La question de la responsabilité civile n’est pas une question neutre : la manière dont une société définit et met en oeuvre les actions en responsabilité est significative de sa philosophie : il est ainsi possible de privilégier l’action individuelle ou au contraire de mutualiser le risque par des modes de financement privés (assurances) ou publics (solidarité par l’impôt, les fonds de garantie à financement obligatoire) , l’étendue de la réparation peut être limitée (forfait, franchise, postes de préjudice non pris en compte) ou la plus large. Une société peut enfin prévoir des causes d’exonération ou au contraire les exclure.

Globalement les sociétés modernes ont évolué vers des mécanismes tendant à garantir de mieux en mieux l’indemnisation des victimes, en particulier en cas d’atteintes corporelles.

Le rapport présenté apparaît extrêmement décevant quant aux orientations qu’il propose et qui constituent, dans bien des cas des régressions importantes.


I : un manque d’ambition au regard de l’évolution de la responsabilité civile.

Le projet se caractérise tout d’abord par son manque d’ambition : il aurait fallu poser les principes en matière de responsabilité civile :

- La victime d’un dommage occasionné par le fait d’autrui à droit à une réparation intégrale de son préjudice.

- A titre principal, c’est le responsable du dommage qui est tenu à la réparation.

- Lorsque une activité humaine génère des risques importants pour les tiers, il peut être mis en place un dispositif d’assurance obligatoire.

- Les assurances peuvent en outre être tenues de constituer des fonds de garantie destinés à garantir les victimes qui ne pourraient être couvertes par un responsable identifié et solvable.

Ces fonds de garantie sont alimentés partiellement par les majorations d’amendes payées pour défaut d’assurance et partiellement par un prélèvement complémentaire opéré sur l’ensemble des cotisations.

- En l’absence de faute ou lorsqu’un manquement au principe de précaution est constaté, en particulier lorsque la conscience des risques pris a été tardive et n’a pu interdire la survenance de dommages, le droit à indemnisation est supporté par la collectivité et peut exceptionnellement être cantonné. Il en est de même en cas de survenance de catastrophes naturelles.

- Il n’est jamais possible de s’assurer contre un fait volontaire, néanmoins les compagnies d’assurances peuvent supporter la prise en charge des indemnités allouées aux victimes et exercer, dans cette hypothèse, leur recours contre leur assuré déclaré pénalement responsable.

Les propositions contenues dans le rapport paraissent résolument ancrées dans une philosophie néo-libérale habillée de sentiments compassionnels pour les victimes d’atteintes corporelles.

Le projet présente ainsi un caractère peu répressif pour les responsables de dommages ayant commis une faute quasi-pénale entraînant une peine quasi pénale et très exigeant en ce qui concerne le salarié obéissant aux ordre d’un “commettant” insolvable et non assuré et qui devra donc payer pour lui.

Le droit français, à ce titre très isolé en Europe, interdit le cumul des responsabilités contractuelles et quasi délictuelles, au prétexte de ne pas déjouer les règles contractuelles.

Cette interdiction de cumul conduit la doctrine a distinguer artificiellement les deux régimes de responsabilité. La conséquence principale est de rendre complexe et parfois incompréhensible pour les victimes les décisions de justice.

Le projet vise à maintenir ce principe de non cumul en lui apportant toutefois une exception pour les dommages à caractère corporel.

Cette solution est de loin la plus complexe et la moins compréhensible. Elle est essentiellement compassionnelle : les atteintes corporelles sont élevées au rang des préjudices inacceptables, justifiant un régime dérogatoire, elle ne présente pas de cohérence juridique.

2) Des dispositions contestables

L’extension du régime de la responsabilité contractuelle (article 1342) au tiers victime de l’inexécution de la convention a pour effet “collatéral” de limiter l’indemnisation de celui-ci en fonction des prévisions du contrat auquel il n’a pas souscrit, alors même que dans le cadre strictement contractuel nous savons que la libre expression de la volonté est une fiction les conventions se formant le plus souvent dans le cadre d’une adhésion pure et simple.

La responsabilité subsidiaire du préposé (1359-1) lorsque la victime n’a pu obtenir réparation du commettant ou de son assureur est choquante. Elle tend à faire peser la garantie d’un risque sur un particulier alors que ce type de risque devrait être supporté par la collectivité, par exemple sous la forme d’un fond de garantie.

La notion nouvelle de dommages-intérêts punitifs susceptibles d’être versés au Trésor Public (1371) créé une confusion entre le champ pénal et le champ civil, la notion de dommages-intérêts et celle de peine d’amende. Elle risque de contrevenir aux principes applicables en matière de peine, en particulier en ce qui concerne celui de la légalité qui impose que ne puisse être sanctionné pénalement un comportement qui n’a pas été expressément interdit par une loi pénale.

Surtout cette notion de dommages-intérêts punitif est, pour le cas où un texte d’incrimination pénale constitue le support de l’action en responsabilité, une porte ouverte insidieuse à une dépénalisation : ainsi, une victime qui n’obtiendrait pas que le ministère public engage une procédure pénale pour poursuivre une infraction pénale et donc qu’il fasse mener l’enquête nécessaire à l’établissement des faits, pourra se voir répondre qu’elle peut “agir au civil” . Mais la procédure civile n’est pas équivalente à la procédure pénale : elle impose au justiciable de faire la preuve des faits qu’il allègue, ce qui induit un transfert de la charge du procès et la sanction prononcée (dommages-intérêts punitifs au lieu d’une peine) est moins infamante.

Le syndicat de la magistrature n’est pas hostile à des mécanismes de dépénalisation, au contraire, mais dans le cas présent il s’interroge sur les bénéficiaires de cette forme de dépénalisation et craint que ce ne soit essentiellement une manière de dépénaliser le droit des affaires compte tenu de la référence très explicite au “but lucratif”.

3) Observations à caractère technique : des aspects positifs, une cohérence des textes imparfaite.

La formule utilisée par l’article 1379 (“tel que”) laisse la place à la survenance de préjudices nouveaux, ce qui est souhaitable.

Le rapport propose l’établissement d’un barème d’invalidité par décret (article 1379-1) Un tel barème a été réclamé par des associations de victimes, dans le but d’égaliser les modes d’indemnisation du déficit fonctionnel. Sous réserve des modalités d’élaboration de ce barème, le syndicat de la magistrature et plutôt favorable à un tel mécanisme d’unification.

Les dispositions des articles 1379-5 ( liste des prestations ouvrant droit au recours des tiers payeurs) reprennent les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 et n’appellent pas d’observations.
L'article 1379-7 impose l'imputation des prestations des tiers payeurs poste par poste (conforme à la loi du 21 décembre 2006)
Mais le projet ne mentionne pas le droit de préférence de la victime en cas de " partage de responsabilité ", il ne fait pas non plus mention d’une imputation prioritaire des organismes de sécurité sociale. Ces points devraient être précisés.

Les principes posés par les articles L 376-1 du code de la sécurité sociale et 31 de la loi n% 85-677 du 5 juillet 1985 modifiés par l’article 25 III et IV de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 ont été :

- les recours subrogatoires des caisses contre les tiers et les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.

Mais aussi :

- conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation :
- lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée,
- lorsqu'elle n'a été indemnisée qu'en partie. En ce cas, elle peut exercer ses droits contre le responsable, pour ce qui lui reste dû, par préférence au tiers payeur dont elle n'a reçu qu'une indemnisation partielle
- cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice.

Toutefois il convient d’observer que le projet d’article 1263 reprend que " la subrogation ne peut nuire au créancier lorsqu’il n’a été payé qu’en partie ; en ce cas, il peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un paiement partiel, sauf convention contraire. "
mais l’article 1252 existait avant la loi du 21 décembre 2006 et la sécurité sociale était " prioritaire ".


Une harmonisation s’impose afin d’éviter des contentieux.

Loi du 5 juillet 1985 cf articles 1385 et suivants :

Actuellement compte tenu des articles 4 et 6 de la loi du 5 juillet 1985 lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice. Il appartient au juge d'apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter l'indemnisation ou de l'exclure.
Le nouvel article 1385 -2 prévoit une modification intéressante, limitant à la faute inexcusable de la victime, les cas où la faute de la victime lui soit opposable pour limiter ou exclure l’indemnisation. Cette modification est souhaitable, elle est conforme aux voeux exprimés par la Cour de cassation dans son rapport 2005.