Tribune parue dans Le Monde le 5 juillet 2010

Le procès dit des "cinq de Villiers-le-Bel" a mis en lumière une nouvelle pratique indissociablement policière et judiciaire qui mérite d'être examinée avec attention : le recours à des témoignages anonymes rémunérés.

Rappel des faits. Deux jours après les émeutes, le 29 novembre 2007, le chef de l'Etat déclare, à l'occasion d'un discours sur la sécurité devant des policiers et des gendarmes réunis à la Défense : sont ensuite recueillis au cours de l'enquête.

Première question : cette méthode est-elle légale ? Rien n'est moins sûr. L'article 15-1 de la loi n°95-73 du 21 janvier 1995, introduit par la loi dite Perben II du 9 mars 2004, prévoit bien la possibilité d'une rémunération, mais pas des témoins : . S'il ment, il peut être poursuivi pour faux témoignage.



Le tract policier du 3 décembre 2007 mélange allègrement ces deux concepts : renseignement et témoignage. Cette confusion serait anecdotique si les enquêteurs n'avaient pas recueilli, en l'espèce, de témoignages anonymes au sens strict du terme, mais c'est précisément ce qu'ils ont fait ! Pour mémoire, la procédure de témoignage anonyme a été instaurée par la loi du 15 novembre 2001 pas le cas d'un témoin, sauf à ce que les mots n'aient plus aucun sens.

Par conséquent, la légalité d'un appel à témoins anonymes rémunérés et des témoignages ainsi recueillis est pour le moins douteuse.

Deuxième question : à supposer que cette pratique soit légale, est-elle judiciairement acceptable ? Concrètement, il n'est pas possible pour la justice de savoir à priori si les témoignages anonymes recuellis ont donné lieu ou non à rémunération par la police. En effet, il résulte de l'arrêté du 20 janvier 2006 que la rétribution des indicateurs relève de la compétence exclusive du directeur général de la police ou de la gendarmerie nationales. Autrement dit, il est parfaitement possible, et même très probable au regard du tract diffusé par la PJ de Versailles – mais sans qu'on ait pu en avoir la certitude formelle ! – que les fameux témoins anonymes du procès de Pontoise aient été en réalité des informateurs payés par la police. Quand on sait qu'un témoignage est fragile par définition (subjectivité, mémoire, intérêt à dire une chose plutôt qu'une autre…), quand on sait que le témoignage

"sous X" l'est plus encore (déclarations plus floues – et donc plus difficilement vérifiables – pour éviter l'identification du témoin, effet de déresponsabilisation de l'anonymat…), on peut penser que le témoignage anonyme rémunéré – objectivement intéressé donc – est une aberration judiciaire. Il n'est pas anodin qu'une telle aberration ait surgi dans cette affaire où, parce qu'il était question de policiers d'une part et de "jeunes de cité" d'autre part, tout était permis : "Mettez les moyens que vous voulez…"

. Au fondement du droit, de la justice et de la démocratie, il y a pourtant cette idée forte : la fin ne justifie pas les moyens.

Cette tribune a été rédigée avant que la Cour d'assises ne rende son verdict.

Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature

Lien vers le site du Monde:

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/07/05/prodiges-et-vertiges-de-l-anonymat-payant13832753232.html

Vous pouvez télécharger ci-joint la version papier de cette tribune (le titre est du Monde et certaines corrections n'ont pas été intégrées).