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Documents et résolutions issus des congrès du Syndicat de la magistrature

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XLIIè CONGRES

LE SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE A 40 ANS


L’année 2008 a vu se confirmer en France un net recul des libertés publiques. Une régression qui se caractérise d’abord par la mise en place insidieuse d’un droit de moins en moins protecteur – soumis aux assauts d’un pouvoir qui cherche régulièrement à le transformer en un outil servant son propre intérêt.

Des législations de circonstance visant à porter atteinte à telle ou telle catégorie de populations – souvent les plus vulnérables (mineurs, étrangers…) – et à en épargner d’autres (chefs d’entreprise) se multiplient ou sont à l’étude, créant une césure profonde et durable au sein de la société. Pire, ce sont les piliers fondateurs de notre démocratie qui sont parfois singulièrement mis à mal et - coïncidence ? - souvent ceux qui encadrent et protègent la justice : séparation des pouvoirs, indépendance de la magistrature…

D’autres attaques ont été menées cette année qui menacent en profondeur l’édifice démocratique: le principe de la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère empêche l’application immédiate de la rétention de sûreté ? Qu’importe, on demande au plus haut magistrat de France de trouver rapidement une solution pour y remédier. L’application de la loi sur les peines plancher ne va pas assez vite ? Qu’importe le principe de la personnalisation des peines, on convoque sans tarder les magistrats récalcitrants.

Mais le recul de nos libertés se caractérise aussi par l’abandon délibéré du bien commun que représente le service public. Sous les prétextes toujours commodes de rationalisation et de modernisation, le gouvernement « découpe », « redéploie », « impacte » des services régaliens en ne tenant aucun compte des populations et des territoires. La justice n’a pas échappé au couperet et ce sont, évidemment, les juridictions de proximité qui ont le plus souffert de la manœuvre.


Le Syndicat de la magistrature est né en mai 1968, au moment d’une formidable aventure collective défendant les libertés. Il fête aujourd’hui ses 40 ans dans un contexte de grande régression démocratique.
Comme à sa création, il entend poursuivre ses combats pour la Justice et le droit avec les principaux acteurs du mouvement social.

Les mauvais jours…

Le droit, nouvel instrument de démagogie

Le droit semble aujourd’hui conçu, non pour définir un cadre commun protecteur, mais pour permettre à quelques uns d’asseoir durablement leur vision de la société, quoi qu’il en coûte.

Il en va ainsi de la justice des mineurs que l’on déclare vouloir « toiletter » afin de rendre compatible l’ordonnance de 1945 aux exigences des formes modernes de la délinquance juvénile. A n’en pas douter, la commission en charge de cette mission saura redorer le blason de la répression au détriment de la prise en charge éducative et de la prévention.

Il en va ainsi, évidemment, du droit des étrangers qui se débarrasse, chaque année davantage de ses maigres garanties humanistes. Le cru 2008 , depuis la création du Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire vise rien moins qu’à entraver (circonscrire) et contrôler l’action des associations spécialisées dans la défense des étrangers en rétention administrative et assurer avec plus de rendement l’enfermement, l’expulsion des étrangers ainsi que la limitation de leur accès au droit d’asile.

Il en va ainsi de l’acharnement déraisonné qu’emploie la Ministre de la Justice à voir appliquer dans sa plus grande rigueur la loi du 10 août 2007 - sa loi - sur les peines planchers, quelles qu’en soient les conséquences sur l’état des prisons françaises (66.211 détenus au 1er septembre 2008 pour une capacité de 53.000 places). Il n’y aura d’ailleurs sans doute pas lieu de compter cette année sur les ambitions étriquées du projet de loi pénitentiaire, dont l’inscription à l’ordre du jour du Parlement est sans cesse reportée.

Il en va ainsi surtout de la rétention de sûreté, abjection philosophique et juridique que le Syndicat de la magistrature a durement combattu. Sur le fondement d’un pronostic arbitraire de la dangerosité – et pour satisfaire le populisme pénal du président de la République et du Garde des Sceaux – des individus pourront désormais être détenus sans limitation de durée, après leur peine, avec la caution de la justice.

A tout le moins, des textes aussi durs auraient mérité d’être accompagnés par un renforcement significatif des pouvoirs de contrôle du juge. Evidemment, il n’en est rien. Bien au contraire, suivant une tendance déjà à l’œuvre depuis plusieurs années, les pouvoirs exécutif et législatif prennent prétexte des attentes supposées de l’opinion pour neutraliser l’office du juge et limiter ses capacités d’interprétation des textes ou d’individualisation de ses décisions.




Le saccage programmé du service public de la justice

Le mépris du service public, patrimoine de chaque citoyen s’est illustré par un redécoupage brutal, approximatif et incohérent de la carte judiciaire, précédé d’un simulacre de consultation . Or, en matière de justice, les atteintes au service public constituent immanquablement une négation de l’intérêt général puisque ce sont toujours les plus fragiles qui en paient le prix fort. Et ce ne sont malheureusement pas les propositions plutôt équilibrées du rapport établi par la commission Guinchard sur l’harmonisation des contentieux - dont on ignore encore quand et comment elles seront mises en oeuvre - qui permettront de panser les plaies. La distance entre la chancellerie et les personnels de justice se creuse irrémédiablement et l’incompréhension a très nettement pris le pas sur le dialogue.*

Au cœur même de l’administration, la notion de service public semble avoir perdu toute réelle signification. La Chancellerie, malgré l’agressivité qu’elle affiche sur chacun de ses projets, renvoie aujourd’hui clairement l’image d’une maison à l’abandon, à peine capable de gérer les affaires courantes, mais toujours à même de récompenser, par des nominations douteuses, ses serviteurs les plus zélés. Dans un tel contexte, le nouveau département des « ressources humaines » est une véritable farce.

Enfin, même pour ce qui concerne le volet institutionnel des réformes, le gouvernement a consacré une grande part de son énergie à tenter de comprimer l’indépendance de la magistrature en minorant les attributions et les moyens du nouveau CSM et en imposant, sans même un semblant de concertation, une humiliante réforme des conditions d’accès et de la formation à l’ENM.

Cet affaiblissement politique de l’institution judiciaire en général et de la magistrature en particulier, se concrétise aujourd’hui par une réforme constitutionnelle symptomatique. Le CSM remodelé ne permet toujours pas l’expression du pluralisme et voit ses prérogatives limitées, puisque la formation plénière, certes officialisée, ne peut plus a priori rendre des avis d’initiative sur l’indépendance de la Justice. A ce titre, la préparation de la future loi organique laisse craindre une perte de légitimité du CSM. Cet organe constitutionnel reflètera une image uniforme de la magistrature avec, notamment, une surreprésentation de la hiérarchie judiciaire. Au final, loin d’être une instance administrative incontestable, susceptible de faire autorité sur les questions de justice, le CSM demeure un petit cénacle sans envergure, ni ambitions réelles.

Dans le même temps, le pouvoir exécutif renforce sa pression sur les parquets dans une stratégie de harcèlement et d’intimidation quotidiens sur l’exercice de l’action publique, via les parquets généraux. Il ne s’agit plus d’impulser une politique pénale mais de faire croire qu'on peut diriger depuis la place Vendôme, les poursuites dans tous les parquets de France.

La réforme de l’ENM vient parachever ce processus de reprise en main de la magistrature par une « filiarisation » désormais à l’œuvre dès la formation initiale. Ce formatage est accentué par la réforme du concours d’accès à l’ENM qui cherche plus à recruter des stéréotypes qu’à favoriser la diversité.


… finiront

Pour contrer ce démantèlement programmé de la justice, le Syndicat de la magistrature a choisi, lorsque c’était possible, de porter ses convictions et ses valeurs avec les autres grands acteurs du mouvement social. En effet, au cours de l’année écoulée, ce sont essentiellement des actions collectives qui ont permis des mobilisations plus amples de citoyens et abouti à faire quelquefois reculer le gouvernement – notamment lorsque les atteintes aux libertés publiques étaient véritablement outrancières.

Mais c’est aussi par le droit et le recours au juge que le Syndicat de la magistrature a souhaité faire valoir ses arguments : devant la HALDE, lorsque ses membres ont été injustement l’objet de discriminations ; devant le Conseil constitutionnel ou le Conseil d’Etat lorsqu’il a été nécessaire de porter une argumentation juridique contre des textes scélérats.

Au cœur du mouvement social

L’expression de notre engagement pour la défense des libertés publiques et l’indépendance de la magistrature est aujourd’hui arrimée à des collectifs qui permettent de mutualiser les énergies et les moyens d’action. Cette modalité d’organisation permet aussi bien de faire face à la multiplicité et à la diversité des attaques portées (fichier EDVIGE, rétention de sûreté, réforme de la carte judiciaire…) que de maintenir une mobilisation dans la durée (Anafe, Collectif Octobre 2001, Commission citoyens – police - justice, CLEJ, UCIJ…).

C’est ainsi que, s’agissant de la rétention de sûreté, le collectif mis en place à l’initiative du Syndicat de la magistrature, a suscité un peu partout en France une mobilisation et des débats sur le thème difficile de la récidive criminelle. Grâce à des vecteurs originaux de communication - site internet, film, nuit des libertés publiques - les organisations rassemblées continuent à faire entendre leur voix dans un contexte de populisme pénal exacerbé.


De même, en participant dès sa création au collectif « NON A EDVIGE », le Syndicat de la magistrature a contribué à la formidable mobilisation citoyenne ayant conduit au retrait du fichier EDVIGE 1, particulièrement emblématique de cette société de surveillance et de contrôle qui nous est aujourd’hui imposée.

Enfin, persévérant dans l’action collective, le Syndicat de la magistrature a spécialement investi l’entente syndicale constituée avec la CGT services judiciaires, la CFDT-interco et l’USAJ/UNSA dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, pour poursuivre des actions solidaires et cohérentes qui ont conduit notamment à une journée de grève nationale le 29 novembre 2007. L’entente syndicale a également permis de mener efficacement les négociations sur l’accompagnement social des personnels et d’informer en temps réel le public et les acteurs locaux concernés par le démantèlement.

Cette action collective a trouvé aussi à s’exprimer dans le cadre de la réflexion engagée au sein de la commission Guinchard. C’est grâce à la mobilisation de ses militants que notre organisation a pu élaborer sa propre vision d’une modernisation du service public de la justice, au service des justiciables. Le travail syndical collectif - et une présence assidue et active au sein de la commission - ne sont sans doute pas étrangers au rapport final sur la réorganisation des contentieux, très éloigné de sa vocation première de déjudiciarisation et de privatisation de la justice. Cette même démarche syndicale est actuellement mise en œuvre dans le cadre de l’élaboration du recueil des obligations déontologiques que prépare le CSM.

Les avancées par le droit

Le mépris affiché pour le droit et le juge caractérise généralement les démocraties déclinantes. Il est donc essentiel de porter également le débat sur le terrain juridique afin de rappeler fermement que tout n’est pas possible et que nos valeurs doivent être défendues.

L’égal accès à la justice tout d’abord, avec les recours que nous avons engagés devant le Conseil d’Etat contre les décrets modifiant la carte judiciaire. Ces recours introduits dès avril 2008, dans le cadre de l’entente syndicale, sont d’autant plus indispensables que le Ministère, dans une manoeuvre purement tactique, tente de précipiter la réforme en demandant aux chefs de Cour d’imposer un « consensus » sur les fermetures anticipées de juridictions.

La défense des droits fondamentaux ensuite, avec les observations présentées par le Syndicat devant le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi instituant la rétention de sûreté qui constitue le prolongement d’une stratégie syndicale entamée au moment de la Loi Perben II. Cette démarche militante vise, de la même façon que l’élaboration de contre -circulaires, à asseoir notre spécificité et à proposer aux juridictions, un corpus juridique alternatif.

Le droit à un procès équitable également, avec la contestation contentieuse du décret qui institue le JUDEVI. Ce nouveau juge n’étant rien moins qu’un instrument démagogique créé par le ministère de la justice pour servir sa politique pseudo compassionnelle à l’égard des victimes au mépris du principe d’impartialité.

Le respect du pluralisme au sein de la magistrature enfin, avec les saisines de la HALDE intervenues entre 2006 et 2008 qui ont abouti à trois avis rendus le 15 septembre 2008 et qui constatent la discrimination syndicale au détriment du Syndicat de la magistrature. Par une motivation très sévère, la HALDE condamne explicitement la politique discriminatoire de recrutement menée par le Ministère de la Justice à l’ENM. Malgré les injonctions de la haute autorité visant à introduire des protections contre les discriminations dans le statut de la magistrature, la Garde des Sceaux n’a pas encore jugé utile de réagir.

Ce combat pour le pluralisme et la diversité se poursuit dans le cadre de notre contestation de la réforme de l’ENM qui conduira sans doute au contentieux dès la parution des décrets et qui recueille l’adhésion des autres organisations professionnelles de magistrats.

* * *

« Les mauvais jours finiront »… ; n’est pas seulement le slogan d’une affiche mais l’expression d’un optimisme militant, qui prévaut de la Commune au printemps 68. Bien sûr, les temps sont durs : le sarkozysme triomphant mène une guerre idéologique implacable contre ceux qui restent attachés aux valeurs républicaines. Qualifié tour à tour de « droit-de-l’hommiste », de complice des criminels, face à la délinquance, le Syndicat de la magistrature, comme l’ensemble de ses partenaires, poursuit sans relâche son travail militant. Les enjeux à venir son nombreux : démantèlement du service public autour de la RGPP, mise en place de logiques purement financières dans l’administration judiciaire, poursuite d’une politique d’asservissement de la justice et des magistrats…
L'année 2009 ne sera sans doute pas glorieuse* mais les valeurs que nous incarnons et notre capacité à nous rassembler sont les clés d'une résistance efficace.