Nouveau cadre d'enquête de l'Inspection : nos observations sur l'"examen de situation"

Publié le July 20, 2021

Le Syndicat de la magistrature participe depuis l’automne à un travail mené par l’inspection sur le nouveau cadre de « l’examen de situation ». Nous avons eu connaissance pour la première fois de la mise en oeuvre de ce nouveau cadre méthodologique en avril 2019. Nous avions à ce moment adressé un courrier au chef de l’Inspection générale de la justice dénonçant la mise en oeuvre de ces missions « flash » auprès de collègues ignorant tout du cadre dans lequel ils étaient entendus, l’appellation d’ « examen de situation » ne correspondant à aucune des trois modalités d’action de l’IGJ formalisées et décrites sur son site.

Le chef de l’inspection nous avait alors indiqué que l’examen de situation se rapprochait dans la forme et l’objectif du contrôle de fonctionnement, mais se caractérisait par son caractère très ponctuel, l’ensemble de la juridiction ne faisant pas l’objet de la mission. Il avait ainsi introduit les distinctions suivantes pour différencier les cadres d'interventions de l’IGJ :
- le contrôle de fonctionnement, effectué selon le programme de travail proposé par l’IGJ, et validé par le garde des Sceaux, qui constitue un examen approfondi et aléatoire des juridictions, "de la cave au grenier" ;
- l’inspection de fonctionnement, lorsqu’un dysfonctionnement précis est identifié dans un service ;
- l’enquête administrative visant le comportement d’un magistrat, lorsque les premiers éléments relevés sont susceptibles de caractériser une faute disciplinaire ;
- dernièrement, l’utilisation de « l’examen de situation ».
Il avait ainsi défendu le principe de cette nouvelle procédure lorsqu’une « difficulté » est relevée, notamment dans le management d’une situation en juridiction. La frontière apparaît donc très mince entre la « difficulté » entraînant un examen de situation et le « dysfonctionnement » justifiant une inspection de fonctionnement.
Le chef de l’Inspection avait justifié cette innovation par la nécessité que des corrections puissent être rapidement apportées en juridiction à des difficultés, qui demeuraient par le passé souvent non traitées car ne justifiant pas la lourdeur d’un contrôle de fonctionnement, ni d’une inspection de fonctionnement.
Nous avions indiqué que cette méthode de travail ne pouvait avoir de sens que si un retour était effectué à la juridiction et au service concerné, avec une aide éventuelle pour remédier à la difficulté, outils qui n’existent pas actuellement. Nous avons dit notre crainte que ces outils ne soient pas véritablement mis en place, et que ces examens de situation ne soient que l’occasion pour la chancellerie d’envoyer l’inspection de manière beaucoup plus fréquente dans les juridictions, faisant régner ainsi une atmosphère générale de suspicion vis-à-vis des collègues. Nous avons aussi pointé le risque, qui préexistait déjà, d’utilisation d’un cadre à mauvais escient, le seul cadre dans lequel les magistrats peuvent être assistés étant celui de l’enquête administrative.
Deux ans après ces premiers constats, après plusieurs réunions de travail et à la lecture de certains rapports anonymisés dont l’inspection a accepté de nous donner connaissance, ces « noeuds » problématiques identifiés à l’origine ne paraissent pas pouvoir se dénouer de manière satisfaisante.
Nous avons ainsi adressé nos observations détaillées à l’IGJ au terme de ces travaux, en mettant en avant les points suivants :
Il existe d’une part une difficulté intrinsèque au choix de ce cadre procédural : la définition des cas dans lesquels ces enquêtes simplifiées sont utilisées emporte des conséquences substantielles, alors qu’elle est malaisée - ou dans les faits très aisée mais selon des critères peu légitimes (I).
Le risque de traiter de cette manière des situations pouvant emporter par la suite des conséquences disciplinaires, en faisant échec aux droits des magistrats, peut difficilement être écarté. A l’inverse, l’utilisation de ce cadre est de nature à éviter certaines enquêtes administratives qui pourraient être tout à fait justifiées (II).
Enfin, en l’absence d’outils à la disposition du ministère de la Justice pour répondre aux risques psycho-sociaux résultant de la dégradation des relations dans un collectif de travail, le travail d’analyse réalisé in situ par l’inspection reste lettre morte, d’autant que les retours sur le contenu de l’enquête sont inexistants. Des évolutions substantielles devraient avoir lieu sur ces points si l’inspection persistait à considérer ce cadre comme adéquat. A cet égard, les modalités mises en oeuvre dans les juridictions administratives paraissent intéressantes (III).

Globalement, il nous apparait que l’utilité de ce cadre, dont la mise en oeuvre est néanmoins intrinsèquement problématique, ne se justifie que par les insuffisances - pour le dire de manière douce - dans la prise en compte des risques psycho-sociaux au sein de l’institution judiciaire, et qu’il ne trouve à s’appliquer que pour compenser une grande rigidité et verticalité dans le fonctionnement interne des juridictions. En un mot, si l’organisation des juridictions et le statut des magistrats étaient réformés selon les propositions que nous formulons depuis des années, le besoin de créer ce nouveau cadre d’enquête ne se ferait nullement sentir.
Vous trouverez ci-joint ces observations détaillées.

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