Formation/recrutement des magistrats

Nous avions accueilli l’annonce d’un audit concernant l’ENM avec la plus grande des méfiances. Il s’agissait pour nous d’une nouvelle étape d’une longue séquence remettant en question, sans se fonder sur des éléments et analyses concrets le justifiant, le travail de l’école, alors que l’immense majorité des magistrats et un grand nombre de professionnels du droit qui l’ont fréquentée reconnaissent sa qualité. Les premiers résultats de laudit commencent à se dessiner : l’école nous a communiqué les synthèses des ateliers organisés par les sociétés chargées de l’audit qui permettent de dégager les premières esquisses des orientations stratégiques, que vous trouverez en pièce jointe, et il est l’heure pour nous de juger sur pièces - nos craintes étaient-elles fondées?
Le recours à une société d’audit nous interrogeait : l’inspection générale de la justice aurait tout à fait pu être désignée sans solliciter de la part d’une société peu au fait du fonctionnement du monde judiciaire une analyse sur le fonctionnement de l’école - s’il s’agissait d’éviter que le rapport soit réalisé par des magistrats, la Cour des comptes aurait pu être sollicitée. Nous estimions alors que le recours à un cabinet daudit instillait l’idée d’une suspicion envers le service public, suspecté de tous les maux. Nous constatons que nos craintes n’étaient pas infondées : un nombre significatif de recommandations viennent calquer des recettes du privé sur la magistrature et l’ENM, sans considération de son mode de fonctionnement et de ses spécificités.

Nous craignions que l’audit ne se limite pas à un bilan de l’existant : le contrat prévoyait qu’il s’agissait « d'effectuer un audit de l’école nationale de la magistrature qui permettra de déterminer les orientations stratégiques de l’établissement pour les prochaines années » : « sur la base d’un état des lieux de la formation existante, des attentes sociétales à l’égard de la justice, mais également dans la perspective de développer les synergies entre les professions judiciaires et d’intégrer les réflexions en cours sur le plan interministériel de modernisation de la haute fonction publique, il s’agira de formuler des propositions ».

A dire vrai, l’audit s’est même concentré sur les orientations stratégiques et a parfois omis un bilan de l’existant, sauf à considérer que ce bilan se limite aux auditions de personnalités qualifiées sans restitution par ailleurs de ce qui en est ressorti. Les orientations stratégiques évoquées sont de deux sortes : certaines reprennent des demandes qui avaient été identifiées depuis longtemps et qui méritent effectivement réflexion (l’allongement de la scolarité des candidats à l’intégration directe et concours complémentaires par exemple), même s’il n’était clairement pas nécessaire de faire un audit pour cela. D’autres relèvent d’une projection à plus long terme, sont loin de concerner uniquement l’ENM et sont peut être les plus discutables (spécialisation des carrières et refonte des règles de gestion des ressources humaines par exemple). Notre crainte est à cet égard que les préconisations de l’audit servent d’inspiration à la DSJ ou dans certains cas alimentent les visées contestables de la DSJ et légitiment des réformes dangereuses pour l’indépendance de la justice et le fonctionnement des juridictions.

L’audit avait été justifié par la volonté d’aller vite et de permettre à la nouvelle directrice de disposer dun point d'appui pour réformer. Comme souvent, le timing initial n’a pas été respecté, puisque selon le cahier des charges, pour le 31 juillet 2021, la société d’audit devra « accompagner la direction de l’école dans la déclinaison opérationnelle des grandes orientations stratégiques retenues », en élaborant « un catalogue et un calendrier de mesures concrètes de mise en œuvre de celles-ci » : pour l’instant l’un des ateliers n’a pas livré ses conclusions, et les grandes orientations stratégiques semblent encore loin. Le volet financier nous interroge également : l’audit s’est éloigné du projet initial, certaines auditions non prévues initialement ont été rajoutées, et il sera sûrement nécessaire de tenir compte des échanges lors du Conseil d’administration du 2 juillet 2021 au cours duquel tant la première présidente que le procureur général près la Cour de cassation que les syndicats, les chefs de cour et même la chancellerie ont fait des remarques sur les premières conclusions de l’audit - cela entraînera-t-il une augmentation corrélative des sommes en jeu?

Nous estimions, lorsque l’audit a été annoncé, que cette façon de procéder était la continuation d’une méthode bien rodée depuis 2017, éprouvée dans tous les champs de l’action publique : gouverner et réformer en s’appuyant sur des groupes d’experts ad hoc, des sociétés d’audit ou en organisant des pseudo consultations citoyennes sans s’assurer que les termes du débat sont correctement posés et la méthodologie fiable, tout en écartant les organisations syndicales et professionnelles et les travaux des universitaires, tout ce qui constitue les corps intermédiaires. Bref, une nouvelle illustration de la verticalité du pouvoir adossée à la gouvernementalité managériale.

Nous constatons malheureusement aujourd’hui que nos craintes étaient fondées. 

Vous trouverez en pièce jointe nos observations sur les préconisations issues des ateliers.