Messagerie des magistrats : le ministère de la justice s'em-maile...

Publié le 6 décembre 2011

Lettre ouverte du Syndicat de la magistrature au garde des Sceaux

Monsieur le garde des Sceaux,
Par dépêche du 4 novembre dernier, les chefs de la cour d’appel de Paris ont diffusé à l’ensemble des magistrats placés sous leur autorité une note que vous trouverez en copie et relative à l’utilisation du Réseau Privé Virtuel Justice (RPVJ).
Tous les magistrats du ressort ont ainsi été invités à signer une « charte des utilisateurs du RPVJ ».
Elaborée par les services du ministère de la justice au début des années 2000, cette charte n’en est pas moins truffée d’illégalités manifestes.
Elle interdit à tout magistrat de « diffuser hors de l’administration, sous quelque forme que ce soit, tout ou partie des données » figurant sur le réseau intranet du ministère de la justice.
Tout utilisateur des adresses « justice.fr » ou « justice.gouv.fr » doit s’exprimer, lorsqu’il les utilise, « avec une extrême prudence et, lorsque la communication exprime une opinion personnelle, l’indiquer clairement ».
Pour détecter les factieux, les rédacteurs de cette charte ne se sont pas embarrassés : lorsqu’il existe

« des raisons de penser » qu’un magistrat fait un usage du réseau « contraire à ces règles », « l’autorité hiérarchique est habilitée à obtenir des administrateurs du réseau communication de toutes informations utiles »

...
Le bouquet, enfin : au-delà des sanctions pénales, le non-respect de la charte « constitue un manquement professionnel susceptible d’entraîner des poursuites disciplinaires ».
Quelles que soient l’ancienneté de cette charte et les conditions de son élaboration, elle fait litière de tous les principes : entrave à la communication d’informations aux organisations syndicales, entrave à l’expression d’un magistrat sur des listes de discussion professionnelles ou syndicales...
De même, l’idée que des administrateurs du réseau puissent se croire autorisés à « recueillir toutes informations » sur les correspondances échangées est aussi saugrenue qu’inquiétante : non seulement ces informations ressortissent très souvent du secret professionnel, mais encore ce type d’intrusion dans ce genre de données constituerait immanquablement le délit de violation du secret des correspondances : ne trouveriez-vous pas opportun d’épargner à votre ministère un nouveau scandale de cet acabit ?
Aussi, nous serions très curieux, Monsieur le garde des Sceaux, de connaître les conséquences qui s’attacheraient au refus d’un magistrat de signer une charte si mal pensée.
Mais, au-delà, la résurgence de cette charte constitue pour nous une nouvelle – et fort piteuse – tentative d’intimidation en matière de liberté d’expression des magistrats : nous sommes déterminés à ne pas la laisser prospérer.
Vous comprendrez, dans ces conditions, que nous vous demandions de rapporter l’initiative malheureuse du premier président et du procureur général de Paris, et d’élaborer sans délai une nouvelle charte dépourvue de ces scories. Dans cette attente, nous invitons l’ensemble des magistrats à refuser de signer une charte parfaitement illégale et susceptible de leur porter gravement préjudice.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le garde des Sceaux, l’expression de notre considération distinguée.
Pour le Syndicat de la magistrature
Clarisse TARON, présidente
{Copie à Monsieur le directeur de la CNIL.
}
{{Ci-joint : la fameuse "charte".
}}

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