La loi HADOPI 2 est censée réparer les défauts constitutionnels censurées par le Conseil Constitutionnel qui a ainsi motivé soin invalidation :
“Considérant que les pouvoirs de sanction institués par les dispositions critiquées habilitent la commission de protection des droits, qui n'est pas une juridiction, à restreindre ou à empêcher l'accès à internet de titulaires d'abonnement ainsi que des personnes qu'ils en font bénéficier ; que la compétence reconnue à cette autorité administrative n'est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s'étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l'exercice, par toute personne, de son droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l'article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d'auteur et de droits voisins ;

Considérant, en outre, qu'en vertu de l'article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ; qu'il en résulte qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ;”

La question est de déterminer si le nouveau texte satisfait à ces exigences, c’est à dire s’il prévoit de transférer effectivement à l’autorité judiciaire le pouvoir de prononcer des sanctions qui portent atteinte à la liberté d’expression protégée par l’article 11 de la déclaration de 1789, et, si, d’autre part il ne contrevient pas aux dispositions de l’article 9 de la déclaration de 1789, c’est à dire au principe de la présomption d’innocence. Les atteintes à la présomption d’innocence Ces atteintes sont constituées dès lors qu’une personne visée par une procédure n’a pas été entendue et n’a pu exercer normalement son droit d’être défendu. La disposition (article 1) selon laquelle « Ils peuvent en outre recueillir les observations des personnes concernées.” laisse supposer que les verbalisateurs d’HADOPI pourront se dispenser d’entendre la personne concernée. Or une telle disposition laisse la possibilité d’engager des poursuites à l’encontre d’une personne dont l’identification n’aura été faite que de manière indirecte (adresse IP, échange de mails avec une personne supposée correspondre au contrefacteur) - ce qui est loin des exigences d’un procès équitable. La garantie des droits des citoyens impose absolument qu’une audition soit faite au stade de l’enquête tout particulièrement lorsque dans la phase de jugement il est prévu une procédure simplifiée sans audience (procédure d’ordonnance pénale). La disposition prévoyant que « Lorsque les personnes concernées demandent à être entendues, ils les convoquent et les entendent. Toute personne entendue a le droit de se faire assister d’un avocat de son choix. » est insuffisante, dès lors qu’aucune vérification de l’identité préalable ne peut être faite par les agents verbalisateurs avec la seule adresse IP. Il existe un risque sérieux de poursuite de personnes étrangères à la commission d’une infraction et à l’encontre desquelles la procédure ne garantit pas qu’elles auront été effectivement avisées personnellement du procès-verbal dressé à leur encontre. La procédure ainsi établie ne garantit pas les droits de la défense, le Conseil pourrait en outre s’interroger sur la faculté pour le législateur de prévoir une habilitation et une assermentation d’agents dépendants d’une autorité administrative indépendante en qualité d’officiers de police judiciaire. Il s’agit en effet d’une innovation remarquable du texte de loi, les autorités administratives indépendantes ne disposant pas en principe, comme les administrations, d’agents enquêteurs ayant la qualité d’OPJ. Cette innovation doit être considérée comme un simple habillage procédural, destiné à laisser paraître que la procédure administrative dispose d’un “vernis judiciaire” suffisant pour satisfaire aux injonctions du Conseil Constitutionnel. Il faut rappeler que les OPJ devraient être soumis à un contrôle de la part de l’autorité judiciaire, comme c’est le cas des fonctionnaires civils et militaires, seuls visés par l’article 224 du code de procédure pénale (ce qui signifie que la loi actuelle est incomplète en ce qu’elle omet d’inclure les “agents non fonctionnaires recrutés par l’HADOPI” et que le seul renvoi à un décret en Conseil d’État est insuffisant) L’imprécision des éléments constitutifs des infractions (principe de la légalité des infractions) Article 2 les termes” au moyen d'un service de communication au public en ligne” sont trop larges et posent la question de la précision des termes d’incrimination. Article 3 bis :
Après l’article L. 335-6 du code de la propriété intellectuelle, il est inséré un article L. 335-7-1 ainsi rédigé : « Art. L. 335-7-1. – Pour les contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code, lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie à l'article L. 335-7 peut être prononcée selon les mêmes modalités, en cas de négligence caractérisée, à l'encontre du titulaire de l'accès à un service de communication au public en ligne auquel la commission de protection des droits, en application de l'article L. 331-25, a préalablement adressé, par voie d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d'envoi, une recommandation l’invitant à mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès à internet.
« La négligence caractérisée s’apprécie sur la base des faits commis au plus tard un an après l’envoi de la recommandation mentionnée à l’alinéa précédent. « Dans ce cas, la durée maximale de la suspension est d’un mois.
Cet article porte atteinte à la présomption d’innocence, la notion de “négligence caractérisée” étant totalement floue et ne répondant pas aux critères de la légalité des délits. L’absence de contrôle effectif par l’autorité judiciaire des atteintes aux libertés individuelles Article 3 ter A « Art. L. 335-7-2. – Pour prononcer la peine de suspension prévue aux articles L. 335-7 et L. 335-7-1 et en déterminer la durée, la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l’infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l’activité professionnelle ou sociale de celui-ci. La durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de la propriété intellectuelle et le respect du droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile. » Cet article n’ajoute rien aux dispositions déjà applicables (voir en particulier article préliminaire du CPP et des articles 495 et 495-1 du CPP et 132-24 du code pénal (le quantum et la nature des peines prononcées sont fixées de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime) ; Le problème est que la procédure administrative qui génère les poursuites ne sera pas suffisante pour satisfaire à ces dispositions puisqu’il faut : - pour recourir au mécanisme de l’ordonnance pénale - que l’enquête de police judiciaire établisse la réalité des faits et leur imputabilité - que les renseignements concernant la personnalité du prévenu et notamment ses charges et ressources soient suffisants pour permettre la détermination de la peine. L’enquête sera faussement qualifiée d’enquête de police judiciaire dès lors qu’en réalité ce sont les agents HADOPI qui se verront dans le cadre de leurs missions administratives dotées artificiellement de la qualité d’OPJ.. En recevant ainsi la fonction d’établir la réalité des faits et leur imputabilité les agents de l’HADOPI se trouveront en réalité à la fois autorité de poursuite et - de manière diffuse - autorité de jugement, dès lors qu’ils contribueront directement à la déclaration de culpabilité par la rédaction de procès verbaux faisant foi jusqu’à la preuve contraire. Il s’agit en outre d’une atteinte à la présomption d’innocence puisque, en la matière s’il est difficile pour l’autorité de poursuite d’établir la matérialité et l’imputabilité des faits, il est également très difficile pour la personne poursuivie d’établir son innocence. Au total la construction proposée pour remédier aux défauts censurés par la Conseil Constitutionnel n’est qu’un replâtrage qui ne répare nullement les défauts initiaux. Il est certain que la circulaire tendant à donner des instructions aux procureurs de la République (placés sous l’autorité hiérarchique du Grade des Sceaux et donc soumis à l’exécution des circulaires de politique pénale : article 30 et suivant du code de procédure pénale) visera à privilégier le mécanisme de l’ordonnance pénale : l’intention en ce sens est parfaitement énoncée dans l’exposé des motifs lors du dépôt du projet de loi “afin d’alléger le travail des autorités judiciaires ...” La procédure d’ordonnance pénale sera donc la voie quasi exclusive. Or, le contentieux de la contrefaçon est un contentieux complexe, à ce titre, en matière civile le choix est désormais de privilégier des juridictions spécialisées tant en matière de droit des brevets qu’en matière de droit des marques. Il est donc singulier de considérer que le traitement pénal de tels contentieux soit un traitement simple. Outre les questions déjà abordées (identité de l’auteur avec sa seule adresse IP, imputabilité des faits au détenteur de l’adresse IP, caractère volontaire de l’infraction, c’est à dire contrefaçon en connaissance de cause du caractère illicite du téléchargement d’une oeuvre qui implique une connaissance de l’existence de droits sur cette oeuvre...) , la question du droit d’auteur et des droits voisins est également complexe lorsque l’on recherche le caractère effectif du droit protégé : qui en est détenteur, quel est l’ayant droit ... L’article 2 du projet amendé prévoit en cas de mise en oeuvre de la procédure d’ordonnance pénale que « Dans ce cas, la victime peut demander au président de statuer, par la même ordonnance se prononçant sur l’action publique, sur sa constitution de partie civile. L’ordonnance est alors notifiée à la partie civile et peut faire l’objet d’une opposition selon les modalités prévues par l’article 495-3. » Cet ajout pose plusieurs difficultés : - d’une part il est contraire à l’esprit même de la procédure de l’ordonnance pénale de prévoir qu’il soit en outre statué sur les intérêts civils par le biais de cette procédure c’est le sens des dispositions de l’article 495 CPP qui indiquent que cette procédure n’est pas applicable si la victime a formulé, au cours de l’enquête, une demande de dommages-intérêts ou de restitution, ou a fait directement citer le prévenu avant qu’ait été rendue l’ordonnance prévue à l’article 495-1 CPP. - si l’on entend protéger les droits des victimes, il n’est pas possible de le faire dans le cadre d’une procédure aussi simplifiée, ce qui est de nature à porter atteinte à l’équilibre des armes, c’est à dire au caractère équitable de la procédure : comment le prévenu aura-t-il connaissance des demandes formées par la partie civile ? Comment pourra-t-il s’en défendre ? L’évaluation du préjudice subi en matière de propriété intellectuelle est un exercice qui présente quelques difficultés. Il est vraisemblable que les faits poursuivis puissent concerner un grand nombre de “victimes” c’est à dire d’ayants droits (dont la qualité doit être vérifiée) se prétendant lésés et dont le préjudice est à la fois matériel et moral. L’ordonnance pénale qui peut être rendue sans aucun débat contradictoire risque néanmoins d’être privilégiée par les juridictions qui ne disposent pas de moyens suffisants pour traiter un tel contentieux présenté comme massif, compte tenu de l’exposé des motifs qui évoque “un pillage” “un caractère très répandu des atteintes aux droits d’auteur”. En effet, quelques soient les effets d’annonce du Garde des Sceaux, le recrutement actuel de magistrats par l’Ecole Nationale de la Magistrature est extrêmement faible : 150 magistrats par an (pour un corps qui compte 8.000 personnes, c’est à dire l’un des niveaux les plus faibles d’Europe) alors qu’il en faudrait 300 pour faire face aux départs à la retraite... Les juridictions n’auront pas le choix ou le temps de consacrer à l’examen de ces procédures le temps nécessaire. Elles ne pourront renvoyer les affaires en audience que de manière marginale : une ordonnance pénale est traitée en quelques minutes, une affaire à l’audience est traitée en plusieurs dizaines de minutes. En outre, les juridictions seront sans aucun doute confrontées à un taux important d’opposition (50 % selon les prévisions du ministère de la justice) et devront libérer des temps d’audience pour traiter ces affaires, enfin, il ne faut pas exclure de la part d’internautes militants une forme légitime de résistance et de contestation qui passera par la médiatisation des affaires et donc par un temps supplémentaire pour la tenue des audiences. Les justiciables risquent, en nombre de contester les ordonnances pénales rendues qui ne pourront l’être que dans des conditions insatisfaisantes pour eux, les affaires seront renvoyées à des audiences supplémentaires, à juge unique, à moins que les prévenus ne demandent à bénéficier des dispositions de l’article 398-2 alinéa 4 du code de procédure pénale, c’est à dire à ce que l’affaire les concernant soit traitée en audience collégiale Autres questions... Article 3 « La suspension de l’accès n’affecte pas, par elle-même, le versement du prix de l’abonnement au fournisseur du service. L’article L. 121-84 du code de la consommation n’est pas applicable au cours de la période de suspension.”...les frais d’une éventuelle résiliation de l’abonnement au cours de la période de suspension sont supportés par l’abonné” consacrent un enrichissement indus de la part des fournisseurs d’accès. C’est une forme de peine nouvelle (sanction financière) à des fins privées (encaissement par les fournisseurs d’accès d’un prix d’abonnement suspendu) Au total, priver une personne de son abonnement à un réseau est un acte grave qui le prive d’une vie sociale conforme aux standards actuels d’une société démocratique évoluée : possibilité d’éditer un bulletin de vote, de formaliser une inscription en université, d’accéder aux renseignements administratifs et juridiques nécessaires à l’exercice de ses droits, possibilité de communiquer dans le cadre d’un droit de correspondance et d’expression.
Le texte prévoit un dispositif “économique” et donc totalement illusoire et ne peut satisfaire les exigences posées par le Conseil Constitutionnel.