Déposé à l'Assemblée nationale le 23 novembre 2011, ce texte s'annonce comme le dernier de la législature en matière pénale – du moins peut-on le souhaiter. Présenté en conseil des ministres quelques jours après le drame ultra-médiatisé dit « du Chambon-sur-Lignon » et mis explicitement en relation avec ce dernier, il fait l'objet d'une « procédure accélérée ».

Premier constat : une nouvelle fois, le gouvernement demande au Parlement de légiférer dans l'urgence et dans un contexte propice à la surenchère répressive. La recette est éprouvée ; elle n'en demeure pas moins indigne.

Autre constante consternante : l'absence de concertation entreprise au stade de l'élaboration de ce texte. Ainsi, à aucun moment le Syndicat de la magistrature n'a été consulté par la Chancellerie sur ses orientations et dispositions, pourtant présentées comme cruciales pour notre justice et qui, de fait, visent notamment à fixer « les objectifs de l'action de l'Etat » en matière d'exécution des peines, de prévention de la récidive et de prise en charge des mineurs délinquants « pour les années 2013 à 2017 ».

Cette manière de passer en force, à l'égard tant des professionnels concernés que des assemblées parlementaires – sommées d'enregistrer précipitamment les annonces du pouvoir exécutif et singulièrement de son chef en campagne –, est le signe d'un affaissement démocratique.

L'exposé des motifs du projet de loi en porte la trace, s'agissant pour l'essentiel – au-delà de quelques poncifs sur l'efficacité de la « chaîne pénale » ou les vertus d'une sanction « certaine et rapide » – d'un pathétique exercice d'auto-satisfaction.

Ainsi le gouvernement ne craint-il pas d'affirmer – en dépit de l'échec patent et largement documenté de sa politique de sécurité – que « depuis plusieurs années, des efforts considérables ont été consentis pour assurer aux Français une protection efficace contre la délinquance », comme en témoignerait son œuvre réformatrice et notamment, dans le champ de la prévention de la récidive, les lois du 10 août 2007, du 25 février 2008 et du 10 mars 2010, dont RIEN ne permet pourtant d'affirmer qu'elles aient eu le moindre effet sur le niveau de la délinquance en général et sur celui de la récidive en particulier.

De même se félicite-t-il d'avoir mis en œuvre depuis le début de l'année 2011 – en réalité, après l'affaire dite « de Pornic »... – un « plan national de réduction des délais d'exécution des peines », dont le seul effet tangible est d'avoir conduit à l'explosion de la (sur)population carcérale.

Comment ne pas rappeler, à cet égard, la duplicité dont le garde des Sceaux a fait preuve cet été, en invitant les parquets à différer la mise à exécution de certaines peines d'emprisonnement afin de ne pas aggraver une situation pénitentiaire devenue intenable avant, quelques jours plus tard, de désavouer publiquement le procureur de Dunkerque qui s'était – sans doute un peu trop ouvertement – conformé à ses instructions ?

On touche ici au coeur du présent projet de loi : plutôt que d'amorcer une sortie de cette impasse qu’est le tout-carcéral, le gouvernement invite le Parlement à s'y fourvoyer durablement. Car, s'il fallait bien y traiter à nouveau de « la récidive » et de « la délinquance des mineurs », thèmes porteurs s'il en est, ce texte vise principalement à traduire dans la loi en le justifiant « techniquement » le discours électoraliste prononcé le 13 septembre dernier par le chef de l'Etat/candidat au centre pénitentiaire de Réau : construire, encore et toujours, des prisons, pour enfermer toujours plus de personnes, quel qu’en soit le coût pour la société et quand bien même cela ne ferait aucunement reculer « l’insécurité », tel est son objet principal.

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En la forme, ce projet de loi compte neuf articles, le premier validant un rapport annexé qui définit et précise ses « objectifs ». Pour une meilleure appréhension des logiques qui sous-tendent cette « programmation », la structure des présentes observations est calquée sur celle dudit rapport.


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I. « Garantir la célérité et l’effectivité de l’exécution des peines prononcées, notamment des peines d’emprisonnement ferme »

1) « Accroître et diversifier le parc carcéral pour assurer une exécution effective des peines »

Le gouvernement l’affirme : « le nombre de personnes écrouées détenues s’élèvera à 80 000 à horizon 2017 ». Il s’agit, explique-t-il tranquillement, du « scénario le plus probable », au regard notamment de la croissance des peines d’emprisonnement constatée entre 2003 et 2011 (2 % par an). Par conséquent, il convient de « porter la capacité du parc carcéral à 80 000 places à cette échéance » et ainsi de créer 30 000 places de prison (page 12). CQFD.

Ce « raisonnement » mécaniste ne saurait surprendre : le gouvernement se satisfait par principe de l’augmentation du nombre de peines d’emprisonnement et souhaite qu’elle se prolonge, coûte que coûte. Qu’importe, au fond, l’évolution de la délinquance et l’appréciation des juges : la France doit atteindre son quota de détenus – dont on sait déjà qu’il a vocation à être sans cesse revu à la hausse, car nul n’ignore qu’il n’existe pas, dans une société donnée, de taux « naturel » d’incarcération au-delà duquel les tensions inflationnistes n’existeraient plus.

Le Syndicat de la magistrature s’oppose fermement à cette conception de la justice pénale dont l’horizon obligatoire serait l’incarcération de masse. L’emprisonnement d’un nombre croissant de personnes n’a rien d’une fatalité. Il peut d’ailleurs sembler surprenant de voir les tenants d’un certain « volontarisme » anticiper ainsi l’échec de leur politique de lutte contre la délinquance... Il s’agit en réalité d’un choix de société, dangereux pour la société. Paradoxalement, le gouvernement évoque lui-même à deux reprises (cf. pages 13 et 17) « le risque de désocialisation et de récidive » induit par l’incarcération ! Plutôt que d’envisager une décroissance carcérale, qui passerait notamment par l’instauration d’un véritable numerus clausus pénitentiaire, il choisit donc la fuite en avant, au risque d’aggraver ce qu’il prétend combattre (1).

A cet égard, la diversification envisagée du « parc carcéral » apparaît davantage comme une mesure d’accompagnement gestionnaire de cette inflation programmée que comme la traduction d’une nouvelle conception de la privation de liberté. Le gouvernement souhaite ainsi créer des établissements « spécialement conçus pour accueillir des personnes condamnées à de courtes peines », certes moins sécuritaires mais surtout moins chers, car la société carcérale a un prix, même si le gouvernement s’abstient prudemment de chiffrer globalement le coût de ce projet (sans doute plus de 3 milliards d’euros)... Pour le dire avec les mots du pouvoir, « le maintien d’un parc uniforme est sous-optimal sur le plan économique » (page 13).

Le Syndicat de la magistrature pense quant à lui qu’il est urgent de repenser profondément les conditions de détention de l’ensemble des personnes privées de liberté, afin que la mission de « garde » de l’administration pénitentiaire ne prévale plus comme aujourd’hui sur celle de « réinsertion ». Dans cette perspective, de nouveaux établissements devraient donc être conçus, où la sécurité passerait effectivement au second plan et dont – les expériences menées en Suède ou en Espagne le démontrent – on ne chercherait pas à s’évader, mais qui remplaceraient ceux qui existent aujourd’hui dans une logique déflationniste. Toutes les « règles pénitentiaires européennes » (RPE) y seraient respectées et les droits à la santé, à l’expression collective, à l’exercice de la citoyenneté, au maintien des liens familiaux, à la sexualité, à la formation professionnelle, entre autres, y seraient effectifs, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui. L’objectif de réinsertion vaut pour tous les détenus, et non seulement pour ceux qui ont été condamnés à de courtes peines comme le voudrait le gouvernement, qui manie à l’envi la notion aussi floue qu’essentialiste de « dangerosité » (page 13) pour tenter de justifier l’étroitesse de son approche essentiellement économique.

Pour preuve de la logique gestionnaire qui est à l’oeuvre, le gouvernement souhaite que la capacité moyenne des établissements intégrés dans le « nouveau programme immobilier (NPI) » – annoncé par le garde des Sceaux en mai 2011 – passe de 532 à 650 places (page 14), faisant fi de toutes les observations sur les effets pervers du gigantisme en matière pénitentiaire. Ces établissements pourront atteindre jusqu’à 850 places, et même au-delà en région parisienne (pages 14 et 15), alors que le seuil critique est généralement évalué à 500 places. Le Syndicat de la magistrature s’oppose frontalement à la construction de ces grandes entités déshumanisées, véritables machines à produire de la désocialisation... et de la récidive. De même est-il hostile à la réduction du taux d’encadrement dans les établissements pour courtes peines (page 16) : alléger la sécurité ne saurait conduire à raréfier la présence humaine dans des prisons déjà largement coupées du monde.

Le gouvernement, on l’aura compris, ne se préoccupe que de flux et de stocks. Et pour stocker vite, il n’hésite pas à recourir à des procédures dérogatoires : celle dite de « dialogue compétitif » pour la conception-réalisation des établissements (article 2) et celle de l’expropriation accélérée préve par l’article L. 15-9 du Code de l’expropriation (article 3). L’Etat sait donc se donner les moyens de trouver des « logements »...

Evidemment, une part importante de ces nouvelles structures fera l’objet de « partenariats public-privé », qui incluront « l’exploitation » et la « maintenance » (article 2). Il faudra, un jour, examiner de près ces cadeaux au secteur privé dont l’administration a désormais le secret... Souhaitons, en tout cas, que ces établissements « PPP » ne connaissent pas les mêmes difficultés que certains de leurs prédécesseurs, tel le centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan construit par le groupe Bouygues pour 64 millions d’euros et dont le système électrique s’est révélé gravement défectueux peu après son ouverture en 2008...

En bref, le Syndicat de la magistrature est totalement opposé à ce vaste programme de construction de places de prison qui va peser très lourdement sur les finances publiques, et en particulier sur celles (pourtant objectivement très faibles) du ministère de la justice, pour un coût social plus élevé encore. Il appelle de ses voeux une politique visant à développer fortement les aménagements de peine et à réformer radicalement le système pénitentiaire dans l’intérêt de la société.

En revanche, il approuve la création de quatre centres de semi-liberté supplémentaires dans le cadre du programme dit « 13 200 », même s’il conviendrait d’en créer davantage.

2) « Garantir une mise à exécution plus rapide des peines »

Le projet de loi acte – et se contente d’acter – la nécessité de créer 209 emplois dans les services d’exécution et d’application des peines, 120 emplois de magistrats et 89 emplois de greffiers (page 19). Encore faudra-t-il qu’il s’agisse de créations nettes, et non de redéploiements – comme de coutume – qui affecteraient nécessairement d’autres services considérés par le gouvernement comme moins « prioritaires » . Rappelons par ailleurs que des centaines d’emplois de magistrats et de fonctionnaires ont été supprimées ces dernières années en application de la « RGPP » et que les « normes » de charge de travail retenues par l’un des « groupes de travail » créés par le garde des Sceaux après l’affaire dite « de Pornic » sont légitimement contestées par de nombreux juges de l’application des peines (un seul exemple : un dossier JAP = un dossier TAP selon ces normes, ce qui ne correspond absolument pas à la réalité).

Surtout, le projet ne prévoit aucunement d’augmenter les effectifs fixes des services d’insertion et de probation (SPIP), qui sont pourtant en première ligne pour veiller au respect des mesures de mise à l’épreuve, de suivi socio-judiciaire et de surveillance judiciaire. Le Syndicat de la magistrature s’associe aux syndicats des personnels pénitentiaires pour demander un renforcement substantiel et pérenne de ces services.

Le texte prévoit par ailleurs d’appliquer la « méthologie Lean » aux services de l’exécution et de l’application des peines dans une logique de recherche d’efficacité (page 19). Le programme « Lean services judiciaires » initié en 2010 dans trois cours d’appel pilotes (Poitiers, Rouen et Montpellier) s’est pourtant révélé totalement inadapté à la spécificité du travail juridictionnel, comme le Syndicat de la magistrature l’a indiqué au garde des Sceaux par courrier du 3 novembre 2011. Une nouvelle fois, la Chancellerie prétend donc faire du neuf avec du (déjà) vieux, de l’efficace avec de l’effarant. Les mauvaises recettes ont la vie dure...

Le projet prévoit enfin de généraliser les bureaux d’exécution des peines (BEX) et d’aide aux victimes (BAV) dans les juridictions. Une telle généralisation est évidemment souhaitable, mais elle doit, pour être effective, s’accompagner de créations de postes. Or, à ce sujet, le texte reste opportunément évasif. S’agissant des BEX, le gouvernement se contente d’indiquer que « les besoins des juridictions sont évalués à 207 emplois de greffiers et d’agents de catégories C » sans évoquer de créations, ni a fortiori de créations nettes (page 20). S’agissant des BAV, les besoins en effectifs ne sont même pas précisés (page 21). Ici encore, des logiques de redéploiement sont à craindre, au détriment d’autres services et notamment, en ce qui concerne les BEX, des circuits « longs » qui risquent d’être encore plus longs...


II. « Renforcer les capacités de prévention de la récidive »

1) « Mieux évaluer le profil des personnes condamnées »

* « Généraliser le diagnostic à visée criminologique et le suivi différencié du SPIP »

L'évaluation de la « dangerosité » est devenue l’orientation majeure des lois votées ces dernières années en matière d’exécution des peines. En réalité, il faudrait substituer à ce concept de « dangerosité », contesté par les psychiatres et dont les contours doivent nécessairement être précisés, celui de « risque de récidive ».

A titre liminaire, le Syndicat de la magistrature rappelle qu'aucune évaluation, qu'elle soit clinique, « criminologique », statistique, ne permettra jamais de prévoir avec certitude le devenir d'une personne et sa propension au passage à l'acte délictueux. Il est de la responsabilité politique de ne pas entretenir auprès de nos concitoyens l'illusion d'une science prédictive en la matière.

Ceci étant, l'identification des facteurs de risque devrait permettre d'adapter au cas par cas le suivi des personnes condamnées. A ce titre, le Syndicat de la magistrature est favorable à l'évaluation du risque de récidive qui doit se faire dans le cadre d'approches pluridisciplinaires et de réflexions collectives entre les professionnels.

Pour autant, la manière dont a été conçu l'outil principal d'évaluation des profils des personnes condamnées, à savoir le « diagnostic à visée criminologique » (DAVC) nous semble critiquable. Le DAVC risque en conséquence de n'être qu'un « gadget » d'affichage aboutissant dans les faits à des suivis standardisés et inadaptés aux problématiques des personnes condamnées.

Le DAVC a été élaboré par la Direction de l'administration pénitentiaire et expérimenté dans quelques services. Il est écrit à la page 23 que ce dispositif d'évaluation a été « expérimenté avec succès dans trois sites ». Or, le SNEPAP-FSU déplore que cet outil n’ait fait l’objet d’aucune évaluation opérationnelle tandis qu’à plusieurs reprises, la CGT-pénitentiaire a fait valoir que l'administration s'était bien gardée de rendre publics les conclusions et les comptes rendus des réunions du comité de suivi du DAVC. Alors que la généralisation de cet outil est envisagée, il nous semble que le Parlement devrait pouvoir a minima être informé de manière complète des résultats de son expérimentation dans les trois sites pilotes.

S'ajoute à cela le problème de l'intégration du DAVC dans l'application informatique « APPI » utilisée par les juges de l’application des peines et les services pénitentiaires. Cette application n'a fait l'objet d'aucun visa de la CNIL, d'aucune présentation au Conseil d'Etat et n'est pas mentionnée dans le Code de procédure pénale. Le ministère de la justice a donc été contraint, plusieurs années après la mise en ligne de ce programme, de consulter les instances compétentes pour valider « APPI » et devrait en outre prendre les dispositions réglementaires qui s’imposent.

Surtout, le contenu même du DAVC pose problème. Alors qu'il est présenté comme un outil d'évaluation criminologique, la lecture des items retenus n'a que peu de rapport avec son objet. Les inspections générales des finances et des services judiciaires ont d’ailleurs souligné dans un récent rapport que la grille d’évaluation du DAVC était « excessivement complexe et prescriptive ».

En réalité, le DAVC se présente comme un outil lourd et peu exploitable. Ainsi, la simple saisie des éléments prend a minima trois quart d'heures. Le risque est grand que les entretiens de prise en charge des personnes condamnées, en milieu fermé comme en milieu ouvert, par les personnels des SPIP ne se réduisent au recueil de ces éléments codifiés, d'autant que la pression hiérarchique sera forte, au nom de l'uniformisation des pratiques, pour que les agents se consacrent prioritairement à cette tâche. Il est d'ailleurs question de leur imposer un délai pour réaliser ce diagnostic, ce qui est inacceptable. Lorsque l'on sait l'état de pénurie des services d'insertion et de probation – cruellement mis en lumière par l'affaire de Pornic et déjà souligné par un rapport de la Cour des comptes en juillet 2010 –, on mesure les difficultés considérables auxquelles vont être confrontés les personnels pour répondre à cette nouvelle exigence. Ce travail se fera au détriment d'autres types d'entretiens plus personnalisés, de réunions de synthèse entre collègues, de visites à domicile ou d'activités de partenariat.

Par ailleurs, les agents des SPIP redoutent un appauvrissement de leurs pratiques professionnelles au travers de cet outil pour lequel aucune formation ne leur a été dispensée. Si certains items permettent de faire des développements écrits et donc de nuancer le diagnostic, en revanche les conclusions sont systématiquement conçues pour recevoir une réponse réductrice consistant à choisir entre trois possibilités (« acquis », « non acquis », « en voie d'acquisition »). Compte tenu de l'importance que cet outil a vocation à prendre et des champs couverts par les items (situation pénale, familiale, sociale, professionnelle, financière, évaluation de la capacité au changement...), il est à craindre qu'à terme, ce DAVC ne finisse par se substituer aux rapports écrits que les travailleurs sociaux transmettent aux juges de l'application des peines pour leur rendre compte du déroulement du suivi et de l'évolution de la personne.

En définitive, il apparaît que le DAVC poursuit un autre objectif que celui de l'évaluation proprement dite du risque de récidive dans la mesure où il est lié à l'objectif dit de « segmentation » des suivis. Ainsi, le DAVC doit permettre d'orienter la personne vers un type de suivi et donc aboutir à la prescription d'une prise en charge pré-définie dans ses modalités et son contenu, non pas en fonction des besoins identifiés au cas par cas, mais en fonction des ressources de chaque service.

Le Syndicat de la magistrature estime en conséquence qu'en l'état actuel, l'outil d'évaluation du risque de récidive doit être profondément repensé tant dans la méthodologie déployée, dans son contenu que dans sa finalité.


* « Créer trois nouveaux centres nationaux d'évaluation »

Le travail d'évaluation du risque de récidive s'avère particulièrement important pour les personnes condamnées à de lourdes peines d'emprisonnement. Actuellement, seul le centre national d'orientation de Fresnes est dédié à cette mission. Aussi, la création de trois nouveaux centres nationaux d'évaluation permettra de mieux répondre aux besoins. Cinquante emplois sont programmés au titre de cette mission : il conviendrait néanmoins d'en préciser la nature (personnels pénitentiaires, psychiatres ou psychologues ?).

* « Renforcer la pluridisciplinarité des expertises »

Jusqu'à présent, les dispositions relatives à la libération conditionnelle des personnes condamnées à dix ans au moins pour crime aggravé ou commis sur un mineur mentionnaient la nécessité d'une expertise médicale réalisée par deux experts. Cela excluait de fait la possibilité de recourir à l'expertise d'un psychologue. L'article 6 du présent projet de loi propose d'élargir les possibilités de choix par le juge de l'application des peines de la spécialité de l'expert. Dans certains cas, il peut en effet s'avérer utile de faire appel à un psychologue pour évaluer par exemple les capacités cognitives du sujet ou certains aspects de sa personnalité.

* « Augmenter le nombre d'experts psychiatres judiciaires »

Le Syndicat de la magistrature ne peut qu'approuver cet objectif. En effet, ces dernières années, le législateur n'a cessé de multiplier les hypothèses dans lesquelles une expertise psychiatrique est rendue obligatoire. Dans le même temps, le nombre de médecins psychiatres inscrits sur les listes d'experts s'est révélé nettement insuffisant et la faible rémunération de cette mission conjuguée aux délais très longs de paiement des frais de justice a découragé nombre d'entre eux.

La première solution envisagée par le texte présente un intérêt certain mais reste très limitée dans ses effets. Seuls les médecins du secteur libéral sont concernés par le versement d'une indemnité de 300 euros en supplément du tarif de l'expertise. Or, il faudrait parallèlement revaloriser ce tarif au bénéfice de l'ensemble des médecins et notamment des psychiatres hospitaliers dont les compétences et l'expérience particulières sont indispensables à l'institution judiciaire.

Quant à la mise en place d'un système de bourses en faveur des internes en psychiatrie en échange de leur engagement, d'une part, à prendre en charge des obligations de soins judiciaires et, d'autre part, à s'inscrire sur les listes d'experts et de médecins coordonnateurs, elle apparaît également comme une initiative intéressante pour combler le déficit actuel. Toutefois, si ce projet apporte une réponse en terme de recrutement, il ne règle pas la question de la « fidélisation » de ces nouveaux médecins experts qui pourront quitter ces fonctions au bout de deux années. Un important « turn over » risque de se produire du fait de la faible rémunération de ces missions. Ce phénomène serait préjudiciable à la professionnalisation de ces jeunes médecins à l'égard de publics spécifiques et pourrait créer des ruptures dans le suivi des obligations de soins ou des suivis socio-judiciaires dont les durées sont parfois très longues. En revanche, l'idée du « tutorat » exercé par les anciens experts à l'égard des débutants en vue de leur formation semble pertinente.

2) « Renforcer le suivi des condamnés présentant un risque de récidive, notamment des délinquants sexuels »

Les dispositions relatives aux programmes de prévention de la récidive n'appellent pas d'observations particulières.

Quant à la création d'un établissement spécialisé dans la prise en charge des détenus souffrant de troubles graves de la personnalité, il est nécessaire d'en clarifier la nature : s'il s'agit de détenus ayant besoin de soins psychiatriques que les établissements pénitentiaires « classiques » ne peuvent pas offrir, il est peut-être préférable d'envisager une orientation vers un Service médico-psychiatrique régional (SMPR), une Unité pour malades difficiles (UMD) et, par conséquent, de renforcer les capacités d'accueil de ces structures.

* « S'assurer de l'effectivité des soins »

L'article 5 du projet de loi prévoit que le médecin traitant du condamné incarcéré devra délivrer directement au juge de l'application des peines des attestations relatives au suivi effectif du traitement prescrit dans le cadre des obligations de soins ou au contraire à l'arrêt de ce traitement.

Le Syndicat de la magistrature rappelle qu'une relation thérapeutique entre un patient, fût-il condamné pour une infraction pénale, et son médecin suppose une confiance mutuelle qui passe par le respect du secret médical. L'efficacité des soins dépend aussi de cette règle fondamentale.

C'est la raison pour laquelle la loi du 17 juin 1998 avait conçu un dispositif particulier organisé autour du médecin coordonnateur, intermédiaire entre le médecin traitant et le juge. Ce médecin doit être le garant du respect du secret professionnel.

Or, le projet de loi s'écarte définitivement de ce schéma en instaurant une relation directe entre le juge et le médecin traitant qui intervient en prison. Il place le médecin dans une position intenable, entre le soignant et le « contrôleur judiciaire » qui rend des comptes directement à l'autorité judiciaire. Il n'est ici plus question de l'interface du médecin coordonnateur qui avait déjà été mise à mal par la loi du 10 mars 2010 sur la récidive criminelle, loi qui avait posé les premiers jalons de cette dérive inacceptable qui fait du respect du secret médical une pure fiction.

Cette information donnée par le médecin traitant – lequel s'impose de fait au détenu qui ne dispose pas de la liberté de choix du praticien, un seul médecin intervenant en général en prison – conditionnera l'octroi ou le retrait par le juge de l'application des peines du crédit de réduction de peines, des réductions supplémentaires de peine et d'une éventuelle libération conditionnelle.

Le Syndicat de la magistrature estime que cette disposition scandaleuse instaure une disproportion manifeste entre l'objectif de prévention de la récidive et les droits des patients au respect du secret médical. Il réclame le retrait pur et simple de cet article.

Quant aux mesures destinées à recruter des médecins coordonnateurs et à augmenter le montant des indemnités forfaitaires qui leur sont versées, elles ne peuvent que recevoir l'approbation tant il est vrai que leurs missions se sont considérablement développées et ce, toutes ces dernières années, à moyens constants. L’arrivée de nouveaux médecins coordonnateurs devrait permettre de faire baisser le nombre de dossiers pris en charge par chacun et assurer ainsi une meilleure qualité des suivis.

3) « Renforcer et réorganiser les services d'insertion et de probation pour assurer un meilleur suivi des personnes placées sous main de justice »

* « Mettre en place des équipes mobiles »

La question de la pénurie d'effectifs dans les SPIP a déjà été abordée dans nos observations (cf. supra). Il est pour le moins curieux qu'après avoir nié ce problème pendant des mois après l'affaire « de Pornic », le ministère de la justice reconnaisse aujourd'hui, à travers ce projet de loi, une augmentation substantielle de l'activité des SPIP. Plutôt que d'entreprendre des recrutements d'agents titulaires qui sont indispensables – surtout si l'on suit le scénario imaginé par la Chancellerie d'une augmentation continue du nombre de personnes placées sous main de justice, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé –, le gouvernement fait une nouvelle fois le choix de la mutualisation de la pénurie. Ainsi, des « équipes mobiles » de conseillers d’insertion et de probation (CIP) devront ponctuellement venir renforcer les services surchargés. Ce dispositif signe la consécration dans le service public de la justice du principe de « flexibilité » de la main d'oeuvre, cher aux tenants du néo-libéralisme. En l'état, le projet est bien évidemment taisant sur les conditions de travail de ces « agents mobiles » ou encore l'indemnisation de leurs frais de déplacements...

* « Recentrer les conseillers d'insertion et de probation sur le suivi des personnes condamnées »

L'autre solution imaginée par la Chancellerie pour « économiser » des postes de CIP consiste à externaliser certaines missions. Ainsi, le projet de loi entend confier prioritairement les enquêtes pré-sentencielles ordonnées par le juge d'instruction au « secteur associatif habilité », le SPIP n'intervenant qu'à titre subsidiaire, en l'absence d'un tel secteur. Cette disposition est aberrante : non seulement, elle revient une nouvelle fois à abandonner une mission qui relève directement du service public, mais surtout, elle risque d'aboutir de fait à la disparition de ces « enquêtes sociales » compte tenu des crédits contraints affectés au paiement des frais de justice censés rémunérer ces acteurs privés. Ces enquêtes sont pourtant primordiales puisqu'elles permettent d'envisager les alternatives à une détention provisoire en donnant au juge une vision globale de la situation familiale et professionnelle de la personne mise en examen.

L’article 4 du projet de loi appelle des observations particulières concernant le sort réservé aux éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). En effet, le texte prévoit de modifier les articles 41 et 81 du Code de procédure pénale en supprimant toute référence aux services de la PJJ. Certes, l’ordonnance de 1945 contient des dispositions particulières pour des enquêtes pré-sentencielles concernant des mineurs. Pour autant, il ne faudrait pas que cette rédaction nouvelle implique un glissement dans les faits vers la réalisation des enquêtes pré-sentencielles quasi-exclusivement par le secteur associatif ou, à défaut, le SPIP. A titre d’exemple, au TGI de Paris, les enquêtes sociales concernant les mineurs sont déjà effectuées par une association.


III. « Améliorer la prise en charge des mineurs délinquants »

1) « Réduire les délais de prise en charge par les services de la protection judiciaire de la jeunesse des mesures éducatives prononcées par le juge »

L'article 9 du projet de loi impose une prise en charge par le service éducatif dans un délai de cinq jours à compter de la date de jugement.

Cette disposition traduit un véritable renversement du problème : au lieu de donner à la PJJ les moyens d'assurer une prise en charge rapide et efficace des mesures décidées par le juge, on légifère sur les délais impératifs qui sont imposés aux services.

Certes, le texte envisage « un renforcement ciblé des effectifs dans 29 départements retenus comme prioritaires ». Outre le caractère très imprécis et partiel de cet engagement, il faut rappeler que la PJJ a payé un lourd tribut à la Révision générale des politiques publiques depuis cinq ans. Depuis 2008, 632 emplois ont été supprimés, soit 7% des postes de la PJJ et le budget a été diminué de 6% les quatre dernières années.

La fixation d'un délai de cinq jours risque de n'être en définitive qu'une mesure d'affichage qui n'emportera pas nécessairement l'amorce d'un travail de fond avec le mineur. En effet, il suffira aux chefs de service de convoquer le mineur et ses parents dans le délai imparti pour leur signifier la teneur de la décision du juge et respecter ainsi l'objectif défini par la loi. Cela n'implique pas que le dossier du mineur sera affecté rapidement à un éducateur et que le suivi proprement dit débutera dans un délai proche du jugement.

{2) « Accroître la capacité d'accueil dans les centres éducatifs fermés »
}
Les motifs invoqués par le gouvernement pour justifier la création de nouveaux CEF reposent sur des présupposés qui ne font l'objet d'aucune démonstration : « Depuis leur création, les CEF ont montré qu'ils étaient des outils efficaces contre la réitération et qu'ils offraient une réponse pertinente aux mineurs les plus ancrés dans la délinquance ou qui commettent les actes les plus graves ». Le Syndicat de la magistrature ne saurait se contenter d'une affirmation aussi péremptoire. Dresser un bilan du fonctionnement des CEF nécessite de réaliser des études sérieuses confiées à des instances indépendantes.

Le Syndicat de la magistrature rappelle à cet égard l'avis que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a émis le 1er décembre 2010 à la suite de la visite de quatre CEF. Cet avis publié au Journal officiel offre un condensé des problématiques de fonctionnement des CEF : éducateurs insuffisamment formés affectés dans ces structures, absence de projets de service, « recours abusif, voire usuel, aux moyens de contrainte physique (...) parfois érigée au rang de pratique éducative », carences dans la prise en charge sanitaire notamment psychiatrique et psychologique du fait d'une mauvaise articulation avec le système de soins extérieur à la structure. Cet avis n'est pas exhaustif sur la question du bilan des CEF, mais il a le mérite de mettre en lumière des insuffisances graves qui compromettent la qualité de la prise en charge des mineurs qui y sont placés.

Plus largement, la création de CEF ne saurait épuiser la question de la prise en charge des mineurs délinquants. Or, depuis quelques années, cette structure est l'unique réponse brandie par le gouvernement dans le débat public sur la délinquance juvénile, laquelle fait d'ailleurs l'objet d'une instrumentalisation politique éhontée. Pourtant, tous les professionnels s'accordent à dire qu'il est indispensable de disposer de structures diversifiées qui permettent d'adapter la réponse judiciaire à la situation personnelle du mineur. Or, entre fin 2009 et fin 2011, plus de 130 unités éducatives de la PJJ ont fermé (foyers, unités d'accueil de jour...) et tous les moyens ont été concentrés sur les CEF. Cette tendance risque de s'accentuer puisque le projet de loi programme la création de 25 CEF, 20 d'entre eux étant d'ailleurs créés par transformations de foyers d'hébergement existants afin de réaliser des économies en terme d'investissement.

{3) « Développer un suivi pédopsychiatrique dans les CEF »
}
Nous l'avons rappelé en citant les recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, les carences dans la prise en charge en CEF des problématiques sanitaires des mineurs nécessitent largement de renforcer l'articulation entre ces centres et les dispositifs psychiatriques de proximité. Plus généralement, les professionnels de l'enfance et de l'adolescence déplorent que le secteur public de la pédopsychiatrie ait été depuis si longtemps oublié des politiques publiques de santé. Faute de moyens et d'une politique ambitieuse en la matière, ce secteur est aujourd'hui largement dévasté et dans l'incapacité de répondre aux besoins dans un pays où le mal être des adolescents est important (cf. Rapport de la Défenseure des enfants en 2007 intitulé « Adolescents en souffrance, plaidoyer pour une véritable prise en charge »).


(1) Lire à cet égard l’étude menée pour la Direction de l’administration pénitentiaire par les chercheurs Annie Kensey et Abdelmalik Benaouda , « Les risques de récidive des sortants de prison. Une nouvelle évaluation », Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques, mai 2011, n°36.