Annoncer un dimanche soir, par voie de presse, sans commencement d’analyse, que l’abrogation des rappels à la loi prévue dans le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire allait être finalement détrônée par la création de l’avertissement pénal probatoire, relève de la prestidigitation politique.
Il faut dire que la bévue était tellement flagrante en annonçant - par amendement - la suppression des rappels à la loi, qu’Eric Dupond-Moretti se devait de puiser dans ses talents de piraterie pour sauver la mise.
Le rappel à la loi, qui est la moins sévère des réponses pénales à disposition de l’institution judiciaire, a pour avantages de répondre aux « petits » délits, à moindre coût et rapidement, et s'agissant des mineurs très concernés par cette mesure alternative, de mettre un terme le plus souvent à une primo-délinquance. Contrairement à ce qu’assènent certains syndicats de police, qui prônent la suppression de cette réponse pénale depuis longtemps, il ne s’agit donc pas d’un «panpan cucul ».
Le rappel à la loi, qui représente 21 % de la réponse pénale aux affaires poursuivables (infractions établies avec un auteur connu, soit 260 000 rappels à la loi prononcés en 2019), symbolise dans le même temps cette politique de la « tolérance zéro » érigée comme un totem vu que le « sentiment d’insécurité » est devenu la nouvelle norme statistique en matière pénale. Un vent de panique a donc soufflé dans les couloirs vendômiens à l’idée de voir le taux de réponse pénale - qui frôle les 90 % puisque cette mesure a permis de faire passer ce taux de 67,5 % en 2000 à 87,7 % en 2019- écorché.
Or, comme il n’est pas question dans les priorités du gouvernement de réfléchir au sens nouveau de l’opportunité des poursuites ou de budgéter des mesures alternatives d’accompagnement du côté de la justice et de mettre en place des politiques de gestion des conflits de proximité du côté de la police, nos magiciens technocrates ont alors fait du neuf avec du vieux, avec une dose sécuritaire.
Ainsi, le « rappel à la loi » est remplacé par l’« avertissement pénal » : le champ lexical sécuritaire a ses raisons que la raison ignore ; la probation est adjointe à l’avertissement : au nom de la société de « surveillance », nous le valons bien.
En effet, d’après les maigres informations publiées, cet avertissement « sera délivré par la justice qui, pendant un an, mettra les mis en cause sous surveillance. Dans le cas d'une autre infraction durant cette période, ils seront alors jugés pour les deux délits, le nouveau et l'ancien ». Et « sera effectif dès le 1er janvier 2023 ».Passons sur le fait que d’ores et déjà, le procureur peut pendant six ans décider de poursuivre une affaire classée après un rappel à la loi en cas de commission d’un nouveau fait, s’il l’estime opportun. Sur ce sujet comme sur d’autres, l’automatisation de la décision est le remède annoncé aux errements de procureurs et juges trop occupés à individualiser la réponse pénale, et qu’il convient de remettre dans le droit chemin.
Passons aussi sur le fait que cette mesure sera interdite pour les violences envers les forces de l’ordre : là encore, l’effet d’annonce est le plus important, et peu importe si cette réponse pénale n’est d’ores et déjà pas choisie par les parquets pour ce type de faits.
Passons encore sur le fait que les parquets conditionnent déjà le classement des procédures au remboursement des victimes, ou à la régularisation d’une situation, comme le prévoit l’article 41-1 du code de procédure pénale.
Quel écoeurement las de voir Eric Dupond-Moretti, à coup de com’, à défaut de consulter les professionnels de justice du terrain sur les intérêts en jeu en matière d’alternatives aux poursuites, annoncer une énième réforme fondée sur le fantasme du laxisme judiciaire et rassurer à bon compte en annonçant une mesure de « surveillance » qui n’en est pas une mais resserre l’étau d’une réponse pénale automatique et déconnectée du réel.
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