Contribution de Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature, au débat organisé sur ce thème par l'hebdomadaire Témoignage Chrétien

La question formulée en soulève immédiatement une autre : en quoi la politique est-elle affaire de morale ? Posée à un magistrat, elle en appelle une troisième : en quoi la justice est-elle affaire de politique et de morale ?

De fait, la justice, comme la politique, entretient des rapports étroits avec la morale, mais ils sont souvent déniés : le droit n’aurait rien à voir avec la morale, et la justice – qui ne serait que « l’application du droit » – non plus.

L’aporie est complète lorsque, simultanément et paradoxalement, on en vient à dépolitiser le droit lui-même, en l’appréhendant de manière purement formelle. En définitive, la justice ne ressortirait ni à la morale ni à la politique ; il ne faudrait y voir qu’une technique.

Le thème de ce débat permet d’y revenir : la politique est bien une manière de morale, au sens où elle a vocation à trancher ce qui est supposé être le « bien » ou le « mal » pour la société ; le droit est de la politique – et donc de la morale – mise en forme ; la justice est du droit mis en œuvre – donc de la politique, donc de la morale.

Cela posé, évaluer le

« sens moral » des « politiques » du point de vue de la justice ne saurait se réduire à envisager la question des « affaires »

; il convient également d’évoquer ce que la politique fait au droit et à la justice d’un point de vue moral, c’est-à-dire aussi politique. Autrement dit, en guise de synthèse : quelle est la morale judiciaire du pouvoir actuel ?

On pourrait la résumer ainsi, sans surprise : forte avec les faibles (ou les ennemis), faible avec les forts (ou les amis). Si certains actes seraient inexplicables, en ce qu’ils seraient forcément inexcusables, injustifiables, d’autres s’expliqueraient d’autant mieux qu’il serait inconcevable de ne pas les excuser, les justifier.

C’est ainsi que la présomption d’innocence, absolue lorsqu’il est question de Brice Hortefeux ou d’Éric Woerth, devient tellement relative qu’elle se mue en présomption de culpabilité lorsqu’il s’agit de Tony Meilhon, Lies Hebbadj ou même Dominique de Villepin.

De même, la liberté d’expression, nécessairement précieuse quand c’est Éric Zemmour qui s’exprime, s’efface devant l’orgueil du chef de l’État quand un manifestant ose lui renvoyer son fameux « Casse-toi pauv’ con ! ».

Dans un autre registre, le droit à l’oubli, dont jouissent les anciens condamnés réinsérés Alain Carignon et Alain Juppé, ne saurait être invoqué par un prétendu « délinquant multirécidiviste chevronné » comme Ali Soumaré.

Dans la magistrature elle-même, si le procureur Philippe Courroye peut tranquillement dîner avec des personnes concernées par des dossiers judiciaires sensibles, ou traiter une affaire politico-financière dans laquelle son impartialité est gravement mise en cause, il est urgent – en pleine affaire Karachi – de relancer la procédure disciplinaire initiée contre le juge Renaud Van Ruymbeke pour sanctionner son insupportable indépendance…

De manière plus fondamentale, les principes qui structurent la justice dans un État qui se dit , etc.

À cette aune notamment, les politiques – ceux qui détiennent le pouvoir depuis bientôt dix ans après avoir efficacement culpabilisé leurs adversaires – ont assurément perdu le sens moral.

Au point qu’il devient nécessaire de replacer sur ce terrain les minables stratégies qui ont conduit à la délégitimation de l’esprit de justice. En particulier, l’exploitation éhontée de la souffrance des victimes à des fins électoralistes doit être considérée pour ce qu’elle est : dégueulasse.


Lien vers la tribune mise en ligne sur le site de Témoignage Chrétien :

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