Tribune contre la proposition de loi Attal sur la justice des mineurs
Publiée dans le journal Le Monde du 7 février 2025
Publié le Feb. 7, 2025
Une nouvelle fois, à l’occasion d’un crime effroyable dans lequel sont impliqués des mineurs – un adolescent de 14 ans, Elias B., a été tué pour son téléphone portable, le 24 janvier –, les responsables publics répondent à la légitime émotion populaire en exposant leurs solutions pour prévenir un tel drame. La litanie des appels au retour de l’autorité se fait entendre tandis que la justice des mineurs est qualifiée de « fiasco » par un ministre de l’intérieur toujours très critique à son égard.
Le gouvernement mobilise l’imaginaire désirable d’une société sans crime et promet d’éradiquer la délinquance juvénile par une réforme législative consistant à accélérer le jugement des délits (comparution immédiate pour les mineurs) et inciter les juges à prononcer des peines plus sévères (suppression de l’« excuse de minorité » dans certains cas).
Ces solutions se fondent sur deux postulats sur lesquels il faut s’interroger si l’on veut trouver d’autres voies que celle d’une énième réforme qui risque de rester aussi inefficace que les précédentes.
Le premier affirme que les mineurs d’antan ne sont pas ceux d’aujourd’hui, rendant la loi désormais inadaptée à la gravité de leurs comportements. Toutefois, la longévité de ce postulat tend à l’invalider. Les « Apaches » des années 1900, les blousons noirs des années 1960, les jeunes des quartiers des années 2000 : cela fait plus d’un siècle que les jeunes d’aujourd’hui sont pires que ceux d’hier. Que dire d’une société qui veut invariablement réprimer plus sévèrement ses adolescents ? En toute hypothèse, la loi pénale permet aujourd’hui de condamner un mineur de plus de 16 ans à la réclusion criminelle à perpétuité pour certains crimes. C’est le maximum que puisse prévoir un Etat de droit, étant observé que nombre de pays européens se privent volontairement d’un tel dispositif sans pour autant être dévastés par leur jeunesse.
Le deuxième affirme qu’une réponse pénale, pour être efficace, doit être « rapide et ferme » selon la terminologie consacrée. Qu’en est-il ? D’une part, fonder la prévention de la délinquance sur l’extrême sévérité des peines témoigne d’une méconnaissance des facteurs souvent multiples du passage à l’acte criminel. Des mineurs sont impliqués dans des crimes leur faisant encourir la peine la plus lourde de notre code pénal, preuve qu’elle n’a pas le caractère dissuasif escompté. Constat décourageant D’autre part, il n’est pas davantage établi qu’ultra-rapidité rime avec efficacité. Il est certain qu’une réponse pénale qui se fait attendre plusieurs années a peu de sens pour un adolescent et sera tardive pour une victime attendant réparation. Pour autant, faut-il accélérer encore le cours de la justice quand les adolescents peuvent déjà être jugés en quelques jours, et, en cas de crime, placés en détention dans l’attente qu’une cour d’assises les juge ? A l’évidence, ce n’est pas nécessaire. En outre, chacun peut aisément se figurer la régression que constituerait la mise en place d’une justice expéditive qui, en 48 heures, enverrait en prison pour plusieurs années un adolescent de 16 ans.
Ainsi, il convient de remettre en cause ces postulats qui servent d’exposé des motifs aux réformes de la justice des mineurs et de s’interroger : qu’est-ce qu’une peine juste et efficace, de nature à prévenir le risque de récidive d’un mineur coupable d’un délit ? Le Monde Ateliers Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences Découvrir Bien qu’assez unanimes à critiquer le projet de réforme qui vise à durcir le régime pénal applicable aux mineurs délinquants porté par Gabriel Attal, président du groupe Ensemble pour la République, qui sera examiné le 12 février à l’Assemblée nationale, les professionnels de la justice des mineurs sont inaudibles. Passé ce constat décourageant, il demeure indispensable de décrire la réalité de la situation sur laquelle prospère le sentiment d’impunité souvent dénoncé : la loi, qui s’incarne dans les sanctions que prononcent les juges des enfants, est mal appliquée, voire inappliquée.
Le sens de la sanction
Les suivis éducatifs décidés par les juges, les placements ordonnés pour extraire les mineurs de milieux familiaux néfastes à leur bon développement, les accueils dans des structures d’insertion prononcés pour occuper des adolescents déscolarisés et désœuvrés ne sont pas mis en œuvre, ou alors dans des conditions qui leur font perdre toute pertinence. Fin 2024, près de 4 200 mesures pénales étaient « en attente », c’est-à-dire prononcées par un juge des enfants mais sans éducateur pour l’exécuter concrètement ou sans place dans un lieu d’accueil de la protection judiciaire de la jeunesse.
De surcroît, le code de la justice pénale des mineurs a conduit les éducateurs à consacrer plus de temps à attendre aux audiences et rédiger des rapports rendant compte de leur travail, donc moins de temps à accompagner les adolescents dont ils doivent garantir le relèvement.
Pour lutter contre la délinquance des mineurs, nos ministres successifs préfèrent changer la loi plutôt que garantir l’application de la précédente. Le garde des sceaux s’apprête ainsi à soutenir une réforme pénale proposant plus de la même chose, profitant de l’amnésie collective qui nous fait oublier qu’une réforme procédurale d’ampleur, entrée en vigueur fin 2021, prétendait, par les mêmes remèdes, vaincre les mêmes maux. Son volontarisme politique serait mieux dirigé s’il s’attelait à la question essentielle du sens de la sanction : redonner du temps d’accompagnement aux éducateurs, permettre l’accueil des mineurs dans des lieux d’insertion ou en foyer lorsqu’ils sont extraits d’une famille ou d’un quartier criminogènes, permettre l’accès aux soins. Tels sont les besoins de la justice des mineurs.
Le retour de l’autorité devrait s’incarner dans l’effectivité des décisions des juges. Les appels incantatoires à la sévérité conduisent à l’adoption de lois plus répressives, qui font le lit de pratiques judiciaires « fermes et rapides » mais ne garantissent nullement une réponse efficace aux mineurs délinquants. D’autres fiascos sont à craindre si la justice des mineurs reste dépourvue, non de textes juridiques – elle a déjà tout ce dont elle a besoin –, mais de moyens pour appliquer la loi. On ne peut demander à l’autorité judiciaire d’assumer un choix politique à la place de celles et de ceux qui vont discuter et voter la loi.
Judith Allenbach, Présidente du Syndicat de la magistrature et Kim Reuflet, Ancienne présidente du Syndicat de la magistrature
https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/02/06/pour-lutter-contre-la-delinquance-des-mineurs-nos-ministres-successifs-preferent-changer-la-loi-plutot-que-garantir-l-application-de-la-precedente_6534020_3232.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default