Chaque année, la période d’automne est marquée par les débats au Parlement sur les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale. Cette année, les débats, qui se sont achevés à l’Assemblée nationale après de déclenchement à 4 reprises de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par la Première ministre, sont emblématiques du paysage politique issu des élections présidentielles et législatives et d’une majorité relative qui, n’arrivant pas à s’imposer, fait fi de la représentation nationale pour passer en force.

Le budget de la justice était particulièrement attendu, à un an de la tribune dite « des 3000 » et de la mobilisation nationale qui s’en est suivie. Multipliant les passages médias, le garde des Sceaux a ainsi martelé qu’avec la nouvelle augmentation du budget de la mission justice de 7,8 %, faisant suite aux +8 % des deux années précédentes, il réalisait « un triplé historique ». Lors de sa conférence de presse du 27 septembre, il a même déclaré, en toute humilité : « je m’étais engagé à redonner à la Justice les moyens de travailler. Promesse tenue ! ».

La mission justice devrait se voir attribuer 9,6 milliards d’euros en 2023, soit 710 millions de plus qu’en 2022. Et pour une fois, les services judiciaires n’ont pas été laissés pour compte : ils bénéficient d’une hausse de 7,8 % en crédits de paiement, contre 7,5 % pour l’administration pénitentiaire. La protection judiciaire de la jeunesse connaitra quant à elle une augmentation 10,4 % en crédits de paiement, le programme conduite et pilotage de la politique de la justice une augmentation de 6,9 %, et le programme accès au droit et à la justice de 4,7 %.

S’agissant des créations d’emploi, le ministère promet 1200 emplois supplémentaires pour les services judiciaires, dont 200 magistrats. Ces derniers profiteront par ailleurs d’une enveloppe de 29,2 millions d’euros dédiés à la revalorisation de leurs traitements à compter du mois d’octobre 2023.

Peut-on réellement se satisfaire de ces belles annonces ? Suffiront-elle à réparer la Justice ? Assurément, non.

Comme à l’accoutumée, nous avons été entendus sur la mission Justice, d’abord par la commission des lois de l’Assemblée nationale, puis par les commissions des finances et des lois du Sénat. Lors de ces auditions, nous avons fait valoir notre analyse du projet annuel de performance tout en apportant notre approche de terrain sur ce qui dysfonctionne et ce qui mériterait plus de moyens.

De façon globale, nous avons fait valoir que les efforts budgétaires concédés depuis 3 ans pour la justice ne sauraient à eux-seuls suffire à remettre les tribunaux en état de fonctionner et à redonner du sens à l’action judiciaire, pour au moins trois raisons.

- D’abord, parce que les besoins sont colossaux. Ils se constatent sur le terrain : les professionnels continuent se s’épuiser voire de mourir au travail, et les justiciables restent réduits à l’état de « stocks ». Les tribunaux sont toujours vétustes, les logiciels toujours ancestraux. Les prisons débordent, y compris les établissements pour mineurs.

Ils sont aussi objectivés par des données : le dernier rapport de la CEPEJ, publié au mois d’octobre 2022 et basé sur des données de 2020, en témoigne. La France compte 11,15 juges professionnels et 3,19 procureurs pour 100 000 habitants. Cela demeure très en-deçà de la médiane européenne (respectivement de 17,60 juges et 11,10 du ministère public) : pour atteindre cette médiane, la France devrait compter environ 19.500 magistrats.   A coups de 200 magistrats supplémentaires par an, il ne faudrait pas un quinquennat pour «réparer la justice», mais 50 années pour seulement atteindre la médiane européenne.


Au niveau national, quand on demande aux chefs de cours de faire remonter leurs besoins réels, ce sont 4991 magistrats supplémentaires qui sont demandés.

Nous avons aussi publié au début de l’année 2022 une large enquête permettant de montrer que la surcharge de travail des magistrats demeure réelle, de même que la souffrance qui en résulte inévitablement.

- Ensuite, parce que l’augmentation annoncée doit être relativisée : l’inflation atteignait 6,2 % au mois d’août, et est prévue à plus de 4 % sur l’année 2023, ce qui réduit d’autant l’augmentation en valeur annoncée. Le ministère de la Justice demeure par ailleurs un petit ministère en terme de budget.

- Enfin, parce que les priorités données au gouvernement pour l’allocation du budget sont discutables : les avantages catégoriels ne profitent pas aux greffiers à hauteur de ce qui serait nécessaire, la politique pénale visant à réprimer la petite et moyenne délinquance plutôt que le crime organisé et la délinquance en col blanc n’est pas remise en cause, la surpopulation carcérale n’est vue que par le prisme du nombre de places de prisons, la justice civile est encore trop mise à l’écart et simplement appréhendée sous un prisme gestionnaire d’écoulement des stocks. Le mouvement de contractualisation, et donc de précarisation des personnels de justice se poursuit.

Soyons humbles : l’année 2023 ne révolutionnera pas la justice. Elle révolutionnera encore moins le service public dans son ensemble : alors que l’hôpital déborde, que les établissements scolaires se vident de leurs professionnels, que les contrats précaires se multiplient comme des petits pains dans tous les secteurs, le gouvernement n’a rien trouvé de mieux que de faire passer au forceps le deuxième budget le plus austéritaire des vingt dernières années, couvrant à peine le coût de l’inflation.

Pour la suite, les annonces de recrutements et de mise en œuvre des préconisations des états généraux de la justice relèvent pour le moment de l’incantation : à ce stade, aucun projet de loi de programmation n’a été publié, ni même le plan d’action qui nous avait pourtant été annoncé par le DSJ au mois de juillet.

A ce stade, voilà la réponse donnée à la crise structurelle que traverse le service public dans son ensemble : du mépris du débat démocratique et du collectif, maquillé par de belles annonces. Budget 2023 : un triplé historique, vraiment ? (574.52 KB) Voir la fiche du document