A la suite de notre précédente contribution sur la responsabilité des magistrats développée devant le groupe de travail interne du CSM, vous trouverez ci-joint nos observations complétées après la saisine du CSM pour avis par le président de la République le 17 février dernier.

Le ministre de la Justice, qui laissait entendre de manière indigne aux députés en janvier dernier que le CSM se faisait désirer pour rendre sa copie sur le sujet, peut cette fois lancer le compte à rebours : cette saisine est finalement intervenue. 

La question du régime disciplinaire des magistrats est de fait un enjeu fort qui doit se situer sur une ligne de crête entre la nécessaire responsabilité, gage de la confiance des citoyens en leur justice, et l’absence de possibilité de déstabilisation du magistrat. Il n’est donc pas en soi illégitime que le chef de l’Etat demande son avis au CSM sur un tel sujet, bien au contraire. 

Le président de la République part du constat d’un nombre limité de sanctions disciplinaires prononcées - qui est cependant en forte augmentation ces dix dernières années et ne saurait par ailleurs suffire à asseoir, à lui seul, une démonstration - pour demander au CSM de faire des propositions concrètes sur trois sujets : l’amélioration de la procédure de saisine du CSM par les justiciables, le régime de responsabilité (définition de la faute, échelle des sanctions), et la protection des magistrats lorsqu’ils sont eux-mêmes victimes. 

Si certaines pistes évoquées sont dignes d’intérêt, notamment celle visant à permettre aux commissions d’admission des requêtes du CSM de procéder à des investigations à la suite des saisines des justiciables, et celle visant à protéger les magistrats, notamment des atteintes à leur indépendance, la démarche apparaît problématique à plusieurs égards. 

D’abord, le moment est particulièrement mal choisi : cette saisine intervient après une série d’attaques contre l’indépendance de la Justice émanant de l’exécutif, et notamment les saisines de l’Inspection générale de la justice (IGJ) contre des magistrats du parquet national financier qui s’apparentent, comme dans d’autres cas ces trois dernières années, à des procédures baillons. Elle intervient alors que le garde des Sceaux a fait à plusieurs reprises de cette question un sujet de démagogie et de surenchère populiste.

Sur l’ensemble de la réforme constitutionnelle et organique promise en début de mandat par le président de la République pour garantir l’indépendance de la Justice, l’exécutif semble pour le coup avoir perdu son horloge. A un an de la fin de la mandature, la perspective d’une reforme constitutionnelle parait s’éloigner tout à fait. « Pas d’indépendance sans responsabilité » a indiqué le garde des Sceaux aux députés lors d’un débat sur les obstacles à l’indépendance de la Justice au mois de janvier, laissant faussement entendre que c’est l’irresponsabilité qui prévaut actuellement. Il se dessine en tout cas de plus en plus clairement que pour l’indépendance, on repassera. 

Le président de la République n’évoque par ailleurs pas dans sa saisine un quelconque vecteur législatif mobilisable dans l’année qui vient pour traduire les propositions attendues du CSM. Il serait scandaleux qu’une telle saisine intervienne aux seules fins de mettre en avant le sujet des « juges irresponsables » dans un climat actuel déjà suffisamment nauséabond - on pense notamment à l’atmosphère de chasse aux sorcières qui résulte des dernières décisions de Frédérique Vidal visant les universités. 

Certains exemples évoqués par le président de la République pour regretter l’insuffisante mise en cause de la responsabilité des magistrats témoignent d’une méconnaissance inquiétante du fonctionnement de la Justice : ainsi, la « notification des droits ou d’un renvoi devant une juridiction dans les geôles ou dans un couloir du tribunal » ne saurait en aucun cas résulter de la volonté de magistrats, mais simplement des conditions extrêmement dégradées dans lesquelles ils interviennent, les contraignant sans cesse à s’adapter pour faire « tourner la machine ». Ils descendent par exemple régulièrement dans les geôles où se trouvent les personnes détenues pour notifier les actes dans les délais légaux faute d’escortes en nombre suffisant pour les recevoir dans leurs bureaux. Les magistrats ne sauraient en aucun cas être tenus pour responsables des moyens misérables qui leur sont attribués pour exercer leur office. 

Enfin, et ce point est sans doute le plus inquiétant : le président de la République demande au CSM, tout en prenant par ailleurs des précautions de langage, de donner son avis « sur la possibilité de mieux appréhender l’insuffisance professionnelle du magistrat dans son office juridictionnel ». Cette demande, cohérente avec certains propos tenus par le ministre dans nos échanges avec lui, est porteuse de graves dangers au regard du principe de séparation des pouvoirs, qui exige qu’en dehors des critères posés par la loi organique actuelle, le fond des décisions des magistrats relève de voies de recours et non d’un régime de sanctions pour partie aux mains du pouvoir exécutif. 

Le Syndicat de la magistrature ne conteste pas qu’une réflexion puisse être menée afin d’améliorer un régime de responsabilité qui demeure éminemment perfectible. Il sera toutefois attentif à ce que cette saisine ne soit pas un prétexte pour instrumentaliser cette question dans un contexte de surenchères démagogiques ou de polémiques.

Le CSM nous ayant demandé de compléter nos précédentes observations, nous avons analysé précisément la demande du président de la République afin de tenter de comprendre quel diagnostic conduit l’exécutif à formuler cette demande d'avis. En fait de diagnostic, nous constatons principalement que cette demande assez creuse dans ses développements arrive dans un contexte particulièrement peu propice à un débat constructif et serein. 

Nous avons cependant poursuivi notre réflexion entamée à l’automne dernier, estimant le sujet trop important pour l’éluder, et formulé une analyse et des propositions que vous trouverez en synthèse en page 24 de nos observations. Celles-ci concernent le sujet de la responsabilité, mais aussi celui de la protection des magistrats, qui justifie pleinement des évolutions fortes au regard des attaques incessantes dont les magistrats et l’institution judiciaire sont l’objet.

Observations sur la responsabilité des magistrats (1.49 MB) Voir la fiche du document