La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 dite « de modernisation des institutions de la cinquième République » a créé un Défenseur des droits auquel est consacré le titre XI bis de la Constitution du 4 octobre 1958.

L'article 71-1 de la Constitution prévoit que « le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences.

Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service public ou d'un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d'office.

La loi organique définit les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l'exercice de certaines de ses attributions.

Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique.

Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement. »

Le projet de loi organique du 9 septembre 2009 appelle de la part du Syndicat de la magistrature plusieurs observations relatives aux prérogatives du Défenseur des droits, ainsi qu’à son périmètre d’intervention.

Il convient toutefois de revenir d’emblée sur les conditions de nomination de ce Défenseur des droits, certes désormais prévues par la Constitution, mais qui, en limitant de facto l’indépendance du Défenseur, vicient le texte en son fondement.


1. Une institution fondamentalement viciée : des conditions de nomination inacceptables

Le Syndicat de la magistrature déplore que la nomination du Défenseur des droits relève quasiment du seul pouvoir du Président de la République, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays européens.

Le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente pour chaque assemblée parlementaire : le chef de l'Etat ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Ce pouvoir donné au parlement de s’opposer à une nomination ne saurait tromper personne : le fait majoritaire exclut qu’une proportion des trois cinquièmes de ces commissions puisse s’opposer au dessein du chef de l’exécutif. En pratique, c’est donc un pouvoir total qui est donné au Président de la République de nommer le chef d’une autorité administrative « indépendante », ce qui apparaît comme une contradiction majeure.

Cette situation est d’autant plus critiquable que d’autres pays ont pris des options tout à fait différentes. Ainsi, au Portugal, le Provedor de Justiça est élu par le Parlement à la majorité de deux tiers des votants, laquelle doit être supérieure à la majorité absolue de membres du Parlement. En Finlande, l'Ombudsman est également nommé par le Parlement. Cette légitimité parlementaire leur confère une indépendance que le Défenseur français n'aura pas.

Certes, l'indépendance du Défenseur des droits est désormais proclamée par la Constitution. Il ne peut en outre recevoir, dans l'exercice de ses fonctions, d'instructions de qui que ce soit et ne peut être poursuivi ou jugé à l'occasion des opinions qu'il donne ou des actes qu'il accomplit. Par ailleurs, ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Conseil constitutionnel, de membre du Conseil supérieur de la magistrature, de membre du Conseil économique, social et environnemental ainsi qu'avec tout mandat électif mais également avec toute autre fonction ou emploi public et toute activité professionnelle.

Ces éléments, positifs, ne sont toutefois pas de nature à contrebalancer le déséquilibre originel né des conditions de nomination du Défenseur des Droits.

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2. Des conditions d’intervention peu satisfaisantes}}

La saisine, les moyens d’intervention et les pouvoirs du Défenseur des droits doivent selon nous être améliorées en fonction des considérations suivantes.

2.1 La saisine du Défenseur des droits

Le mode de saisine du Défenseur des droits traduit une avancée significative par rapport aux modalités actuelles concernant le médiateur puisqu'il peut être saisi par toute personne physique ou morale qui s'estime lésée par le fonctionnement d'une administration, ou par ses ayants droit. Il peut également connaître d'agissements de personnes privées lorsque ceux-ci sont de nature à mettre en cause la protection des droits d'un enfant ou constituent un manquement aux règles de déontologie dans le domaine de la sécurité.

Le Défenseur peut être saisi directement par l'enfant mineur, par ses représentants légaux, les membres de la famille, les services médicaux et sociaux et les associations reconnues d'utilité publique dans ce domaine. En matière de déontologie de la sécurité, il peut être saisi par toute personne qui a été témoin de faits constitutifs d'un manquement aux règles de déontologie.

La saisine d'office ou par un parlementaire ou un des ses homologues étrangers est également possible.

Si ces règles de saisine semblent assurer un réel accès à cette nouvelle autorité, elles sont largement tempérées par l'article 8 du projet qui prévoit que « lorsqu'il se saisit d'office ou lorsqu'il est saisi autrement qu'à l'initiative de la personne lésée ou, s'agissant d'un enfant, de ses représentants légaux, le Défenseur des droits ne peut intervenir qu'à la condition que cette personne, si elle est identifiée, ou, le cas échéant, ses ayants droit, ait été avertie et ne se soit pas opposée à son intervention. Toutefois, il peut toujours se saisir des cas lui paraissant mettre en cause l'intérêt supérieur de l'enfant ».

Cette disposition interdira au Défenseur des droits de se saisir de la situation d'un majeur identifié dont la trace n'aura pu être retrouvée ou qui sera hors d'état de manifester son accord. Cette hypothèse pourra concerner des étrangers reconduits à la frontière mais également des personnes démunies.

Il paraît donc indispensable, sauf à priver toute une partie de la population, en particulier la plus en difficulté, de l'accès au Défenseur des droits, de prévoir un tempérament au contenu de l'article 8 qui pourrait être fondé sur le respect des droits fondamentaux de la personne, même majeure.


2.2 Les moyens d'information du Défenseur des droits

En ce qui concerne les moyens d'information du Défenseur des droits, le projet précise que les personnes publiques et privées mises en cause doivent « faciliter l'accomplissement de la mission du Défenseur des droits. Elles sont tenues d'autoriser leurs agents et préposés à répondre aux questions que leur adresse le Défenseur des droits et de déférer à ses convocations. »

Elles doivent également communiquer toutes les pièces utiles et aucun caractère secret ou confidentiel ne peut être opposé au Défenseur, sauf en matière de secret de l'enquête et de l'instruction, de secret concernant la défense nationale, la sûreté de l'Etat ou la politique extérieure.

Les informations couvertes par le secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client ne peuvent lui être communiquées qu'à la demande de la personne concernée. Quant au secret médical, il est levé dans l'hypothèse de sévices sur mineur ou sur personne vulnérable.

Pourtant, le Défenseur des droits ne peut peut procéder à des visites de locaux administratifs ou privés qu'après en avoir prévenu les responsables. La visite inopinée n'est possible qu'en cas de « nécessité impérieuse ». Cette importante réserve, qui fait de la visite annoncée le principe, vise à priver le Défenseur des droits d'une possibilité essentielle de recueil d'informations notamment en matière de déontologie de la sécurité.

En outre, les autorités compétentes des personnes publiques mises en cause peuvent s'opposer à la venue du Défenseur des droits dans leurs locaux pour des motifs tenant « aux exigences de la défense nationale ou de la sécurité publique ou dans le cas de circonstances exceptionnelles ». Cette rédaction, beaucoup trop extensive dans son deuxième motif notamment, peut réduire à néant les recherches d'informations du Défenseur des droits.


2.3 Les pouvoirs du Défenseur des droits

Les pouvoirs du Défenseur des droits sont accrus puisqu'il peut enjoindre à l'administration ou l’organisme, si ses recommandations n'ont pas été suivies d'effet, de prendre les mesures nécessaires, y compris en réformation d'une décision et, le cas échéant, publier un rapport spécial. Il peut aussi proposer aux parties de conclure une transaction ou présenter des observations dans une affaire en cours, qu'elle soit civile, administrative ou pénale, ou encore présenter des recommandations en équité.

Ce pouvoir d’injonction, qui apparaît séduisant, laisse entière la question du contrôle par le Défenseur des droits de la bonne exécution de ses injonctions. Il n’a en réalité aucun pouvoir pour garantir cette exécution et il est à craindre que ce pouvoir d’injonction demeure, dans ces conditions, de pure façade.

La question se pose des modalités de son intervention dans une instance en cours. Le texte de l'article 26 du projet permet aux juridictions pénales, civiles ou administratives, mais aussi aux parties, d'inviter le Défenseur des droits à présenter des observations. Afin d'éviter que le Défenseur des droits ne soit instrumentalisé par des parties à un litige, il conviendrait de donner au juge un pouvoir d'appréciation lorsque la demande émane des parties à l'instance.

En outre, le Défenseur des droits peut saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur l'interprétation ou la portée d'un texte. Il peut aussi transmettre une réclamation, éventuellement accompagnée de ses observations, à une autre autorité indépendante investie d'une mission de protection des droits et libertés. Il est enfin associé, à sa demande, aux travaux de la HALDE et de la CNIL.

Lorsqu'il décide d'agir, le Défenseur des droits dispose donc de pouvoirs importants. Cependant, le projet de loi organique lui permet d'apprécier « souverainement » si, eu égard à leur nature ou à leur ancienneté, les faits qui lui sont signalés « méritent une intervention » de sa part. Il n'est pas tenu d'indiquer les motifs pour lesquels il décide de ne pas donner suite à une saisine. Le Syndicat de la magistrature ne peut se satisfaire de cette rédaction et réclame une modification de l'article 20 du projet, en ce sens que le Défenseur des droits doit être tenu d'indiquer au requérant qu'il décide de ne pas intervenir et expliciter les motifs de son refus.


3. Les collèges du Défenseur des droits

Les articles 11 et 12 du projet de loi organique prévoient que lorsque le Défenseur des droits intervient en matière de déontologie de la sécurité ou en vue de protéger les droits d'un enfant, il consulte dans chacun de ces domaines un collège composé de trois personnalités désignées respectivement par le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l'Assemblée nationale en raison de leurs compétences dans les matières évoquées.

En premier lieu, ce mode de nomination est absolument inconciliable avec toute notion d’indépendance, et le Syndicat de la magistrature ne peut que s’y opposer fermement.

Par ailleurs, la création de ces collèges ne sera nullement de nature à assurer une spécialisation suffisante du Défenseur des Droits dans les deux domaines évoqués, et constitue donc un recul majeur par rapport à la situation actuelle.

Ces dispositions visent en réalité à permettre l’absorption par le Défenseur des Droits de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et du Défenseur des Enfants, et posent la question du périmètre de l’intervention du Défenseur.

Le Syndicat de la magistrature ne peut que s’opposer à cette nouvelle architecture qui lui apparaît clairement partisane, visant à démanteler deux institutions qui ont fait la preuve de leur indépendance et de leur efficacité.

Le souci de rationalisation invoqué est, en l’espèce, un argument de peu de poids. Il est d’ailleurs révélateur que d'autres institutions comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) n'aient pas été incluses dans le projet de Défenseur des droits. Les arguments exposés - institutions privées entrant dans leur périmètre de compétence, caractère trop récent de leur existence - ne sont pas décisifs. Il est en revanche de notoriété publique que les prises de position de la CNDS et la Défenseure des enfants ont pu irriter le gouvernement ces dernières années.


3.1 La déontologie de la sécurité

Le collège qui doit être consulté en matière de déontologie de la sécurité a vocation à remplacer la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Cette dernière a été créée par la loi du 6 mars 2000 pour veiller « au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République » sans préjudice des prérogatives que la loi attribue à l'autorité judiciaire, notamment en matière de direction et de contrôle de la police judiciaire.

Or, les avis et recommandations de cette commission n’ont pas eu l’heur de plaire aux locataires de la place Beauvau et de la place Vendôme. En considérant que ses recommandations n'avaient pas été suivies d'effets par l'administration et en publiant deux rapports en 2009, l'un sur « la déontologie des forces de sécurité en présence des mineurs » et l'autre sur le « suicide d'un garçon à l'établissement pénitentiaire pour mineurs de Meyzieu-Rhône », mais aussi en saisissant à onze reprises les parquets et en dénonçant les gardes à vue injustifiées et les fouilles à corps humiliantes, la CNDS s'est montrée sans concession vis-à-vis des dérapages policiers.

Il n’est pas difficile d’imaginer que le projet actuel consiste en une mise au pas de cette autorité trop bruyante...

Par comparaison avec le statut actuel de la CNDS, qui comprend quatre parlementaires, des représentants du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes et six personnalités qualifiées choisies par les autres membres, la composition de ce collège n'offre aucune garantie de pluridisciplinarité. La CNDS compte en effet dans ses rangs des juristes (avocats ou magistrats), un médecin, des universitaires et chercheurs, d'anciens responsables de la police.

Le projet de loi organique ne comporte en outre aucune précision sur la qualité des délégués du Défenseur des droits qui pourront intervenir pour instruire et participer au règlement des réclamations en matière de déontologie de la sécurité.

En tout état de cause, avec seulement trois personnes spécialisées dans cette matière, le futur Défenseur des droits ne sera pas en mesure d’avoir la spécialisation et la pertinence acquises par la CNDS.

Le Syndicat de la magistrature s’oppose donc à la « fusion-absorption » envisagée.


3.2 La protection de l'enfance


La nouvelle institution de Défenseur des droits absorbera aussi celle du Défenseur des enfants instituée par la loi du 6 mars 2000 afin de défendre et de promouvoir les droits de l'enfant tels qu'ils ont été définis par la loi et par les engagements internationaux de la France.

Les Défenseures des enfants successives ont émis des critiques contre les lois de « prévention de la délinquance » et instituant les « peines-planchers ». Elles ont également pointé les graves dysfonctionnements de la France en matière de traitement des mineurs étrangers isolés et des familles étrangères retenues dans des centres de rétention administrative. La disparition programmée de la Défenseure des enfants comme celle de la CNDS apparaît donc en cohérence avec une volonté très actuelle de limiter au maximum l’influence de certains contre-pouvoirs : leur indépendance dérange le pouvoir en place qui souhaite parfois les museler.

A ce jour, les Défenseures des enfants ont traité environ 20 000 réclamations avec une augmentation de près de 10% des saisines la dernière année. 8% de ces saisines émanent de mineurs eux-mêmes et un quart concerne des enfants âgés de 11 à 15 ans. Ces chiffres prouvent que cette institution a su se faire connaître, et notamment de la population concernée.

Il est à craindre que l'institution du Défenseur des droits, dont l'appellation ne correspond pas au vocabulaire des enfants, fasse perdre sa spécificité à une instance qui a su prouver sa visibilité et son efficacité.

Surtout, le projet est en net recul par rapport aux missions du Défenseur des enfants qui défend les droits des enfants non seulement consacrés par la loi mais également par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé.

La France avait été en effet l'un des premiers pays à ratifier la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) et à avoir mis en place une autorité indépendante pour veiller à son application. Alors que 80 pays l'ont suivie en créant de telles autorités spécialement dédiées aux droits des mineurs - le dernier en date étant la Fédération de Russie en 2009, la France fait aujourd’hui marche arrière en excluant du périmètre d'intervention du Défenseur des droits la CIDE et les autres engagements internationaux.

Pourtant, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a rendu le 22 juin 2009 un rapport dans lequel il a pointé les avancées de la France mais aussi ses insuffisances en l'invitant à « continuer à renforcer le rôle du Défenseur des enfants... et à lui allouer les ressources financières et humaines suffisantes... ». Ce même comité avait noté en 2002 que l'accès des enfants aux organismes susceptibles de protéger leurs droits est en général limité et que leurs opinions sont rarement prises en considération.

Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a aussi mis en exergue la nécessité de prévoir un mécanisme indépendant de défense des droits de l'Homme en Europe avec des institutions spécialement en charge des droits de l'enfant, dotées d'une haute visibilité et aptes à travailler directement avec les mineurs.

En outre, si l'article 4 du projet de loi organique évoque incidemment la saisine du Défenseur des droits au titre de sa « mission de défense et de promotion des droits de l'enfant », cette vocation à faire connaître les droits des mineurs n'apparaît plus dans la définition du rôle du collège spécialisé de l'article 12. Cette rédaction semble faire disparaître cette mission de promotion des droits des enfants, essentielle pour les 60 correspondants territoriaux de la Défenseure des enfants, et celle de prise de positions de l'institution sur les questions de société concernant les mineurs et leur environnement.

Les recommandations des Défenseures des enfants ont en effet permis des évolutions législatives notables sur l'accès des familles à leur dossier d'assistance éducative, l'accès des individus à leurs origines, la lutte contre les mariages forcés en élevant l'âge du mariage des jeunes filles de 15 à 18 ans, la prise en charge des mineurs en zone d'attente...

Nous ne nous satisfaisons pas, dans ces conditions, de la suppression programmée du Défenseur des enfants.


{{Le Syndicat de la magistrature dénonce les choix qui ont présidé à la création du Défenseur des droits, dont les nouveaux pouvoirs sont malheureusement compensés par un mode de désignation de ses membres qui ne peut garantir une indépendance indiscutable et qui traduit un recul des garanties démocratiques offertes aux citoyens.
}}