Ce quinquennat nous aura décidément habitués aux réformes inspirées par une volonté présidentielle qui ne peut souffrir de délais, singulièrement dans le domaine de la justice. L’urgence avec laquelle il faut, chaque année ou presque, ajouter une nouvelle couche au mille-feuille pénal peut difficilement convaincre qu’il s’agit de donner corps à des orientations mûrement réfléchies. Pour un Président qui ne conçoit l’adaptation de la justice qu’au prisme d’une cause des victimes totalement sacralisée, il y a toujours un fait divers pour venir justifier l’urgente nécessité de nouvelles mesures de prévention de la récidive ou d’aggravation de la répression, au point que la réactivité finit par se substituer à l’analyse et l’opportunisme à tenir lieu de réflexion.

Le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale n’échappe pas à la règle : à peine évoquée à l’automne 2010, cette réforme, qui vient pourtant bouleverser en profondeur - et selon des procédures fort complexes - les conditions de jugement des délits et des crimes, doit « évidemment » être adoptée avant l’été 2011 … Quitte à bousculer un Ministre de la justice sommé d’en faire sa priorité puis, dans la foulée, le Parlement : on peinera à comprendre quelles considérations tenant à l’objet de ce texte justifient que l’examen en soit soumis à la procédure parlementaire accélérée ne permettant qu’une lecture devant chaque assemblée. Chacun aura compris que s’il ne peut évidemment justifier ce choix d’un travail parlementaire « au rabais », le calendrier présidentiel l’explique exclusivement.


Dans le même mouvement, on aura d’ailleurs passé par pertes et profits la concertation avec les organisations professionnelles représentatives du monde judiciaire. Il faut savoir à cet égard qu’à aucun moment le Syndicat de la magistrature n’a été consulté avant que le projet de loi ne soit adopté en Conseil des ministres, si l’on excepte le fait qu’il a été reçu une heure le 16 décembre 2010 par un conseiller du Garde des sceaux qui s’est, à l’époque, montré dans l’incapacité totale de tracer la moindre perspective sur le contenu du projet.

Telle est donc la conception qui prévaut en matière d’adaptation de la justice: des réformes « presse-bouton » et une défiance constante à l’égard des magistrats, défiance qui, au cas particulier, imprègne tant le contenu du texte que les modalités de son élaboration.



I. LES CITOYENS-ASSESSEURS EN CORRECTIONNELLE ET À L’APPLICATION DES PEINES

Le projet de loi sur « la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale » poursuit plusieurs objectifs plus ou moins avouables. Il s'agit d'abord de démontrer que « la justice, et notamment la justice pénale, est rendue au nom du peuple français » et de « renforcer le lien devant exister entre la population et l'institution judiciaire », lien fondamental « au regard des exigences plus générales de cohésion sociale et de respect du pacte républicain ».

Le Syndicat de la magistrature a toujours milité pour une ouverture de la justice sur la société tant le fonctionnement de l'institution, qui pratique depuis toujours « l'entre soi », paraît critiquable à bien des égards. Nous ne pourrions donc que nous féliciter de cette volonté affichée d'ouvrir la justice à nos concitoyens - pour enrichir le débat judiciaire et leur permettre d'en avoir une meilleure compréhension - si les considérations qui ont déterminé la volonté présidentielle n’étaient pas, en réalité, éminemment contestables.

Il faut en effet relever, d’abord, que selon l’exposé des motifs du projet de loi, cette participation des citoyens « assure que les décisions juridictionnelles ne sont pas déconnectées des évolutions de la société », ce qui traduit déjà une bien piètre idée de la réalité du travail des magistrats et de la conscience qu’ils ont des exigences de leur profession, comme s’ils étaient cantonnés dans leur tour d'ivoire et ignorants des réalités de notre société.

Mais, surtout, le second objectif de ce texte – et probablement le seul qui intéresse le gouvernement en cette période du tout sécuritaire, est de lutter contre un laxisme supposé des juges. Bien que le garde des Sceaux s'en soit récemment défendu, il suffit de se reporter aux propos du chef de l'Etat pour se convaincre de ce que c'est bien l'objet essentiel du projet qu’il a voulu et inspiré.

Dès le mois de septembre 2010, et en répondant à une question sur le meurtre d'une joggeuse près de Lille par un homme déjà condamné pour viol, Nicolas Sarkozy s'est adressé à des députés UMP du collectif Droite populaire déplorant que le peuple ne soit pas assez associé aux décisions de justice et que les sanctions soient généralement moins lourdes lorsqu'elles sont rendues par des magistrats professionnels.

Et il a réitéré ce point de vue lors des voeux qu'il a adressés aux français au mois de décembre 2010 en déclarant qu'il souhaitait « les protéger de la violence chaque jour plus brutale de la part de délinquants multi-réitérants en ouvrant nos tribunaux correctionnels aux jurés populaires. Ainsi, c'est le peuple qui pourra donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter à des comportements qui provoquent l'exaspération du pays. »

C’est dans le même esprit que le projet envisage la présence des citoyens-assesseurs pour siéger au tribunal de l’application des peines compétent pour statuer sur les demandes de libération conditionnelle des personnes condamnées à des peines privatives de liberté de cinq ans ou plus. Sur cette question, Nicolas Sarkozy a précisé le 16 novembre 2010 : « Il y a eu beaucoup d’incompréhension ces derniers temps, notamment sur des libérations conditionnelles et je souhaite que nous réfléchissions à un système où, désormais, aux côtés du juge d’application des peines, il puisse y avoir des citoyens qui prennent avec lui, professionnel, la décision de libérer ou non un criminel. »

Certes, le garde des Sceaux a cru bon de se démarquer de cette position en indiquant le 13 avril 2011 que le projet ne visait pas à rendre les décisions correctionnelles plus sévères et que « si on avait cette idée, on se tromperait forcément ». Pour autant, le Syndicat de la magistrature n'est pas dupe de ce numéro de duettistes et de l’état d’esprit de défiance à l’égard des juges qui sous-tend ce projet de réforme présenté en urgence et constituant la seule feuille de route de Michel Mercier à son arrivée place Vendôme.








a. Les citoyens-assesseurs en correctionnelle

i. Les modalités de désignation des citoyens-assesseurs : un compromis insatisfaisant.


Le projet de loi a délibérément écarté un mode de désignation des citoyens-assesseurs calqué sur celui des jurés d'assises par simple tirage au sort sur les listes électorales. C'était pourtant la seule option possible si l'on avait véritablement souhaité ouvrir la sélection des juges citoyens et assurer une représentation complète de la société. Il eut été indispensable, alors, pour s'assurer de l'impartialité de ces assesseurs, notamment dans de petits ressorts, de prévoir un droit de récusation identique à celui en vigueur devant les Cours d’assises.

Cette option a été écartée pour des raisons pratiques : il n'est « pas envisageable », suivant l'étude d'impact, de prévoir un droit de récusation qui « impliquerait que, pour chaque affaire à juger, un nombre suffisamment important de personnes tirées au sort soit convoqué ».


C’est pourquoi le projet prévoit, en définitive, de combiner le tirage au sort avec une sélection des citoyens assesseurs qui sera assurée par la commission actuellement chargée de dresser la liste des jurés d’assises (art.262 du CPP). Cette commission désignera les citoyens-assesseurs parmi les personnes ayant été inscrites par les maires sur la liste annuelle du jury d'assises établie après tirage au sort sur les listes électorales. De cette liste, elle devra notamment retirer les personnes qui ne satisferaient pas aux conditions prévues pour être citoyen assesseur (art. 10-3 nouveau du CPP), notamment celles qui ne présenteraient pas des garanties d'impartialité et de moralité ou qui seraient inaptes à l'exercice de ces fonctions.

Or, les modalités selon lesquelles ces conditions seront vérifiées et appréciées apparaissent extrêmement critiquables : pour permettre à la commission de se prononcer sur ces critères, éminemment subjectifs, le maire doit en effet adresser aux citoyens tirés au sort (et qui ignorent encore s’ils risquent de devenir jurés, citoyen-assesseur à la cour d'assises ou citoyen-assesseur en correctionnelle) un questionnaire « destiné à vérifier (…) qu'elles présentent des garanties d'impartialité et de moralité et qu'elles ne sont pas inaptes à l'exercice » de ces fonctions (article 10-4). Les intéressés devront retourner ce questionnaire, dûment rempli, au président de la commission.




Certes, le contenu de ce questionnaire devant être fixé par décret, il est difficile, à ce stade, d’en apprécier la pertinence quant à l’objectif consistant à en faire le support à partir duquel seront appréciées les qualités attendues d’un citoyen assesseur. Pour autant, il est dès à présent évident que le recours à ce procédé purement déclaratif – fut-il doublé d’une enquête – ne pourra sérieusement garantir tout à la fois la moralité, l’impartialité et la capacité nécessaires à l’exercice des fonctions de citoyen-assesseur.

S’agissant au demeurant des garanties d’impartialité légitimement exigées par le projet de loi, le recours à ce questionnaire apparaît d’emblée totalement inutile, quel qu’en soit le contenu. L’impartialité du juge ne s’apprécie pas, en effet, in abstracto mais, au contraire, au regard des particularités de l’affaire qui requiert son intervention. Or les questions auxquelles les futurs assesseurs devront répondre ne pourront être, par construction, que très générales et totalement déconnectées de la réalité des affaires sur lesquelles les intéressés auront, le cas échéant, à statuer ultérieurement. Quant à l’enquête, dont les modalités seront également fixées par décret en conseil d’Etat et qui devra ensuite permettre de vérifier « que l’intéressé présente les conditions de moralité et d’impartialité requises » elle n’échappe pas au même écueil, de sorte que les garanties d’impartialité que ces dispositifs sont censés apporter apparaissent en définitive totalement factices et illusoires.

Dans ces conditions, seule la récusation des citoyens assesseurs, qui ne pourra être prononcée que pour l’une des causes actuellement prévues et limitativement énumérées pour les magistrats professionnels (art. 668 CPP), apparaît de nature à prévenir certains des risques de partialité des citoyens assesseurs.

Par ailleurs, l’exposé des motifs du projet de loi rappelle opportunément – mais sans en tirer les conséquences pourtant nécessaires – que le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de préciser que si des non professionnels peuvent siéger dans des juridictions répressives, c’est à la condition que des garanties appropriées soient apportées « permettant de satisfaire au principe d’indépendance ainsi qu’aux exigences de capacité qui découlent de l’article 6 de la DDHC de 1789 ». Et si le Conseil a pu juger que « les dispositions organiques fixant le statut des juges de proximité apportaient les garanties d’indépendance et de capacité requises par la Constitution », celles que le projet de loi tente maladroitement d’organiser pour les citoyens assesseurs apparaissent, par comparaison, tout à fait insuffisantes. Un questionnaire librement rempli par l’intéressé – et dont la commission ne sera pas en mesure de vérifier l’exactitude ou la véracité – puis une enquête, qui se révélera le plus souvent formelle compte tenu de la charge de travail des policiers et gendarmes, ne peuvent à l’évidence fonder les garanties d’indépendance et de capacité répondant aux exigences constitutionnelles.

En revanche, le recours à ce questionnaire réintroduit une faculté d’individualisation du choix des citoyens assesseurs qui ruine partiellement les souhaits d'ouverture du recrutement à l'ensemble de la société : le risque n’est pas mince, en effet, de voir les commissions pratiquer une sélection des citoyens assesseurs peu représentative de la mixité sociale.

Une fois la liste des citoyens assesseurs établie, elle est adressée au premier président de la cour d'appel puis au président du tribunal qui les répartit chaque trimestre au sein du service des audiences et qui les avise, quinze jours avant le début du trimestre, de la date et de l'heure des audiences au cours desquelles ils seront amenés à siéger comme titulaires ou suppléants.

L'article 10-8 futur du code de procédure pénale prévoit que chaque citoyen-assesseur peut être amené à siéger au plus huit jours dans l'année ; il ne précise pas si ces huit jours sont dus de manière continue ou éventuellement étalés tout au long de l'année, ce qui autorisera des pratiques extrêmement différentes selon les ressorts.

Enfin, avant de siéger, les citoyens tirés au sort et considérés comme aptes, impartiaux et de bonne moralité, prêteront le serment de « bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations » (article 10-11).

Curieusement, il ne s'agit pour ces nouveaux juges, ni de prêter le serment des magistrats professionnels tel que prévu par l'article 6 de l'ordonnance du 23 décembre 1958 (« Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. ») ni de jurer dans les termes de l'article 304 du code de procédure pénale (« Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ») qui rappelle pourtant avec force la nécessité, pour des personnes qui ne sont pas rompues au fonctionnement de l'institution judiciaire, de prendre en compte les intérêts des parties et de la société. Sans doute, là encore, le souci de rapidité a-t-il prévalu, tendant à faire des citoyens-assesseurs des sous-jurés d'assises.



ii. Les critères du recours aux citoyens-assesseurs pour le jugement des délits : le principe d’égalité malmené

L'article 399-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue du projet pose le principe de la compétence du tribunal correctionnel comprenant des citoyens-assesseurs pour le jugement, en première instance et en appel, de certains délits. Le choix de ces infractions n'est évidemment pas anodin: il s'agit d'associer les citoyens au jugement des procédures concernant les affaires qui « portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population » si l'on en croit l'étude d'impact.

L'établissement de la liste des infractions (article 399-2 du code de procédure pénale) répondant à ce critère est éminemment politique: le ministère de la justice a décidé qu'il devait s'agir de délits dits « sensibles » et « qui portent une atteinte particulièrement grave à la cohésion sociale du pays, notamment les violences, les vols avec violences, les violences conjugales habituelles et les agressions sexuelles. » En sont donc exclues, malgré les lourdes peines qu'elles font encourir à leurs auteurs, les infractions en matière de stupéfiants et relevant du domaine économique et financier. Mais y figurent également les seuls homicides involontaires commis à l'occasion de la conduite d'un véhicule ou par un chien en raison de l'imprudence de son propriétaire, ainsi que les incendies de véhicules au titre des violences urbaines (qui ne constituent pourtant pas une catégorie particulière d'infraction), certaines menaces et les faits d'extorsion (pour répondre – est-il précisé – au phénomène du racket à la sortie des établissements scolaires.)

On a donc choisi des faits pour lesquels le gouvernement souhaite une réponse pénale particulièrement ferme et on a cherché ensuite à quelle qualification juridique ils pouvaient correspondre au-delà de leur gravité intrinsèque, ce qui donne à cette liste un caractère relativement disparate.

Les délits pourront donc être désormais jugés par des juridictions fort différentes : en sus des procédures d'ordonnance pénale (sans audience) ou de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (à audience réduite), l'auteur d'un délit pourra se voir poursuivi devant un tribunal correctionnel siégeant à juge unique, avec trois magistrats, ou avec trois magistrats et deux citoyens-assesseurs.

La question se pose, de plus en plus cruciale, de l'égalité des citoyens devant la loi, même si la Chancellerie évoque à l'appui de la solution qu'elle a retenue, la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle le législateur peut établir une liste limitative de crimes et de délits appelant des règles de procédure pénale spéciales, dès lors que cette liste est claire et précise pour respecter les principes de légalité, qu’elle est cohérente et justifiée pour respecter les principes de proportionnalité et qu’elle intéresse un ou plusieurs stades de la procédure pénale.

Il est moins que sûr que la liste du nouvel article 399-2 réponde à ces critères notamment en ce qui concerne sa cohérence : quoi de commun entre l'homicide involontaire et le « happy slapping », entre la destruction de véhicule par moyen dangereux (qui peut relever de l'escroquerie à l'assurance) et l'embuscade?

En pratique en outre, l'usage des circonstances aggravantes par les parquets leur permettra, plus encore qu'aujourd'hui, de choisir la juridiction devant laquelle ils renverront le jugement des délits et parfois pour de mauvaises raisons : aspect médiatique d'une procédure, pressions des élus...

Enfin, le tribunal correctionnel compétent pour juger ces délits « sensibles », le sera également pour les infractions connexes à l'exception de celles qui relèvent des juridictions spécialisées (JIRS, Tribunaux militaires, juridictions financières …) qui seront jugés par le tribunal « normal » selon l'étude d'impact pour « éviter une érosion de la peine pour des délits graves » à laquelle pourrait conduire, par le jeu des confusions de peines, la disjonction des procédures. Et l'on prétend que le but de la réforme n'est pas une sévérité accrue des condamnations...

Au-delà de l’aveu ainsi révélé, cette disposition contrevient plus manifestement encore au principe de l’égalité des citoyens devant la justice, dont le Conseil constitutionnel rappelle qu’il est « inclus dans le principe d’égalité devant la loi ». L’étude d’impact révèle en effet, pour minimiser l’importance de cette entorse, qu’au titre des infractions connexes « 1.500 affaires relevant de la compétence d’attribution du tribunal correctionnel siégeant avec des citoyens assesseurs seront en définitive jugées par le tribunal correctionnel sans citoyens assesseurs ». Il n’en demeure pas moins qu’en l’état de ces 1500 affaires la comparution des prévenus devant l’une ou l’autre des formations du tribunal correctionnel dépendra uniquement de l’existence ou non de délits ou de contraventions connexes ne relevant pas de la compétence avec citoyens assesseurs. Or, il est extrêmement douteux, pour ne pas dire impossible, qu’un tel dispositif résiste aux exigences constitutionnelles selon lesquelles le principe d’égalité des citoyens devant la loi « fait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes ». C’est ce qu’a déjà jugé le Conseil constitutionnel à propos de la loi du 23 juillet 1975 aux termes de laquelle des affaires de même nature pouvaient être jugées par un tribunal collégial ou par un juge unique selon la décision du président de la juridiction. On observera que si, en l’espèce, la comparution devant l’une ou l’autre des formations du tribunal correctionnel ne dépendra pas de la décision du président du tribunal, elle dépendra néanmoins de circonstances – l’existence ou non d’infractions connexes – insuffisantes à justifier le traitement différencié réservé aux prévenus dans l’un et l’autre cas. Au surplus elle pourrait également dépendre de la décision du parquet de viser ou non les infractions connexes dans les poursuites, ce qui rapprocherait encore de la situation déjà censurée par le juge constitutionnel.


iii. Le déroulement de l'audience correctionnelle : des citoyens assesseurs en position difficile

L'article 3 du projet introduit dans le code de procédure pénale des dispositions applicables devant le tribunal correctionnel siégeant avec des citoyens-assesseurs. Toute l'ambiguïté du projet consiste à ne pas modifier en profondeur, notamment pour des raisons de « rendement » de l'institution, la procédure correctionnelle reposant sur l’examen d’un dossier relatant une procédure d’enquête écrite tout en y introduisant, malgré tout, une « dose d'oralité » propre à permettre aux citoyens de suivre et comprendre les débats. Selon l'exposé des motifs, il s'agit de les faire « participer de manière éclairée » au jugement des affaires.

L'étude d'impact va plus loin puisqu'elle prévoit que les assesseurs « seront accueillis au sein de la juridiction par le personnel de justice (magistrats, greffiers, fonctionnaires). Ils bénéficieront de sessions de présentation du fonctionnement de la justice pénale. Après cette familiarisation avec la chaîne pénale,les citoyens-assesseurs seront amenés à exercer leur responsabilité éminente qui est celle de juger. » Il n’est pas précisé si cette formation sera décomptée des huit jours « dus » par les citoyens tirés au sort au fonctionnement de la justice, ni si elle sera indemnisée.

A supposer que cette familiarisation ait atteint ses objectifs, les citoyens-assesseurs sont convoqués pour siéger à l'audience du tribunal correctionnel. L'article 461-2 du projet prévoit que le président de la juridiction leur rappelle alors « qu'ils sont tenus de respecter les prescriptions de l'article 304 dont il leur expose la teneur ». Il s'agit du serment des jurés d'assises qu'on n'a pas cru bon de leur faire prêter mais auquel ils doivent se conformer...

Avant de donner connaissance des chefs de poursuite, le président ou un juge rapporteur expose « de façon concise, les faits reprochés au prévenu et les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier. » (article 461-3) L'instruction de l'affaire proprement dite débute alors et le projet prévoit que le président donne lecture des dépositions des témoins qui n'ont pas été convoqués et des rapports d'expertise. La procédure devient indéniablement plus orale même si le président doit aussi veiller « à ce que les citoyens-assesseurs puissent prendre utilement connaissance des éléments du dossier. » (article 461-4) Cette communication n'a cependant lieu que pendant l'audience et aucun créneau de temps n'a été dégagé en amont pour l'étude des procédures, contrairement à ce qui se passe aujourd'hui pour les assesseurs des tribunaux pour enfants par exemple.

Les citoyens-assesseurs risquent bien dans cette configuration de se trouver démunis par rapport aux magistrats professionnels : ils n'ont pas connaissance du dossier à l'avance et n'ont quasiment pas été formés. Même si le temps d'audience est allongé, ils ne pourront pas, au cours d'une audience correctionnelle, « entrer » dans le dossier comme cela peut se passer actuellement devant une cour d'assises où l'examen d'une affaire dure généralement plus d'une journée.

Leur position par rapport aux magistrats professionnels est encore déséquilibrée par le fait qu'ils ne statueront que sur la qualification des faits, la culpabilité et la peine. Comme aux assises, les exceptions juridiques de procédure, l'octroi de dommages-intérêts ou le prononcé de mesures de sûreté seront réservés aux seuls magistrats. En outre, en cas de comparution immédiate et en l'absence d'audience comportant des citoyens-assesseurs le jour du déferrement, c'est le tribunal composé de seuls magistrats professionnels qui statuera sur l’éventuelle nécessité d'investigations supplémentaires et sur le placement en détention provisoire jusqu'à la date du jugement (article 399-8).

Des dispositions sont pourtant prévues pour permettre un délibéré de qualité (article 4 du projet). Sauf décision contraire du président, le délibéré doit suivre immédiatement les débats. Le président doit rappeler les éléments constitutifs des infractions, la peine encourue et les dispositions du code de procédure pénale sur l'individualisation des sanctions et leur aménagement. Aucun vote n'est prévu au cours du délibéré.

iv. L’impact sur les moyens : une sous-évaluation manifeste

L'étude d'impact prévoit un doublement du temps d'audience et de délibéré par rapport aux mêmes affaires actuellement jugées sans citoyens assesseurs. Elle anticipe sur le temps gagné par les procédures d'assises simplifiées pour compenser celui passé dans cette nouvelle formation correctionnelle. Pourtant, le temps effectivement gagné sera en réalité très limité puisque ces procédures d’assises simplifiées nécessiteront la mise en œuvre des moyens conséquents qu’impliquera le traitement par ces dernières des procédures aujourd’hui traitées dans le cadre de la correctionnalisation. En réalité le doublement du temps d’audience résultant de l’introduction des citoyens assesseurs aura pour effet essentiel d’engorger plus encore le fonctionnement de tribunaux correctionnels déjà confrontés à d’importantes difficultés pour absorber le contentieux pénal du quotidien.

L’étude se fonde en outre sur l’hypothèse selon laquelle, en moyenne, les parquets audiencent actuellement six affaires relevant de la future correctionnelle avec citoyens-assesseurs par demi-journée. Cette évaluation est manifestement faite « au doigt mouillé », la plupart des juridictions ne distinguant pas la répartition des affaires entre les audiences autrement que sur le seul critère juge unique/collégiale. La Chancellerie n'a en réalité aucun moyen de chiffrer la moyenne d'affaires à six comme elle le fait et il est plus probable que ce nombre de six soit largement sous-évalué. Les calculs d'audiences supplémentaires à créer qui en découlent directement sont donc très vraisemblablement faux.

L'étude d'impact s'est également efforcée de chiffrer les besoins générés par la réforme en termes de personnels mais aussi dans les domaines immobiliers et informatiques. Le Syndicat de la magistrature considère qu'une fois de plus les prévisions de la Chancellerie sont extrêmement optimistes. Cette dernière note ainsi que dans la plupart des juridictions, l'entrée en vigueur de la loi conduirait à créer une audience supplémentaire par semaine ou par quinzaine et elle en déduit sans le justifier que « dans la plupart des juridictions, cette charge nouvelle ne nécessitera pas de construire des salles d'audiences supplémentaires. » Quand on connaît le casse-tête que constitue, dans quasiment tous les tribunaux, l'établissement du planning d'occupation des salles d'audiences, alourdi depuis l'entrée en vigueur de la réforme de la carte judiciaire, on ne peut souscrire à cette vision angélique des choses.

Le ministère de la justice est tout aussi imprécis en matière informatique puisqu'il procède aussi par affirmation : « Le logiciel correctionnel devra être mis à niveau. (…) En ce qui concerne Cassiopée, les impacts des modifications à apporter seront modérés mais elles ne pourront être implantées que dans la version de ce logiciel dont la mise en production est prévue en avril 2012. (…) Pour les autres applications pénales, s'il n'est pas possible à ce stade de l'étude d'impact d'apporter des réponses précises en termes de charges et de réalisation ». Les juridictions sièges de l'expérimentation devront sans doute improviser une fois de plus...

Mais la sous-estimation des moyens nécessaires est particulièrement criante en ce qui concerne les moyens humains et, plus particulièrement encore, quant aux besoins en personnels de greffe. L’étude d’impact se contente en effet d’évaluer la création des emplois de magistrats et de greffiers à l’aune du seul doublement du temps passé à l’audience et en délibéré. Or, ce faisant, elle passe complètement sous silence, d’une part, le temps induit par la gestion de l’audiencement (dont elle relève pourtant qu’il sera rendu plus complexe par la réforme et que « cette charge de travail sera importante au moment de l’entrée en vigueur de la loi ») et, d’autre part, l’accueil, l’information et la formation des citoyens assesseurs, qui devront être organisés, précise-t-elle, au sein de la juridiction et de façon spécifique pour chaque type d’intervention des citoyens assesseurs (assises, correctionnelle, application des peines, mineurs) : il est évidemment tout à fait anormal que les charges induites par ces différentes activités soient purement et simplement ignorées par le gouvernement dans la présentation trompeuse qu’il fait ainsi de l’impact budgétaire de la réforme.

Enfin, il est encore tout à fait inacceptable que, pour considérer comme nul l’impact du projet de loi sur l’aide juridictionnelle, le gouvernement ait pu décider qu’il n’était « pas envisagé de prévoir une unité de valeur spécifique pour les affaires passant devant les nouvelles formations de jugement » et ce, alors même que l’étude d’impact est fondée sur l’hypothèse d’un doublement du temps d’audience : il est tout à fait évident que l’estimation de l’indemnisation des avocats au titre de l’assistance qu’ils apporteront aux prévenus durant ces audiences devrait intégrer l’accroissement du temps qu’ils y passeront.


* * *



Si, en résumé, le Syndicat de la magistrature ne peut être opposé au principe de l'entrée de citoyens assesseurs dans les juridictions correctionnelles, il ne peut accepter que cette réforme soit conduite à la hâte, dans un climat de défiance, sans concertation ni moyens suffisants et ce, pour entretenir l’illusion d’une efficacité sécuritaire qui ne connaîtrait d’autre voie que toujours plus répressive.

b. Les citoyens-assesseurs à l’application des peines

i. Présentation du projet

L’article 9 du projet prévoit la « participation de citoyens aux décisions en matière d’application des peines » et plus précisément pour les libérations conditionnelles concernant les peines privatives de liberté supérieures ou égales à cinq ans et pour le relèvement des périodes de sûreté. (articles 730-1 et 720-4-1 du code de procédure pénale) Il prévoit également que la chambre de l’application des peines de la cour d’appel comportera deux citoyens-assesseurs lorsqu’elle statuera sur l’examen des jugements du tribunal de l’application des peines (article 712-13-1 du code de procédure pénale).

Le texte prévoit en conséquence un renforcement de la collégialité dans les hypothèses suivantes :

- demande de relèvement de la période de sûreté ;

- demande de libération conditionnelle relevant de la compétence du tribunal de l’application des peines. Le TAP deviendrait donc compétent pour accorder une libération conditionnelle pour toute peine prononcée supérieure ou égale à cinq ans si le reliquat de peine est supérieur à deux ans. En application de l’article 730 du CPP, le juge de l’application des peines est actuellement compétent pour accorder une libération conditionnelle pour une peine inférieure ou égale à dix ans ou, quelle que soit la peine prononcée, si le reliquat de la peine est inférieur à trois ans. La réforme projetée a donc pour conséquence de faire trancher par trois, voire cinq personnes au lieu d’une seule, un grand nombre de situations, ce que l’étude d’impact ne semble pas avoir pris en compte.

L’exposé des motifs du texte est extrêmement laconique sur l’intervention des citoyens à l’application des peines. Pourtant, sa particularité résulte de ce que la société civile est déjà représentée à la chambre de l’application des peines en appel, sa composition étant élargie, en sus des trois magistrats professionnels, à deux personnes : un responsable d’une association d’aide aux victimes et un responsable d’une association de réinsertion des condamnés. L’étude d’impact note cependant que la disponibilité des assesseurs est souvent insuffisante et que leur impartialité est parfois contestable, notamment quand « l’association de réinsertion représentée à l’audience est précisément celle avec laquelle est envisagé le projet de sortie. »

Il a donc été décidé d’introduire des citoyens-assesseurs non spécialisés en première instance et en appel, en les substituant aux échevins actuels. Ainsi, les associations de victimes sont écartées de toute prise de décision par un gouvernement qui se prétend leur défenseur.


ii. Un projet hypocrite qui met les citoyens dans une situation impossible

Beaucoup plus qu’en matière de jugement correctionnel ou criminel, la pratique de l’application des peines suppose des compétences techniques et une culture pénitentiaire dont l’absence rend illusoire toute prise de décision éclairée.

Il convient de noter que les citoyens-assesseurs seront tirés au sort dans les mêmes conditions que ceux qui siègent dans les formations correctionnelles. Ainsi, les mêmes remarques peuvent être formulées sur leur mode de désignation.

Mais surtout, la décision sur les libérations conditionnelles est bien différente de celle du jugement des affaires au fond. Les condamnés font en effet l’objet d’un suivi au long cours et il s’agit pour les juridictions de l’application des peines d’apprécier une évolution plus qu’un instantané. La décision de libération conditionnelle n’est souvent que l’aboutissement d’un long processus qui, pour la personne détenue, s’est presque toujours traduit par le suivi de soins, la recherche d’un emploi et l’obtention de permissions de sortir – processus que l’introduction de citoyens viendrait soit hypocritement cautionner, soit absurdement enrayer. Cette remarque est d’ailleurs surtout valable pour les longues peines, celles justement qui sont concernées par l’introduction de ces assesseurs-citoyens : ces décisions ne peuvent valablement être prises que par des professionnels du suivi, sauf à être privées d’une grande partie de leur sens.

Les décisions des juges d’application des peines et des tribunaux d’application des peines se fondent sur un travail pluridisciplinaire réalisé en détention par les personnels de l’administration pénitentiaire qu’il est important de prendre en compte. Il sera très difficile pour des citoyens assesseurs de s’intégrer dans ce processus, qui demande une culture à la fois juridique et pénitentiaire – culture qui ne se construit pas en quelques heures de formation.

En bref, à la différence de la détermination de la lourdeur d’une peine, qui fait appel à des notions morales et qui renvoie à des valeurs sociales dont chaque citoyen a vocation à être le porteur et l’interprète, la décision de libération conditionnelle s’appuie nécessairement des savoirs criminologiques, juridiques, sociologiques, médicaux et psychiatriques.

En outre, dans un climat médiatique particulièrement sensible sur la problématique de l’application des peines, il est sans doute difficile, au-delà même de la complexité technique de la matière, de demander à des citoyens d’avoir le sentiment de « défaire » les décisions des juridictions répressives.

Il est évident que la formation prévue par le texte n’est pas de nature à apaiser ces craintes. Les assesseurs bénéficieraient a priori de la même formation que celle, pour le moins succincte, qui semble prévue en correctionnelle. Les précisions spécifiques à la matière de l’application des peines leur seront données à partir de « supports élaborés à l’échelon national » qui risquent de se révéler bien insuffisants. Le texte prévoit seulement que le président de la juridiction devra leur donner lecture, en début de délibéré, du contenu de l’article 707 du code de procédure pénale suivant lequel « sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais. L'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. A cette fin, les peines sont aménagées avant leur mise à exécution ou en cours d'exécution si la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné ou leur évolution le permettent. L'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. En cas de délivrance d'un mandat de dépôt ou d'arrêt, les peines privatives de liberté peuvent être immédiatement aménagées, dans les conditions prévues par le présent code, sans attendre que la condamnation soit exécutoire conformément au présent article, sous réserve du droit d'appel suspensif du ministère public prévu par l'article 712-14 ».

Pour ces raisons, le Syndicat de la magistrature, pourtant favorable à l’ouverture de l’institution, ne saurait cautionner l’introduction parfaitement hypocrite de tiers dans le domaine de l’application des peines.


c. L’option de l’expérimentation

L’article 31 du projet prévoit la mise en place progressive des nouvelles dispositions relatives aux citoyens assesseurs dans les tribunaux correctionnels et à l’application des peines : deux cours d'appel à titre expérimental en juillet 2012 et dix au plus au 1er janvier 2014.

Selon le ministère de la justice et des libertés, cette expérimentation est rendue possible, malgré l'écueil d’une évidente rupture d'égalité des citoyens devant la loi, par l'article 37-1 de la Constitution qui dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limitée, des dispositions à caractère expérimental. » A ce jour, une seule expérimentation en matière pénale a été prévue par le législateur : il s'agit du dispositif anti-rapprochement entre l'auteur de violences conjugales et sa victime. Il est évidemment plus limité dans ses effets que ne sera celui de la composition des tribunaux correctionnels puisque l'étude d'impact évalue à 40 000 les affaires qui relèveront de la composition avec citoyens-assesseurs, en première instance et en appel.

Si l’article 37-1 de la Constitution n’exclut a priori aucune matière de son champ d’application, il n’en demeure donc pas moins contestable, contrairement à ce qu'affirme le gouvernement, que ces dispositions nouvelles concilient l'intérêt d’une expérimentation avec le principe d'égalité dans le respect des libertés publiques et des droits constitutionnellement garantis. En revanche, il est tout à fait évident que le choix de l’expérimentation ne vise à rien d’autre qu’à concilier l’obligation de respecter la volonté présidentielle de voir instituer ce dispositif avant l’échéance de 2012 et l’obligation de dégager les très importants moyens budgétaires qu’imposerait la généralisation immédiate d’une réforme par ailleurs lourde et complexe. Quoi qu’il en soit, la matière pénale ne saurait se prêter avec légèreté et sans garanties particulières à des expérimentations dont l’objet même met en cause l’exercice de libertés fondamentales.


II. LES DISPOSITIONS RELATIVES AU JUGEMENT DES CRIMES

Le projet de loi contient deux séries de dispositions relatives au jugement des crimes.

La première a trait au déroulement de l’audience de la cour d’assises ainsi qu’à la « motivation » des décisions de celle-ci ; elle reflète la précipitation générale qui a présidé à l’élaboration de ce texte. La seconde porte sur la composition de la cour d’assises ; elle marque un net recul de la participation des citoyens à la justice criminelle.


a. Une procédure remaniée à la va-vite

L’article 6 du projet de loi modifie les dispositions de l’article 327 du Code de procédure pénale : l’audience de la cour d’assises ne débuterait plus par la lecture de la décision de renvoi, mais par un exposé des « éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier, tels qu’ils résultent de la décision de renvoi ». Il incomberait au président de la cour d’assises d’y procéder.

Cette innovation vise manifestement à répondre à la critique classique – et légitime – selon laquelle la lecture de l’acte de renvoi (ordonnance ou arrêt de mise en accusation) place systématiquement l’accusé dans une position défavorable dès le début du procès, au moins en apparence.

En effet, même si le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction prend soin de présenter l’affaire le plus complètement possible, en veillant à ne pas orienter son exposé « à charge », le fait est qu’il s’agit d’une décision de renvoi motivée, qui contient par définition sa propre justification, c’est-à-dire une démonstration (plus ou moins intégrée à la présentation des faits).

Il était donc légitime de revoir cette phase procédurale afin d’opérer une saine coupure avec l’acte de renvoi, en dehors bien sûr de son dispositif qui délimite la saisine de la cour d’assises.


Cependant, l’option qui a été choisie par la Chancellerie témoigne d’une réflexion inaboutie : en confiant au président de la cour d’assises le soin d’exposer « les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier », elle le place dans une position délicate – voire intenable dans les dossiers contenant de nombreux éléments à charge – et ouvre la voie à des incidents dès le début de l’audience, l’impartialité du président pouvant immédiatement être mise en cause par les parties. Par ailleurs, cet exposé – discutable par définition – risque de faire une plus forte impression encore sur les jurés que la lecture formelle de l’acte de renvoi.

Afin de réserver aux débats ce qui doit précisément être débattu, il conviendrait que le rapport du président de la cour d’assises se limite à un exposé sommaire des faits, en veillant à ne pas entrer dans le détail des charges qui vont être discutées au cours de l’audience.


L’article 7 du projet de loi introduit quant à lui une « motivation » des arrêts rendus par les cours d’assises.

Depuis longtemps, le Syndicat de la magistrature s’est déclaré favorable au principe d’une telle transparence. Il est en effet important que les parties au procès criminel soient mises en mesure de comprendre la décision qui les concerne directement et ainsi, le cas échéant, d’apprécier l’opportunité de la contester. Plus généralement, il en va de la lisibilité de l’action de la justice aux yeux des citoyens, c’est-à-dire du « peuple français » au nom duquel la justice est rendue.

Par ailleurs, la motivation oblige celui qui s’y trouve tenu à clarifier les étapes du raisonnement qui gouverne sa décision, ce qui concourt à la rationalisation de celle-ci.

Cependant, une nouvelle fois, la Chancellerie a opéré un choix étrange : il appartiendrait au président de la cour d’assises – ou à l’un des magistrats assesseurs désigné par lui – de rédiger la motivation de l’arrêt, c’est-à-dire « l’énoncé des principales raisons qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises ». Cette motivation figurerait « sur un document annexé à la feuille des questions », intitulé « feuille de motivation ».

Cette disposition traduit une profonde méconnaissance du fonctionnement des cours d’assises et une conception pour le moins surprenante du rôle du jury populaire.

En effet, il est loin d’être toujours évident pour le président de la cour d’assises – aussi pédagogue et attentif soit-il – de se faire une idée précise desdites « principales raisons », certains jurés s’exprimant fort peu ou changeant d’avis au moment de voter sans en avoir fourni l’explication au préalable. On peut – et il faut – tout faire pour favoriser l’émergence d’une parole libre en cours de délibéré, mais il arrive – et il arrivera toujours – que les motivations des uns ou des autres demeurent mystérieuses... Dans ces conditions, la rédaction de cette « motivation » pourrait bien se muer en exercice artificiel.

Surtout, il est frappant d’observer que la Chancellerie, au moment même où elle prétend « rapprocher la justice du peuple », en prévoyant notamment une telle motivation, dépossède le jury populaire de celle-ci, en la confiant à un juge professionnel… Deux objections classiques doivent être examinées : rédiger une motivation exige une certaine technique et il serait de toute façon très difficile de le faire collectivement, magistrats et jurés mêlés, dans le temps d’un délibéré. Ces arguments sont sérieux, mais ils ne sont d’aucun poids face à l’option rejetée par la Chancellerie : l’établissement, au fil des débats, d’une liste de questions précises portant sur les « nœuds » factuels de l’affaire, auxquelles la cour d’assises devrait répondre au cours de son délibéré, de sorte que la lecture du verdict permettrait d’en comprendre les ressorts principaux.

Cette méthode, déjà expérimentée à Saint-Omer et à Créteil en considération de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, présente plusieurs avantages : elle conduirait à structurer rationnellement les débats sous le contrôle des parties et elle permettrait d’écarter les inconvénients liés au travail de rédaction, qu’il s’agisse de l’alourdissement déraisonnable du délibéré, de la difficile prise en compte des opinions des jurés ou de la dépossession symbolique et réelle de la parole du jury.

Bien sûr, le délibéré s’en trouverait compliqué, mais dans des proportions acceptables au regard de l’objectif poursuivi.

Une véritable concertation aurait sans doute permis au ministre de la Justice d’examiner sérieusement cette solution empreinte de réalisme et respectueuse des principes…

Subsidiairement, si l’option d’une motivation rédigée devait être privilégiée, il conviendrait à tout le moins de prévoir sa validation par l’ensemble de la cour d’assises (jury compris) et sa lecture lors de l’énoncé du verdict. En l’état, les modalités retenues par la Chancellerie correspondent à une motivation purement formelle.




b. Une justice criminelle… nettement moins populaire

Lorsque le président de la République a fait connaître – après la « Droite populaire » et Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur – son désir de voir des jurés siéger aux côtés des magistrats dans les formations correctionnelles, nombreux sont ceux qui ont relevé la contradiction : quelques mois plus tôt, la Chancellerie envisageait de supprimer le jury s’agissant du jugement en première instance des « crimes les moins graves »…

On retrouve cette incohérence au sein même du présent projet de loi. En effet, il prévoit en son article 8 de confier le jugement en premier ressort de tout crime puni de 15 ou 20 ans de réclusion criminelle à une cour d’assises dont le jury serait « remplacé par deux citoyens assesseurs », dès lors du moins que l’accusé ne serait pas en état de récidive légale, qu’il ne s’opposerait pas à cette voie de jugement et que le procureur de la République n’aurait pas requis la saisine de la cour d’assises « classique » en retenant une qualification plus élevée.

Dans cette hypothèse, le délai supplémentaire de détention provisoire prévu par l’article 181 du Code de procédure pénale serait réduit de moitié (six mois au lieu d’un an ; trois mois au lieu de six mois) et la cour d’assises pourrait se réunir en dehors de ses sessions ordinaires.

L’objectif officiel de ces dispositions est d’éviter la « correctionnalisation » de certains crimes, pratique consensuelle qui a été consacrée par la loi du 9 mars 2004 dite « Perben 2 » (cf. articles 186-3 et 469 du CPP). Manifestement, un tel objectif est purement symbolique, puisque les crimes concernés seraient jugés… par une composition identique à celle jugeant les atteintes aux personnes en matière correctionnelle. L’enjeu ne serait donc pas de juger les vols avec arme ou les viols comme des crimes, mais de toujours les qualifier de la sorte.

Ainsi, pour que les victimes de crimes aujourd’hui « correctionnalisés » – avec leur assentiment – puissent toujours « bénéficier » d’une qualification criminelle, la Chancellerie envisagerait de faire juger la grande majorité des crimes (viols, coups mortels, vols avec arme…) comme s’il s’agissait de délits ! L’étude d’impact qui accompagne le projet de loi chiffre à 10% des affaires criminelles la part de celles qui resteraient de la compétence de la « vraie » cour d’assises. En quelque sorte, on « correctionnalise » au nom de la lutte contre la « correctionnalisation »...

Un bémol doit être mis à cette critique : en-dehors évidemment des règles relatives au jury, l’ensemble de la procédure qui s’applique aujourd’hui devant la cour d’assises resterait applicable devant la « petite » cour d’assises (nouvel article 267-2 du CPP). Il n’empêche que c’est bien le même type de juridiction qui jugerait certains délits et certains crimes et que, par la force des choses, l’audience devant la cour d’assises « réduite » risque de s’aligner sur l’audience correctionnelle « spéciale » et ainsi de s’appauvrir...

Un autre effet secondaire est à craindre : l’abandon par le parquet de certaines circonstances aggravantes dans le but d’éviter la saisine de la cour d’assises « normale ». Ainsi, un phénomène de sous-qualification criminelle pourrait bien succéder à la « correctionnalisation » tant honnie, permettant au ministère public de choisir arbitrairement ses juges...

Plus fondamentalement, les dispositions de cet article 8 marquent un net recul de la participation des citoyens à la justice criminelle : alors qu’ils sont aujourd’hui largement majoritaires pour juger tous les crimes qui leur sont soumis, ils seraient demain minoritaires pour juger la plupart d’entre eux…

L’objectif réel apparaît alors clairement : il s’agit de réaliser des économies en démantelant cette justice « de luxe » que représentent les procès d’assises aux yeux des technocrates de la Chancellerie. Peu importe que le « peuple » y perde, s’agissant pourtant d’infractions parmi les plus graves. Peu importe que le droit et la justice soient ainsi rendus un peu plus illisibles.

Peu importe aussi – malgré « l’affaire d’Outreau » pourtant si volontiers invoquée par les contempteurs de la magistrature – que l’une des garanties imaginées pour limiter le risque d’erreurs judiciaires soit au passage sacrifiée : aujourd’hui, la décision sur la culpabilité se forme à la majorité de huit voix au moins en matière criminelle (cf. article 359 du CPP) ; demain, pour 90% des crimes donc, trois votes suffiraient, puisque la décision serait prise « à la majorité » au sein de la « petite » cour d’assises (nouvel article 267-3 du CPP).

De même, s’agissant de la décision sur la peine, les accusés relevant de la nouvelle cour d’assises ne bénéficieraient plus du double système de majorité renforcée et d’entonnoir prévu par l’article 362 du Code de procédure pénale. Là encore, il suffirait de trois voix.

Ce texte consacre ainsi la démolition de la cour d’assises.

En guise de compensation, la Chancellerie offre de réduire les délais d’audiencement et de détention provisoire. Il est vrai que les procédures criminelles sont souvent trop longues, de même que les privations de liberté associées. Mais les remèdes sont ailleurs : augmentation du nombre d’experts et d’enquêteurs pour réduire la durée des instructions, instauration de délais butoirs de détention provisoire, renforcement des effectifs des cours d’assises...

Ultime observation : étrangement, le projet de loi ne revient pas sur la composition de la cour d’assises statuant en matière de criminalité organisée, dont les citoyens sont pourtant totalement absents (cf. article 698-6 du CPP). Décidément, l’amour du « peuple » a ses limites...


III. LES DISPOSITIONS RELATIVES A LA JUSTICE DES MINEURS

Faisant mine de retarder une réforme du code de la justice pénale des mineurs qui serait en cours d’écriture, le ministre de la justice utilise un projet de loi initialement consacré aux jurés populaires pour anéantir les principes fondamentaux de la justice des mineurs posés par l’ordonnance du 2 février 1945.
La création d’un tribunal correctionnel pour mineurs, l’instauration d’une procédure de jugement accélérée, le renforcement des mesures de sûreté et l’aggravation des peines apparaissent dès à présent comme des atteintes graves aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et rappelés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 mars 2011 (Loppsi 2).


a. Le tribunal correctionnel pour mineurs : une atteinte inconstitutionnelle au principe de la juridiction spécialisée

i. Une mesure illégitime

Le projet de loi instaure un tribunal correctionnel pour juger les mineurs « âgés de plus de seize ans, lorsqu’ils sont poursuivis pour un ou plusieurs délits commis en état de récidive légale et que la peine encourue est égale ou supérieure à trois ans ».

Dans l’exposé des motifs de ce texte figure cette phrase où la naïveté le dispute à l’ignorance : « La création d’un tribunal correctionnel pour mineurs (…) permettra de faire comprendre aux intéressés la nécessité de sortir de l’engrenage de la délinquance ». Non seulement cet énoncé dévalorise le travail pédagogique effectué par le tribunal et le juge des enfants, mais en outre, il laisse entendre que le passage devant une juridiction semblable à celle des majeurs, avec une sévérité présupposée, suffit à lui seul à modifier miraculeusement le parcours de ces adolescents, ce qui est évidemment une ineptie pour quiconque a un tant soit peu conscience de la complexité de ces situations de délinquance.


Cette disposition repose sur le postulat ressassé à l’infini que « les mineurs d’aujourd’hui ne seraient pas ceux d’hier », dans une société française où il est pourtant admis que le temps de l’adolescence s’est allongé et où nul ne s’étonne de voir des jeunes majeurs de 25 ans encore en situation de dépendance économique vis-à-vis de leurs parents.

Ce postulat est particulièrement étonnant au regard de l’équilibre des droits et des devoirs de chacun : les partisans de l’abaissement de la majorité pénale sont-ils prêts à accorder la majorité civile, le droit de vote et la possibilité de passer le permis de conduire à tous les jeunes de seize ans ?


ii. La fin de la juridiction spécialisée des mineurs

Plus grave encore, la création de ce tribunal correctionnel pour mineurs porte atteinte au principe fondamental d’une juridiction spécialisée pour les enfants et devient de fait une juridiction d’exception pour les adolescents de 16 à 18 ans.

Ce texte contrevient en ce sens à l’article 1er de l’ordonnance du 2 février 1945 : « Les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée de crime ou délit ne seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun et ne seront justiciables que des tribunaux pour enfants ou des cours d’assises des mineurs ».

La marginalisation du tribunal pour enfants sera également renforcée par le fait que ce sont déjà majoritairement des jeunes de 16 à 18 ans qui constituent les prévenus devant cette juridiction.

Quant à la composition de ce tribunal, elle ne garantit en rien la spécialisation de la justice des mineurs puisqu’un seul juge des enfants est appelé à y siéger aux côtés de deux magistrats non spécialisés. Pire, deux jurés citoyens pourront, dans le cadre des infractions visées à l’article 2 du projet de loi, composer cette juridiction, à l’instar du tribunal correctionnel pour majeurs, puisque le texte qui instaure les « jurés populaires » prévoit expressément l’application de ces dispositions pour le jugement des mineurs. De ce fait, alors que la spécialisation de la juridiction des mineurs est assurée au tribunal pour enfants par la présence de deux assesseurs choisis pour l’intérêt qu’ils portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences (cf art. L 251-4 du Code de l’organisation judiciaire), cette garantie disparaît purement et simplement : les assesseurs sont remplacés par des jurés dont il n’est absolument pas exigé un quelconque intérêt pour les problématiques spécifiques des mineurs.


Le principe de la spécialisation de la juridiction et des procédures pour les mineurs n’est pas seulement constitutionnel, mais découle du droit international, tel que l’article 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant qui définit le droit à un traitement qui tienne compte de l’âge de l’enfant et de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société. Les Règles minimales de Beijing sur le traitement des mineurs délinquants adoptées par les Nations Unies posent ainsi le principe dans leur article 5 que « le système de la justice pour mineurs recherche le bien-être du mineur et fait en sorte que les réactions vis-à-vis des délinquants juvéniles soient toujours proportionnées aux circonstances propres aux délinquants et aux délits ».

Dans un pays très proche de nous comme l’Allemagne, le droit pénal des mineurs est applicable aux jeunes de 18 à 21 ans et le juge pénal doit donc motiver expressément les raisons pour lesquelles il l’écarte. Que notre pays puisse envisager d’appliquer le droit pénal des majeurs à des enfants de moins de 18 ans est une insupportable régression.


iii. Des modalités de jugement alignées sur le régime des majeurs

Concernant les conditions de saisine de ce tribunal correctionnel, plusieurs possibilités sont envisagées : la saisine par une ordonnance de renvoi du juge des enfants ou du juge d’instruction ; la saisine par convocation par officier de police judiciaire (COPJ) et enfin, la saisine en vertu d’une procédure de présentation immédiate introduite par la loi du 5 mars 2007.

La présentation immédiate permet au procureur de la République de faire déférer un mineur afin de lui notifier qu’il sera jugé à une date comprise entre dix jours et un mois. Le mineur peut renoncer à ce délai pour être jugé à la première date de réunion du tribunal possible, même si celle-ci a lieu avant les dix jours. Après avoir procédé à ces formalités, le parquet fait comparaître le mineur mis en cause devant le juge des enfants afin qu’il soit statué sur ses réquisitions visant soit au placement sous contrôle judiciaire, soit au placement en détention provisoire jusqu’à l’audience de jugement.

Il ressort de ces dispositions que le mineur peut être incité à choisir d’être jugé le plus rapidement possible pour éviter une période de détention provisoire et ce, même si ce délai rapproché peut, au fond, lui être défavorable, notamment si les éléments portant sur la personnalité et l’environnement du prévenu sont peu étoffés.



L’utilisation de la procédure de présentation immédiate, combinée à l’instauration d’une juridiction correctionnelle d’exception, aboutit à un système qui, au final, va quasiment permettre des comparutions immédiates de mineurs devant un tribunal identique à celui qui juge les majeurs. Les audiences correctionnelles étant beaucoup plus fréquentes que celles des tribunaux pour enfants, il sera toujours possible de faire juger le mineur le lendemain ou le surlendemain. Si l’on ajoute à cela la possibilité pour ce tribunal de prononcer des peines planchers puisqu’il connaîtra des situations de jeunes récidivistes, on mesure à quel point la justice des mineurs devient, au mépris des principes républicains, une justice d’exception finalement plus répressive encore dans ses effets qu’à l’égard des délinquants majeurs.

L’introduction d’une nouvelle procédure de saisine de la juridiction de jugement par convocation délivrée sur instruction du procureur de la République par un officier de police judiciaire risque de produire les mêmes effets. Cette procédure (nouvel article 8-3 de l’ordonnance de 1945), qui existe pour les majeurs, consiste pour le parquet à faire convoquer en justice « soit un mineur âgé d’au moins 13 ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni de cinq ans d’emprisonnement, soit un mineur d’au moins seize ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni de trois ans d’emprisonnement ». Cette convocation est délivrée au mineur par un officier de police judiciaire dans les locaux du commissariat, soit directement après une période de garde à vue, soit après que ce dernier a été invité à se présenter en vue de la remise de cette convocation. Si le procureur choisit ce mode de saisine du tribunal, c’est dans le but de favoriser une comparution rapide du mineur puisque l’audience doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois.

Là encore, ce dispositif tend à calquer la procédure pénale applicable aux mineurs sur celle qui concerne les majeurs. Ajoutée à la procédure de présentation immédiate, elle confère de fait au parquet la maîtrise de l’audiencement devant les juridictions pour mineurs (tribunal pour enfants et tribunal correctionnel des mineurs). Ainsi, le juge des enfants perd toute prérogative lui permettant d’audiencer au tribunal pour enfant en fonction des priorités,alors que ce magistrat connaît mieux les dossiers des enfants qu’il suit, soit au pénal, soit en assistance éducative et de ce fait, ces choix s’effectuent aussi en opportunité et selon une certaine cohérence globale.

Enfin, le Syndicat de la magistrature rappelle que cette procédure de COPJ pour les mineurs figurait dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite LOPPSI 2) et a été censurée par le Conseil constitutionnel le 10 mars 2010 en ces termes : « Considérant que les dispositions contestées autorisent le procureur de la République à faire convoquer directement un mineur par un officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants : que ces dispositions sont applicables à tout mineur quels que soient son âge, l’état de son casier judiciaire et la gravité des infractions poursuivies ; qu’elles ne garantissent pas que le tribunal disposera d’informations récentes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral ; que, par suite, elles méconnaissent les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs ».

Le gouvernement qui a subi un camouflet sur plusieurs dispositions de cette loi tente de réintroduire sans vergogne dans le présent projet cette procédure visant à un jugement à délai rapproché. Le Syndicat de la magistrature estime que les conditions d’âge (treize et seize ans), d’existence d’un dossier de personnalité datant de moins d’un an et les quantum de peines encourues prévus par le texte ne constituent nullement des garanties suffisantes.

En effet, ces investigations sur la personnalité du mineur pourront avoir été accomplies « à l’occasion de la procédure en cours » et se résumer à un recueil de renseignements rassemblés à la hâte par un service éducatif disposant d’une heure ou deux avant la décision.
Par ailleurs, l’utilisation des circonstances aggravantes permet d’atteindre facilement le seuil de cinq ans, de sorte que cette condition est purement formelle.

L’automaticité du renvoi des mineurs récidivistes devant le tribunal correctionnel empêche évidemment toute modulation en fonction de la gravité des infractions et va aboutir à des aberrations, car la condition de récidive posée sera facilement remplie : le mineur déjà condamné pour vol à l’étalage devra passer devant le tribunal correctionnel pour un vol de friandises en récidive ou un recel de DVD.

Or, un adolescent qui traverse une phase difficile peut commettre plusieurs délits de faible gravité (exemples : dégradations de biens, vols simples, usage de cannabis…). Dans ces situations, la réponse judiciaire consistant à être jugé par cette juridiction d’exception est disproportionnée et inadaptée.

Cette impossibilité d’adaptation de la réponse pénale à chaque situation est totalement contraire à l’article 6 des Règles de Beijing : « eu égard aux besoins particuliers des mineurs et à la diversité des mesures possibles, un pouvoir discrétionnaire suffisant doit être prévu à tous les stades de la procédure et aux différents niveaux de l’administration de la justice des mineurs ».

En cas d’adoption de cette loi, nous estimons qu’un contrôle de constitutionnalité s’impose.


b. Des mesures et des peines : un cumul répressif et irrationnel

Le projet prévoit que la juridiction pour mineurs (tribunal pour enfants, cour d’assises des mineurs et tribunal correctionnel des mineurs) pourra désormais adjoindre une sanction éducative à une peine d’amende, de travail d’intérêt général ou d’emprisonnement avec sursis.

On ne comprend pas bien l’intérêt de cette disposition, alors qu’il est déjà possible de prononcer une mesure éducative en même temps qu’une peine. En outre, un grand nombre de sanctions éducatives telles que l’interdiction de paraître dans tel lieu ou de rencontrer telle personne peuvent être des obligations du sursis avec mise à l’épreuve. On observera surtout que ce cumul ne fait que renforcer les restrictions de droits prononcées en plus des peines à l’égard des mineurs.

Les décisions des juridictions pour mineurs risquent de devenir totalement illisibles et donc de perdre toute vertu pédagogique.

En toute hypothèse, il n’y a pas grand sens à ajouter sans cesse de nouvelles mesures à prononcer, alors que la difficulté majeure réside, dans certaines juridictions, dans les délais de prise en charge de ces mêmes mesures qui finissent par les rendre quasi-ineffectives.


c. La constitution d’un dossier unique de personnalité et les mesures d’investigations : des problèmes de principe

Si nous sommes évidemment favorables à l’idée d’un regroupement des informations concernant un mineur dans le but d’avoir le maximum d’éléments d’appréciation, la constitution d’un « dossier unique de personnalité » tel qu’il est envisagé par le projet pose un certain nombre de difficultés.

La constitution d’un dossier placé à la fois « sous le contrôle du procureur de la République et du juge des enfants » correspond à la tenue d’un double dossier et pose le problème de principe de savoir à quel titre « la partie poursuivante » devrait avoir le contrôle des éléments de personnalité relatifs à un mineur prévenu ; elle accroîtra encore le déséquilibre actuel entre le parquet et la défense.

Nous nous sommes déjà élevés contre une circulaire du ministère de la justice de juillet 2010 instituant « les trinômes judiciaires », réunion de concertation entre le procureur, le juge des enfants et les services de la PJJ à propos de certains mineurs, qui nous semble une atteinte flagrante aux principes d’indépendance du juge et aux droits de la défense.

Cette nouvelle disposition apparaît tout à fait contraire aux principes fondamentaux de la procédure pénale : seul le juge des enfants doit avoir le contrôle du dossier de personnalité.

Au demeurant, dans l’état actuel d’asphyxie des greffes et parquets, la tenue d’un « double dossier » dans des services parfois géographiquement distincts poserait des problèmes matériels incommensurables. De plus, les parquets n’ont pas de véritables services de greffe en mesure de suivre de tels dossiers.

L’adjonction des « investigations relatives à sa personnalité et à son environnement social et familial accomplies lors des procédures d’assistance éducative dont il a pu faire l’objet » et des « éléments de procédure d’assistance éducative postérieure » pose également des problèmes de principe au regard des règles protectrices du code de procédure civile en ce qui concerne les modalités de consultation des dossiers par les intéressés et la délivrance des copies : ainsi l’avocat qui sollicite une copie ne peut la transmettre à son client.

Il est rare qu’un rapport d’assistance éducative ne concerne que le mineur et ne contienne pas un certain nombre d’informations sur les autres membres de la famille qui n’ont pas à être divulguées dans n’importe quelles conditions. Par ailleurs, les dossiers d’assistance éducative sont parfois dépositaires d’informations particulièrement douloureuses sur des secrets de filiation, des abus sexuels antérieurs… Il est donc indispensable d’éviter des pratiques de transmissions systématiques et d’en rester à la situation actuelle qui consiste pour les juges des enfants à transmettre au cas par cas des rapports qui leur paraissent importants pour l’audience.

Nous nous inquiétons également de relever que cette notion de « dossier unique » surgit au moment où la Protection Judiciaire de la Jeunesse a décidé de remplacer les mesures pluridisciplinaires d’Investigation et d’Orientation Educative (IOE) par des « Mesures judiciaires d’investigation éducative » qui, dans le contexte de raréfaction des équipes, seront exercées dans des temps beaucoup plus courts et par un seul professionnel. L’accélération des délais de procédure et d’audiencement ne pourra qu’aboutir à une pression énorme sur les équipes de la PJJ pour « boucler » leur travail au plus tôt.

Il convient enfin de relever que la création d’un « dossier unique de personnalité » correspond à des tentatives menées sur le terrain depuis des années pour regrouper les informations qui se heurtent tout à la fois au manque de moyens des greffes et à l’accélération des procédures résultant de l’accroissement des déferrements.

Il nous semblerait plus pertinent de réfléchir aux propositions de l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille (AFMJF) sur la constitution d’un dossier pénal unique comportant une première phase de déclaration de culpabilité, la peine étant prononcée ultérieurement, et où viendraient s’adjoindre de nouvelles procédures le cas échéant considérées comme « incident au suivi ».


d. Des mesures de sûreté encore renforcées

Le projet de loi accroît la possibilité de placer sous contrôle judiciaire les mineurs de moins de seize ans en étendant cette modalité à des jeunes sans antécédents impliqués dans certaines procédures de violences.

Il s’agit là d’une forme de légalisation contestable de certaines pratiques qui ne l’étaient pas moins, puisque le rapport de 2010 de la défenseure des enfants constatait que 25 % des mineurs présents dans les centres éducatifs fermés (CEF) n’avaient aucun antécédent pénal et que 42 % n’avaient pas été condamnés plus de deux fois, majoritairement à des mesures éducatives.

Contrairement à ce qui avait été prévu au départ, les CEF ne sont pas utilisés majoritairement pour des mineurs multirécidivistes mais pour beaucoup de jeunes primo-délinquants, et ce en l’absence de toute autre solution : les budgets publics ont été principalement absorbés par le financement de ces structures coûteuses, les CEF et les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) et la PJJ a consécutivement fermé un grand nombre de places de foyers éducatifs.

Pourtant la mise sous contrôle judiciaire d’un mineur de moins de seize ans est une décision grave, puisqu’elle peut entraîner une mise en détention provisoire en cas de non-respect des obligations de cette mesure, alors que la loi ne prévoit pas de détention provisoire en matière correctionnelle pour les mineurs de moins de seize ans.

Etendre les possibilités de contrôle judiciaire risque donc fort d’aboutir à une augmentation des incarcérations.

La possibilité de placer désormais un mineur sous surveillance électronique à domicile dans le cadre d’un contrôle judiciaire est également inacceptable. En dehors des problèmes pratiques qu’elle ne manquera pas de poser dans des situations familiales déstructurées - ce qui est souvent le cas - elle nous paraît difficilement conciliable avec les particularités de l’adolescence. Les majeurs placés sous surveillance électronique font souvent part de leurs difficultés psychologiques à supporter cette contrainte. Pour la plupart de ces jeunes, il sera quasiment impossible de respecter le cadre de telles assignations à résidence et on aboutira très vite à une décision d’incarcération provisoire qui n’aurait peut-être pas été décidée aussi facilement le jour du déferrement.


e. Une nouvelle stigmatisation des parents

Alors même que le Conseil Constitutionnel vient d’annuler l’un des articles de la LOPPSI 2 permettant de sanctionner pénalement le parent d’un mineur n’ayant pas respecté une interdiction d’aller et de venir, en rappelant l’interdiction d’instituer une présomption irréfragable de culpabilité à raison d’une infraction commise par le mineur, le projet de loi, s’inspirant d’une logique comparable, instaure la possibilité de délivrer un ordre d’amener à l’encontre des parents qui ne comparaîtraient pas à l’audience de jugement de leur enfant.

Utiliser un mode d’action coercitif relevant de la procédure pénale à l’encontre de personnes à qui il n’est pas reproché d’infraction, au motif qu’ils sont civilement responsables de leur enfant, est profondément choquant.

Les raisons pour lesquelles les parents ne comparaissent pas sont multiples et complexes, découlant parfois de la honte d’avoir un enfant délinquant. La supposée démission des parents n’épuise donc pas toutes les explications de ces absences à l’audience. En tout état de cause, ce problème appelle d’autres réponses que l’envoi de la force publique. Dans des familles en grande difficulté où les parents ne parviennent pas à exercer l’autorité parentale, le spectacle du père ou de la mère amené par les policiers ou gendarmes ne fera que les discréditer encore plus aux yeux du mineur.

Une fois de plus le gouvernement choisit un traitement pénal des difficultés familiales alors que les professionnels de l’enfance savent toute l’importance du travail de collaboration et de restauration de la place des parents dans le parcours des mineurs les plus déstructurés.


Ci-joint :

- les observations du SM mises en forme

- le projet de loi

- l'étude d'impact du gouvernement