Assurément, la circulaire du 12 mai dernier qui analyse « la portée de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 avril 2011 » marque une évolution notable dans la prise en compte par la Chancellerie des arguments de ceux qui ne pensent pas comme elle…



Jusqu’à présent, les tentatives du Syndicat de la magistrature de faire entendre raison, notamment au sujet de la garde à vue, au garde des Sceaux – il s’agissait alors, il est vrai, de la très compréhensive Michèle Alliot-Marie – s’étaient heurtées à un mépris mâtiné d’incompétence. Tout était bon pour ne rien entendre : les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme ne s’appliquaient qu’à la Turquie, le système français n’avait rien à voir, la France n’était liée que par la Convention et non par la jurisprudence de la Cour, etc… Résultat : la rhétorique ministérielle a été ridiculisée tant par le Conseil constitutionnel que par la Cour de cassation, mais surtout, mû par ses impératifs idéologiques, le gouvernement a délibérément choisi une stratégie d’imprévoyance, qui a eu pour effet principal de fragiliser la totalité des gardes à vue prises avant le 15 avril dernier.



S’agissant maintenant des enseignements à tirer de l’avis contentieux de la CJUE, le ministère de l’Intérieur s’est une nouvelle fois discrédité en considérant dès le 3 mai que la France n’était pas concernée parce que sa législation était « très différente » de la législation italienne.



Le ministère de la Justice vient de produire une analyse singulièrement plus conséquente : sans même chercher à discuter que l’avis de la Cour de Luxembourg s’impose aux juges comme aux Etats, la circulaire considère que, désormais, la soustraction aux mesures administratives d’éloignement, hors cas de « refus d’embarquer », ne pourra plus donner lieu à des peines d’emprisonnement.



Mieux, elle en tire logiquement la conséquence nécessaire : il ne sera plus possible de placer en garde à vue les étrangers qui se seront soustraits à une mesure d’éloignement.



Sur ces points, la circulaire sonne donc comme une confirmation intégrale de l’analyse que le Syndicat de la magistrature avait faite dans son courrier au garde des Sceaux du 3 mai dernier.



Il demeure toutefois une zone, centrale, de très mauvaise foi ministérielle : la question des « simples » séjours irréguliers.



Négligeant en effet de lire l’avis de la CJUE à la lumière de la directive « retour », dont la Cour livre pourtant une interprétation limpide, le ministère ne veut en tirer les conséquences que dans l’hypothèse où la sanction vise le fait de s’être soustrait à une mesure d’éloignement. Dans l’autre l’hypothèse où le séjour irrégulier est constaté avant même qu’une telle mesure n’ait été prise par l’administration, l’emprisonnement – et la garde à vue – resteraient donc possibles selon la circulaire.



Double erreur, de droit et de bon sens ! De droit, parce que la directive en question fait obligation aux Etats de prendre une décision d’éloignement à l’encontre de tout étranger en séjour irrégulier (article 6). Ainsi, le processus d’éloignement doit-il commencer dès la découverte de la personne en situation irrégulière et, dès lors, la peine d’un an d’emprisonnement qu’elle encourt dès ce stade fait-elle concrètement obstacle à la reconduite à la frontière. Or, c’est précisément ce que la Cour a voulu empêcher en demandant aux Etats de supprimer les peines d’emprisonnement, soulignant qu’elles sont en outre contraires aux principes de gradation et de proportionnalité qui – toujours selon la directive – encadrent le processus d’éloignement. Son raisonnement ne peut donc pas se limiter à la seule situation de soustraction à une mesure d’éloignement déjà notifiée. Il s’étend bien à toute situation de séjour irrégulier et les juges français qui l’ont déjà dit ne font que tirer les conséquences nécessaires d’un avis qui s’impose à eux.



Quant au bon sens, il est complètement bafoué par la position crispée de la Chancellerie : elle nous explique en effet qu’on ne pourrait ni emprisonner ni placer en garde à vue une personne qui s’est soustraite à une mesure d’éloignement mais qu’on pourrait en revanche le faire sans problème pour une personne à qui aucune mesure de cette nature n’a encore été notifiée. En somme : la peine la plus grave pour la situation la moins grave !



Chacun comprend ce qui pousse la Chancellerie à s’arc bouter sur une lecture partielle de l’avis de la CJUE : il s’agit à l’évidence de mettre « à l’abri » la pratique de la garde à vue comme antichambre des centres de rétention. Les magistrats sauront, en toute indépendance, porter une appréciation objective sur cette analyse biaisée et la regarder pour ce qu’elle est : la tentative désespérée d’un ministre de préserver la politique du chiffre en matière migratoire.


Ci-joint : la circulaire de la Chancellerie.