Lettre ouverte au garde des Sceaux sur le projet de nominations de magistrats en date du 2 avril 2012
Publié le 4 avril 2012
Monsieur le garde des Sceaux,
Vos services se livrent actuellement, en matière de nominations, à des manœuvres que les magistrats ne peuvent plus tolérer et à propos desquelles nous sommes en droit d’attendre de votre part des explications promptes et précises : le fait que votre bail au ministère de la justice s’achemine inexorablement vers son terme ne saurait justifier la rupture avec toute notion d’intégrité à laquelle nous assistons ces derniers jours.
Les magistrats – et plus généralement les citoyens – doivent en effet savoir que, le 8 mars dernier, vous avez fait paraître une note de « transparence » dans laquelle, entre autres bizarreries, le conseiller pénal de votre cabinet se trouvait promu, après moins de trois années passées au premier grade, sur le poste B-Bis de procureur de la République à Compiègne. La formation parquet du Conseil supérieur de la magistrature avait prévu de rendre sa décision le 10 avril sur ce mouvement. Il s’avère pourtant que le 2 avril, sans attendre cet avis, vous avez fait paraître une seconde note de transparence dans laquelle ce même magistrat était proposé au poste de procureur de la République à Sens, poste lui aussi étiqueté B-Bis.
C’est cette transparence du 2 avril qui appelle de notre part les plus extrêmes réserves.
Première source de stupéfaction : cette proposition de nomination, à trois semaines d’intervalle, d’un magistrat sur deux postes différents ne peut s’expliquer autrement que par la connaissance, acquise par vos services, de l’avis que le CSM s’apprêtait à donner sur le premier d’entre eux. Vous n’ignorez certainement pas que l’article 10 de l’ordonnance du 22 juillet 2010 dispose que « les membres du Conseil supérieur ainsi que les personnes qui, à un titre quelconque, assistent aux délibérations, sont tenues au secret professionnel ». Nous vous demandons donc solennellement de nous indiquer dans quelles conditions il a été porté à votre connaissance une décision qui se trouvait pourtant en cours de délibéré.
Nous espérons par ailleurs que, du fait de la précipitation, vous n’avez pas ajouté une illégalité manifeste à la dérive clanique. En effet, afin d’assurer la transparence du processus de nominations, le ministère de la justice impose aux magistrats une date limite de dépôt de leurs desiderata. En l’espèce, cette date était fixée au 2 décembre 2011 par la note du 21 octobre précédent. Il n’est pas honnêtement contestable que ce délai de rigueur s’impose aussi aux transparences dites « de balayage » qui y sont consécutives, sauf fixation expresse d’un délai différent. Ceci est d’ailleurs si vrai que, dans une note diffusée le 16 mars dernier, la direction des services judiciaires a informé les magistrats de la publication d’une transparence en juin prochain et fixé un délai spécifique – le 27 avril à minuit – pour le dépôt des desideratas. Nous voulons donc encore croire que, tout à vos desseins partisans, vous n’avez pas proposé la nomination d’un magistrat qui aurait formulé ses demandes postérieurement au 2 décembre 2011...
Nous observons aussi, Monsieur le garde des Sceaux, que vous n’avez pas hésité une seule seconde – afin de rendre de fait impossible toute contestation de vos méthodes – à fixer un délai de recours extrêmement restreint qui empêchera à coup sûr les magistrats de faire valoir leurs droits : a-t-on jamais vu transparence n’octroyant un délai de recours que de 72 heures – expirant en l’occurrence le 5 avril à minuit ? Quelle urgence justifie donc un tel empressement ?
Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur les nominations que vous proposez et leurs conséquences sur le fonctionnement concret des juridictions. Ainsi, comment admettre que, pour installer un membre de votre cabinet à Sens, vous promouviez l’actuelle procureure de cette ville sur un poste « hors-hiérarchie » alors qu’elle n’est au premier grade que depuis 2003, devancée dans l’ordre d’ancienneté par 26 candidats ? Comme expliquer aux magistrats, alors que tant de juridictions sont asphyxiées par le manque d’effectifs, que cette dernière soit envoyée procureure adjointe à Pontoise, où officient déjà, sur le même poste, trois magistrats, alors que la circulaire de localisation des emplois n’en prévoit que deux en tout ? Comment nos collègues, naturellement imprégnés du principe d’égalité, pourraient-ils en outre admettre que vous envisagiez de promouvoir avocat général référendaire à la Cour de cassation une collègue issue du second grade qui se trouve dernière en termes d’ancienneté sur la liste des postulants, et alors même qu’il existe déjà un avocat général référendaire pour chacune des chambres de la Cour ?
Nous sommes décidément obligés de constater, Monsieur le garde des Sceaux, que, dans votre esprit, la bonne marche de la justice ne semble pas peser lourd au regard de la nécessité d’offrir les plus belles carrières à vos amis politiques.
Nous n’insisterons pas, Monsieur le garde des Sceaux, sur l’appui objectif dont vous bénéficiez dans cette entreprise de la part du président de la formation parquet du CSM, qui s’empresse de faire examiner ce mouvement toutes affaires cessantes, conformément à votre souhait : chacun sait désormais ce que doit la carrière de ce magistrat à ce type de relations avec le pouvoir dont vous êtes, encore pour quelques jours, l’émanation.
Compte tenu du caractère gravissime des dévoiements de l’institution judiciaire qui sont actuellement à l’œuvre sous votre responsabilité, vous comprendrez que nous rendions public le présent courrier.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le garde des Sceaux, l’expression de notre parfaite considération.
Pour le Syndicat de la magistrature
Matthieu BONDUELLE, Président
Vos services se livrent actuellement, en matière de nominations, à des manœuvres que les magistrats ne peuvent plus tolérer et à propos desquelles nous sommes en droit d’attendre de votre part des explications promptes et précises : le fait que votre bail au ministère de la justice s’achemine inexorablement vers son terme ne saurait justifier la rupture avec toute notion d’intégrité à laquelle nous assistons ces derniers jours.
Les magistrats – et plus généralement les citoyens – doivent en effet savoir que, le 8 mars dernier, vous avez fait paraître une note de « transparence » dans laquelle, entre autres bizarreries, le conseiller pénal de votre cabinet se trouvait promu, après moins de trois années passées au premier grade, sur le poste B-Bis de procureur de la République à Compiègne. La formation parquet du Conseil supérieur de la magistrature avait prévu de rendre sa décision le 10 avril sur ce mouvement. Il s’avère pourtant que le 2 avril, sans attendre cet avis, vous avez fait paraître une seconde note de transparence dans laquelle ce même magistrat était proposé au poste de procureur de la République à Sens, poste lui aussi étiqueté B-Bis.
C’est cette transparence du 2 avril qui appelle de notre part les plus extrêmes réserves.
Première source de stupéfaction : cette proposition de nomination, à trois semaines d’intervalle, d’un magistrat sur deux postes différents ne peut s’expliquer autrement que par la connaissance, acquise par vos services, de l’avis que le CSM s’apprêtait à donner sur le premier d’entre eux. Vous n’ignorez certainement pas que l’article 10 de l’ordonnance du 22 juillet 2010 dispose que « les membres du Conseil supérieur ainsi que les personnes qui, à un titre quelconque, assistent aux délibérations, sont tenues au secret professionnel ». Nous vous demandons donc solennellement de nous indiquer dans quelles conditions il a été porté à votre connaissance une décision qui se trouvait pourtant en cours de délibéré.
Nous espérons par ailleurs que, du fait de la précipitation, vous n’avez pas ajouté une illégalité manifeste à la dérive clanique. En effet, afin d’assurer la transparence du processus de nominations, le ministère de la justice impose aux magistrats une date limite de dépôt de leurs desiderata. En l’espèce, cette date était fixée au 2 décembre 2011 par la note du 21 octobre précédent. Il n’est pas honnêtement contestable que ce délai de rigueur s’impose aussi aux transparences dites « de balayage » qui y sont consécutives, sauf fixation expresse d’un délai différent. Ceci est d’ailleurs si vrai que, dans une note diffusée le 16 mars dernier, la direction des services judiciaires a informé les magistrats de la publication d’une transparence en juin prochain et fixé un délai spécifique – le 27 avril à minuit – pour le dépôt des desideratas. Nous voulons donc encore croire que, tout à vos desseins partisans, vous n’avez pas proposé la nomination d’un magistrat qui aurait formulé ses demandes postérieurement au 2 décembre 2011...
Nous observons aussi, Monsieur le garde des Sceaux, que vous n’avez pas hésité une seule seconde – afin de rendre de fait impossible toute contestation de vos méthodes – à fixer un délai de recours extrêmement restreint qui empêchera à coup sûr les magistrats de faire valoir leurs droits : a-t-on jamais vu transparence n’octroyant un délai de recours que de 72 heures – expirant en l’occurrence le 5 avril à minuit ? Quelle urgence justifie donc un tel empressement ?
Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur les nominations que vous proposez et leurs conséquences sur le fonctionnement concret des juridictions. Ainsi, comment admettre que, pour installer un membre de votre cabinet à Sens, vous promouviez l’actuelle procureure de cette ville sur un poste « hors-hiérarchie » alors qu’elle n’est au premier grade que depuis 2003, devancée dans l’ordre d’ancienneté par 26 candidats ? Comme expliquer aux magistrats, alors que tant de juridictions sont asphyxiées par le manque d’effectifs, que cette dernière soit envoyée procureure adjointe à Pontoise, où officient déjà, sur le même poste, trois magistrats, alors que la circulaire de localisation des emplois n’en prévoit que deux en tout ? Comment nos collègues, naturellement imprégnés du principe d’égalité, pourraient-ils en outre admettre que vous envisagiez de promouvoir avocat général référendaire à la Cour de cassation une collègue issue du second grade qui se trouve dernière en termes d’ancienneté sur la liste des postulants, et alors même qu’il existe déjà un avocat général référendaire pour chacune des chambres de la Cour ?
Nous sommes décidément obligés de constater, Monsieur le garde des Sceaux, que, dans votre esprit, la bonne marche de la justice ne semble pas peser lourd au regard de la nécessité d’offrir les plus belles carrières à vos amis politiques.
Nous n’insisterons pas, Monsieur le garde des Sceaux, sur l’appui objectif dont vous bénéficiez dans cette entreprise de la part du président de la formation parquet du CSM, qui s’empresse de faire examiner ce mouvement toutes affaires cessantes, conformément à votre souhait : chacun sait désormais ce que doit la carrière de ce magistrat à ce type de relations avec le pouvoir dont vous êtes, encore pour quelques jours, l’émanation.
Compte tenu du caractère gravissime des dévoiements de l’institution judiciaire qui sont actuellement à l’œuvre sous votre responsabilité, vous comprendrez que nous rendions public le présent courrier.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le garde des Sceaux, l’expression de notre parfaite considération.
Pour le Syndicat de la magistrature
Matthieu BONDUELLE, Président
Lettre ouverte au Garde des sceaux sur le projet de nominations de magistrats du 02 Avril 2012 (59.62 KB) Voir la fiche du document
Documents