Bilan de la loi sur le harcèlement sexuel

Publié le 2 juin 2016

Audition du 2 juin 2016 à l'Assemblée nationale

Le Syndicat de la magistrature, qui combat les discriminations, a toujours revendiqué une réelle égalité femmes-hommes dans la sphère sociale et professionnelle et s’est élevé contre les comportements sexistes de toute nature.
La reconnaissance, par le code pénal tel qu’issu de la réforme de 1994, d’une infraction de harcèlement sexuel dont il avait été beaucoup débattu à l’époque devait avoir pour objet d’incriminer des comportements qui ne relevaient ni des violences souvent préméditées, ni des agressions sexuelles et qui aboutissaient à dévaloriser les femmes dans le monde du travail, dans une longue tradition de domination masculine.
L’évolution du texte a abouti, par petites touches, introduites notamment en 1998 et 2002, à permettre la répression de comportements de plus en plus nombreux en supprimant l’exigence de lien d’autorité après avoir ajouté les « pressions graves » exercées par l’auteur du harcèlement. Jusqu’à la décision rendue le 4 mai 2012 par le Conseil constitutionnel qui a déclaré l’article 222-33 du code pénal inconstitutionnel au motif qu’il « permet(ait) que le de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ; qu’ainsi ces dispositions méconnaiss(ai)ent le principe de légalité des délits et des peines et d(evaient) être déclarées contraires à la Constitution. »
Afin de nourrir sa réflexion, le Syndicat de la magistrature a sollicité des magistrats de plusieurs juridictions pour connaître les différentes pratiques en œuvre aujourd’hui dans le traitement, notamment pénal, des procédures de harcèlement sexuel. Le bilan d’application de la rédaction des textes en 2012 n’a malheureusement pas eu, pour notre organisation, les effets escomptés.
1 – La loi du 6 août 2016 a-t-elle permis de réprimer davantage les faits de harcèlement sexuel ?
Il apparaît qu’à ce jour, les procédures établies pour harcèlement sexuel demeurent tout à fait marginales. Elles ont pu être évaluées à un millier par an sur le territoire national. Et elles sont encore plus marginales lorsqu’elles concernent les discriminations résultant du harcèlement.
La rédaction actuelle du texte permet pourtant de prendre en compte des comportements très divers, dans le cadre professionnel ou en dehors (et l’on sait que le domaine du sport est propice à de tels agissements) et même sans lien d’autorité entre l’auteur et la victime. Pour autant, une acception rigoureuse de la qualification pénale de harcèlement sexuel se heurte encore et le plus souvent à un problème de preuve noté par tous les magistrats interrogés.
L’approche du contentieux prud’homal est certainement plus efficace, et en tout cas plus facile à caractériser, mais elle ne répond pas suffisamment à la volonté des victimes de voir sanctionner pénalement un comportement inacceptable.
2 – Les associations de victimes se sont-elles saisies des droits que leur a conférés la loi du 6 août 2012 en matière de harcèlement et de discrimination ?
Les associations de lutte contre les violences sexuelles au sens large, et non pas seulement à celles qui combattent le harcèlement sexuel, interviennent effectivement quand des infractions sont poursuivies mais elles se heurtent aux problèmes probatoires déjà évoqués.
A ce titre, les canaux d’information de ces associations sont malheureusement insuffisant et il conviendrait de s’assurer de circuits garantissant le lien entre ces associations spécialisées et les associations d’aide aux victimes qui interviennent au cours de l’enquête puis du procès pénal pour orienter les plaignant-e-s vers les premières.
3 – Au cours des débats parlementaires, il a été observé que par le passé, des faits constituant des infractions sexuelles plus graves, et notamment des agressions sexuelles ou des tentatives d’agression sexuelle, avaient pu être poursuivies sous la qualification de harcèlement sexuel. Ce constat vous semble-t-il toujours d’actualité ?
Les parquets retiennent en général la qualification la plus haute d’un comportement répréhensible. Cette observation faite au cours des débats parlementaires ne nous paraît pas en tout cas relever d’une pratique courante des parquets d’autant que le harcèlement sexuel ne relève pas davantage d’un jugement en juge unique que l’agression sexuelle. Cette question es à distinguer de la pratique assez courante de disqualification de viols en agressions sexuelles visant à orienter la procédure vers le tribunal correctionnel plutôt que la cour d’assises.
4 – Il est parfois avancé que les parquets ne donnent pas suffisamment suite aux plaintes portées pour harcèlement sexuel : partagez-vous ce constat ?
A priori, le taux d’affaires qualifiées de « poursuivables » est de moins de la moitié pour les procédures de harcèlement sexuel. Près de 60% sont classées pour absence d’éléments suffisants. Lorsqu’elles peuvent être poursuivies, près le la moitié sont encore classées, le plus souvent en raison du désistement de la victime ou de son désintéressement.
Il est ainsi évident que la question de la preuve est l’obstacle majeur à la poursuite des ces infractions. En outre, les services de police et de gendarmerie ne sont pas suffisamment sensibilisés à cette question, leur attitude face à ces délits étant peu ou prou celle qu’ils adoptaient autrefois face aux violences conjugales. De même, les services de l’inspection du travail ne relèvent que rarement ces infractions.
Enfin, la pratique actuelle des parquets qui vise à privilégier le traitement par téléphone et en urgence de la majorité des procédures n’est pas compatible avec la complexité des procédures pour harcèlement sexuel. Dès lors, il est possible que leur caractérisation s’en trouve obérée.
Les mesures adoptées dans le cadre de la loi « El Khomri »
5 – Que pensez-vous des diverses mesures adoptées dans le cadre de la loi « El Khomri » s’agissant des agissements sexistes ?
L’introduction de la terminologie « agissements sexistes », en particulier à l’article L4612-3 du code du travail définissant les missions et objectifs du CHSCT, est susceptible de permettre à ces instances de se saisir de façon plus complète des problématiques liées aux violences faites aux femmes, la dimension de prescription en la matière répondant à l’objectif de transformation sociale visée par plusieurs textes ces dernières années. Le Syndicat de la magistrature n’y est pas défavorable, même si l’absence de traduction contentieux d’une loi interroge toujours quant à sa portée.
6 – Que pensez-vous de l’alignement du régime probatoire du harcèlement sexuel sur celui des discriminations adopté en première lecture de la loi « El Khomri » par l’Assemblée nationale ?
Le régime de preuve partagée aménagée, aligné sur celui des discriminations, qui impose au demandeur de « présenter des éléments de fait laissant supposer » (plutôt que « d’établir des faits qui permettent de présumer ») est une mise en conformité logique et adaptée : la situation de harcèlement sexuel n’est pas moins difficile à prouver que la situation de discrimination.
Les perspectives de réforme
7 – Que pensez-vous de l’allongement de la durée de la prescription pour des faits de harcèlement sexuel ?
Le Syndicat de la magistrature s’est prononcé contre la proposition de loi visant à allonger de manière générale la prescription des délits pour des raisons de principe d’abord et d’efficacité ensuite. Le faire en matière de harcèlement sexuel n’aurait de sens qu’au profit de victimes qui ont vu leur parole muselée par une situation de dépendance, notamment professionnelle.
Ceci étant, il est peu probable que cet allongement faciliterait ensuite la preuve des infractions, laissant dès lors espérer aux plaignantes une issue qui ne se réaliserait pas.
L’allongement de la prescription pour les faits de harcèlement sexuel et plus précisément, le report du point de départ de cette prescription, aboutirait à une rupture d’égalité entre des victimes se trouvant dans des situations différentes, selon qu’elles sont ou non sous le coup d’un lien de dépendance ou de subordination vis à vis de l’auteur du harcèlement et en fonction de la qualification pénale retenue. Ainsi, une plaignante évoquant des faits de violences ou d’agression sexuelle commis dans le cadre du travail se verrait imposer une prescription de droit commun tandis que celle qui aurait souffert de faits de harcèlement pourrait attendre la rupture de son lien de subordination pour agir au pénal.
8 – Que pensez-vous de la mise en place d’une peine d’inéligibilité automatique pour les élus condamnés pour des faits de violences faites aux femmes ?
Le Syndicat de la magistrature est par principe hostile à toutes les peines automatiques qui privent les juridictions de l’indispensable individualisation de la peine. En outre, il voit mal pourquoi les infractions de violences faites aux femmes devraient donner systématiquement lieu à une peine d’inéligibilité, qui peut bien sûr être efficace pour la prévention de ces comportements dans le monde politique, ce qui ne serait pas le cas pour des infractions similaires de harcèlement moral ou de violences sur des collaborateurs de sexe masculin.
9 – La législation actuelle vous semble-t-elle de nature à sanctionner efficacement le harcèlement sexuel ? Des évolutions législatives vous semblent-elles nécessaires en matière de lutte contre le harcèlement sexuel ou contre les comportements sexistes ?
De ce qui précède, on ne peut que déduire que le traitement des infractions sexistes n’est pas satisfaisant. Pour autant, l’arsenal législatif est relativement complet et le Syndicat de la magistrature n’est pas favorable de manière générale à une extension du champ pénal.
L’éradication de ces comportements résultera d’un changement de société qui doit être soutenu et accompagné dans toutes les directions et notamment dans celle de l’éducation. S’il est inutile d’étendre encore la définition même de l’infraction, si il est inopérant d’allonger la prescription ou d’en reporter le point de départ, si il est peu efficace d’alourdir encore ou de diversifier les peines encourues, c’est que la solution réside dans la modification des pratiques et plus généralement de l’appréhension du phénomène par la société dans son ensemble. Sans éducation à ces questions, de l’école à l’université, les progrès ne seront pas tangibles.
Sur le plan judiciaire, les mesures à prendre relèvent en effet davantage de la sensibilisation et de la formation des acteurs :
- Formation des enquêteurs et de l’inspection du travail
- Formation et sensibilisation des médecins et notamment des médecins de prévention et du sport
- Disponibilité et moyens alloués à ces services pour mener à bien ces procédures complexes
- Accueil des victimes et information sur leurs droits
- Sensibilisation et formation des magistrats au traitement des ces procédures depuis l’enquête jusqu’au jugement (incitation à requérir et prononcer par exemple des peines complémentaires de publication et d’affichage des décisions).

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