti-terroriste. Le droit commun, qui mêle des temps d’enquête différents, de larges et diversifiés moyens d’action doit suffire.

Ce n’est pourtant pas la voie retenue par les gouvernements et parlementaires qui se sont succédés, et les procédures et règles dérogatoires n’ont cessé de se développer.

En cette matière plus qu'en toute autre, le législateur doit à la fois adopter des moyens adéquats et efficaces contre le terrorisme, tout en veillant à préserver l'équilibre entre ces mesures et le respect des libertés fondamentales et de l'Etat de droit.

C'est à l'aune de ces deux impératifs qu'il convient d'analyser le présent projet de loi.

Article 1er

Il proroge jusqu'au 31 décembre 2015 les articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006 qui avaient été adoptés à titre expérimental. Cette disposition vient conforter la règle selon laquelle les mesures exceptionnelles finissent toujours par être reconduites. En l'occurrence, on peut se demander si cette reconduction n'équivaut pas en réalité à une pérennisation pure et simple.

* L'article 3 de la loi du 23 janvier 2006 élargit le champ d'application des contrôles d'identité dits "Schengen" qui peuvent être effectués dans les trains assurant des liaisons internationales.
}

Le Syndicat de la magistrature estime, comme il l'a déjà expliqué en 2006, au moment du vote de la loi du 23 janvier, que cette disposition ne relève pas de la lutte contre le terrorisme, les contrôles d'identité n'ayant jamais joué un rôle déterminant en la matière.

En réalité les contrôles d'identité "Schengen" de l'article 78-2 alinéa 4 ont pour seul objectif la lutte contre l'immigration clandestine.

Compte tenu des garanties insuffisantes attachées à de ce type de contrôles et des dérives constatées de manière plus globale dans les pratiques policières, le Syndicat de la magistrature revendique une "remise à plat" de notre législation en matière de contrôle d'identité.

{* L'article 6 a créé une procédure reposant sur l'obligation pour les opérateurs de communications électroniques de conserver les données de connexion afin qu'elles puissent être mises à la disposition des services de police dans le cadre des opérations administratives de prévention des actes de terrorisme.
}

L'article 9 a autorisé les services spécialisés de la police et de la gendarmerie à accéder aux données de certains fichiers administratifs dans le cadre de la prévention et de la répression des actes de terrorisme.

Ces articles n’appellent pas de commentaire particulier. Il pourrait néanmoins être intéressant que votre commission sollicite que l’avis rendu par la CNIL le 13 septembre au sujet de cette loi, et vraisemblablement en lien avec ces dispositions, soit rendu public afin d’alimenter un débat déjà largement escamoté.

Article 2

Cet article prévoit que la loi française sera applicable à tous les actes de terrorisme, définis par les articles 421-1 et suivants du Code pénal, commis par des ressortissants français à l’étranger, qu’ils soient des crimes ou des délits

Ce faisant, il déroge aux articles 113-6 et 113-8 du Code pénal puisqu’il ne sera plus nécessaire, pour que les faits susceptibles de constituer un acte de terrorisme de nature délictuelle soient poursuivis en France, qu’ils soient réprimés dans le pays où ils ont été commis, ni qu’ils soient dénoncés par les autorités de ce pays ou la plainte des victimes et de leurs ayants droit.

Cet article permettrait ainsi de passer outre ces conditions qui peuvent être problématique concernant les Etats qui tolèrent voire soutiennent certaines activités de nature terroriste. C’est du moins comme cela que le présente le gouvernement.

Il s'agirait de permettre le déclenchement de l'action publique à l'encontre de tout Français qui se rendrait à l'étranger pour y commettre des actes de nature terroriste, y compris pour participer à des camps d'entraînement à l'action terroriste, tout cela sous couvert de l’infraction de participation à une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.

En effet, l’intérêt principal de cette disposition pour le gouvernement est de permettre l’application de la loi française à cette infraction d’association de malfaiteurs qui constitue, sauf circonstance aggravante, un délit.

Il s’agit cependant là pour l’essentiel d’un effet d’affichage puisqu’elle ne concernerait que quelques situations, la plupart des cas étant couverts par le dispositif existant permettant l’application de la loi française à ce délit, dès lors qu’un élément constitutif a été commis en France, ce qui arrive la plupart du temps, ou que ce délit est connexe à une infraction commise en France.

Ce dispositif risque en outre de poser clairement un problème de preuve dans le cadre d'une procédure judiciaire : s'il est plutôt aisé de démontrer qu'une personne s'est rendue dans tel ou tel Etat, il s'avère en revanche très difficile de réunir les preuves touchant aux activités concrètes auxquelles elle a pu se livrer à l'étranger. D'autant que dans cette perspective, les magistrats devront recourir à la coopération pénale internationale dont les résultats, en fonction de la bonne volonté des autorités du pays et des moyens d'enquête déployés, sont très aléatoires. Le risque est grand que ces procédures judiciaires se soldent par des échecs, et que cette mesure ne conduise en réalité au déclenchement de poursuites, voire à la mise en détention provisoire, de personnes uniquement « coupables » de s’être rendues à l’étranger sans qu’in fine des charges suffisantes ne puissent être rassemblées. Ce texte, sous des dehors anodins, constitue aussi un risque pour les libertés.

La seconde difficulté a été soulevée par le juge antiterroriste Marc Trévidic (cf. interview au Nouvel Observateur du 18/09/2012) qui estime qu'avec cette nouvelle possibilité, il existe un risque majeur de se contenter d'interpeller la personne soupçonnée d'avoir effectuer un séjour à l'étranger à visée terroriste dès son retour en France, sans chercher à mener une enquête approfondie permettant d'identifier un éventuel réseau et ses activités. Cela reviendrait à une action préventive "a minima" qui peut faire craindre de "passer à côté" d'un danger plus important.

De manière générale, il apparaît aujourd'hui que l'arsenal juridique existant reposant principalement sur le délit "d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" est largement suffisant pour agir à titre préventif.

Article 3

Cet article précise que si la commission départementale d'expulsion n'a pas donné son avis dans un délai imparti, sur l'expulsion envisagée d'un étranger dont les comportements "sont liés à des activités à caractère terroriste", le préfet ou le ministre peut prendre sa décision sans attendre cet avis "réputé rendu".

La procédure d'avis donné par la commission prévue aux articles L 522-1 et 2 doit être regardée comme une garantie essentielle pour les droits de la défense puisque c'est le seul cadre dans lequel pourront être fournis - et évalués par une autorité indépendante de l'administration (composée de 2 magistrats de l'ordre judiciaire et d'un magistrat administratif) - des éléments susceptibles de modifier l'appréciation de l'autorité administrative qui a décidé d'initier la procédure d'expulsion.

Le Syndicat de la magistrature considère que cette disposition est en l'état inacceptable car elle revient à supprimer les quelques garanties qui s'attachent à cette procédure d'avis, même si cet avis ne lie pas l'autorité administrative, et ce alors qu'il existe déjà pour les cas les plus graves une procédure d'urgence sans avis préalable. En outre, plus le délai fixé sera bref, plus la consultation de cette commission deviendra fictive. En tout état de cause, il serait légitime que le législateur puisse lui-même déterminer ce délai.

Si l'expérience montre que ce délai d'un mois ne peut pas être tenu dans un nombre significatif de cas, il suffit de modifier le texte réglementaire et de l'allonger à deux mois plutôt que de prévoir une sanction aussi grave pour l'intéressé et qui donne finalement, en pratique, toute latitude à l'autorité administrative pour se dispenser de cet avis.

Il faut par ailleurs relever que cette "sanction" de l'incapacité, pour la commission, de statuer dans le délai d'un mois jouera dans toutes les procédures d'expulsion, quel qu'en soit le motif, et non pas seulement dans les cas où l'expulsion est motivée par des "comportements liés à des activités à caractère terroriste". On comprend donc mal que cette disposition trouve sa place dans ce projet de loi, qui apparaît dès lors comme un moyen de supprimer de facto une garantie essentielle pour les personnes menacées d'expulsion.

Article 4

Ce texte n’appelle aucun commentaire particulier.

Articles 5 et 6

Ces articles visent à autoriser le gouvernement à légiférer par ordonnances, en vertu de l'article 38 de la Constitution.

L'article 5 concerne la ratification de l'ordonnance du 12 mars 2012 relative à la partie législative du Code de la sécurité intérieure qui aurait ainsi force de loi. Quant à l'article 6, il sollicite l'habilitation du gouvernement par le parlement à procéder par ordonnance pour insérer dans le Code de la sécurité intérieure des dispositions de la loi du 6 mars 2012 relative à "l'établissement d'un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif".

On notera que les textes dont il est question ont été adoptés par l'ancienne majorité politique. Il est donc pour le moins curieux que le gouvernement actuel fasse le choix de les intégrer directement dans notre droit sans en revoir les dispositions.

Enfin, concernant une matière aussi sensible que la sécurité intérieure, il serait par principe préférable que le Parlement puisse pleinement exercer ses attributions.